Note de l’éditeur
Comme souvent chez les grands auteurs, il y a un arbre qui cache la forêt. Chez George R. R. Martin, l’arbre c’est bien évidemment le Trône de fer, la saga de fantasy majeure des années 1990, déclinée avec succès en série télévisée, en bande dessinée, en jeux vidéo, de rôle, de cartes et de plateau. Et on ne cherchera même pas à dénombrer le nombre de versions des livres, des parutions poches aux omnibus en passant par les tirages collectors dans des coffrets.
La série est donc géniale mais ce qui est intéressant avec son auteur, c’est qu’il y a une véritable forêt derrière. Elle se compose d’abord de romans, relevant essentiellement de la science fiction et du fantastique, deux genres dans lesquels il s’aventure au début de sa carrière dans les années 1970 puis dans la décennie suivante. Et chose assez épatante, tous sont d’une qualité incroyable. Si certains romans peuvent être qualifiés de mineurs dans sa bibliographie, aucun n’est mauvais, tous ont un intérêt. Pour s’en convaincre, on ne saurait que trop vous conseiller de vous plonger par exemple dans les très belles pages de Windhaven (écrit avec Lisa Tuttle) avec l’histoire d’une jeune femme en rébellion contre l’ordre social sur sa planète, ou dans celles du Volcryn, sorte de série B en forme de huis clos avec des personnages qui partent dans un vaisseau à la recherche des extra-terrestres. Il y a aussi Le Voyage de Haviland Tuf, space opera sympathique avec les aventures d’un marchand plutôt débonnaire à travers l’espace. Du côté du fantastique, trois titres sont à retenir : Armageddon Rag avec une plongée dans le monde du rock, Riverdream avec des vampires à bord d’un navire remontant le Mississippi et qui n’a rien à envier à Anne Rice, et Skin Trade, un polar avec des loups-garous tout à fait réjouissant par son humour et son suspens.
Et puis il y a les nouvelles de George R. R. Martin... S’il sait parfaitement tenir en haleine son lecteur sur des milliers de pages comme dans le Trône de Fer, il maîtrise également l’art délicat du texte court. D’ailleurs, il a plus souvent reçu des prix pour ses nouvelles que pour ses romans. Une quinzaine sur les vingt-cinq Hugo, Nebula, Locus, Bram Stoker, Analog, Science Fiction Chronicle et autres World Fantasy Award qui sont venus récompenser sa prolifique carrière. En France plusieurs recueils existent avec à chaque fois de superbes pépites. Là aussi, on ne saurait que trop vous recommander certains titres comme Une chanson pour Lya, ne serait-ce que pour la nouvelle éponyme, Des astres et des ombres, Dragon de glace, là aussi pour la nouvelle éponyme mais aussi pour les glaçants « Portrait de Famille » et « L’Homme en forme de poire », et le numéro 67 de la revue Bifrost avec « Le Régime du singe ».
Depuis le début de l’écriture du Trône de Fer, George R. R. Martin n’a plus vraiment le temps de se consacrer aux nouvelles vu l’ambition de son projet. On en trouve encore ici et là mais elles se font plutôt rares. Son travail d’anthologiste, souvent avec Gardner Dozois, prouve qu’il n’a pour autant pas perdu le goût de la short story. Pour mémoire on citera Chansons de la Terre mourante (en hommage à Jack Vance) et des anthologies qui n’ont pour l’instant pas été traduites : Songs of Love and Death: All-Original Tales of Star-Crossed Love, Down These Strange Streets, Old Mars et Dangerous Women pour les plus récentes.
Avec ce recueil Au fil du temps, nous avons voulu vous inviter à continuer l’exploration du George R. R. Martin d’avant Le Trône de Fer. Toutes les nouvelles que vous trouverez ici ont été écrites dans les années 1970-1980, au début de sa carrière, et toutes montrent son extrême habileté dans l’art d’être conteur. On y trouve des textes étonnants et rares qui recoupent parfois en terme de thématiques ce que l’on sait déjà de lui (comme son goût pour l’histoire ou le space opera) mais qui nous montrent aussi d’autres facettes du personnage (les échecs, le voyage dans le temps, la critique politique...). Des découvertes de plus pour un auteur qui a encore dans sa bibliographie de nombreuses pépites à nous offrir. Non, définitivement George R. R. Martin n’est pas que l’écrivain de son cycle phare. C’est toute sa bibliographie qui est à explorer et à redécouvrir. La forêt est aussi passionnante que l’arbre qui est devant...