Arzach, c’est un objet hybride d’abord paru dans les pages de Métal Hurlant en plusieurs épisodes. Ceux-ci seront rassemblés en 1976 pour être publiés sous la forme d’un album.
Deux œuvres pour cette nouvelle édition : La Déviation et Arzach.
Cette réédition propose en amont d’Arzach une courte histoire intitulée « La Déviation », et cette association est riche en échos : si aux couleurs éclatantes d’Arzach répond le noir et blanc dans La Déviation, si l’absence de texte dans Arzach répond sa profusion dans le récit liminaire, La Déviation se révèle être une introduction judicieuse à l’univers d’Arzach. En effet, La Déviation peut se lire comme une préparation à la plongée dans le monde d’Arzach. La Déviation est le récit d’un couple qui, sur le chemin de l’île de Ré, décide de quitter l’autoroute pour prendre une déviation. Choix hautement symbolique, bien sûr, qui inaugure l’abandon d’une voie balisée et rectiligne au profit d’une prise de liberté tentante mais effrayante et surtout pleine de surprises. Tout semble se déconstruire et c’est en premier lieu le paysage qui subit des transformations : il devient fortement accidenté, menaçant, essentiellement composé de montagnes et de ravins. Nous voici donc, la couleur en moins, déjà au cœur du décor d’Arzach.
Un cavalier solitaire sur une bien étrange monture aux allures toutes préhistoriques. Une immense montagne troglodytique s’élevant vers le ciel. Voici l’ouverture d’Arzach, au héros éponyme, voici la première et impressionnante empreinte d’un récit qui fait date dans l’Histoire de la BD. Viendront les affrontements multiples, sur cette terre très hostile où règne Arzach, les rencontres étonnantes avec des personnages inattendus, comme ce gorille juché sur une plateforme ou cet étrange aviateur qui semble débarquer en terre inconnue, pour une mission toute mystérieuse.
Un sublime appel à l’imagination du lecteur
Résumer Arzach est impossible, car les images éclatantes que cette œuvre déroule sont offertes au lecteur comme autant de chaînons que son imagination doit imbriquer en toute autonomie. Il semble que le lecteur, lui aussi, doive emprunter une déviation pour suivre les aventures du héros, car Moebius a choisi l’art de la suggestion. Il ne s’agit pas ici de lire entre les lignes du texte, puisqu’il n’y en a pas, mais au contraire de l’écrire, ou bien d’associer à partir des images, chacun trouvera son propre chemin. Moebius bouleverse le rapport du lecteur à la trame narrative, il met à mal la rationalité de nos esprits occidentaux, et même si Arzach a acquis le statut confortable de chef-d’œuvre, sa lecture peut fortement partager ou malmener. Certains adulent, d’autres ne supportent pas, reprochant à l’œuvre sa difficulté d’accessibilité, regrettant l’absence de tout guide au côté du lecteur pour l’accompagner dans sa compréhension des aventures. Lire Arzach demande de lâcher prise, et il s’agit d’ailleurs moins de lire que de voyager.
Une BD comme autant de succession de tableaux
La grande force d’Arzach est avant tout son esthétique. Moebius n’hésite pas à faire éclater l’organisation classique des vignettes pour créer de véritables tableaux d’un seul tenant, parfois même en double page. Ainsi chaque planche peut tout à fait s’extraire de l’ensemble de la BD pour exister en solo et s’offrir à l’œil du lecteur, l’album devenant une galerie de peinture miniature. Les amateurs peuvent se prendre à rêver de grand format, qui laisserait s’épanouir davantage encore la formidable gamme de couleurs utilisées par le maître, dont un bleu hypnotisant que n’aurait pas renié Yves Klein.
Un classique à découvrir ou redécouvrir absolument !
La chronique de 16h16 !