Ancien bouquiniste parisien et écrivain, Pierre Very est bien connu des amateurs de romans policiers, un domaine qu'il est réputé avoir renouvelé en lui infusant la touche de poésie qui lui avait manqué jusqu'alors. Dans une ambiance frôlant parfois le merveilleux, il produisit ainsi une quarantaine de ce qu'il appelait des romans de mystère, parmi lesquels figurent Les anciens de Saint-Loup ou encore L'assassinat du Père Noël, et qui furent pour certains adaptés avec succès à l'écran. Car non content d'être un auteur apprécié, Pierre Very prolongea ses activités dans le domaine cinématographique pour lequel il rédigea de nombreux dialogues et scénarios. Cinéphiles et vieux croûtons se souviendront donc avec émotion des fameux Disparus de Saint-Agil, avec Erich Von Stroheim, et de Goupi Mains-Rouges, thriller rural à succès de la fin des années quarante. La collection Présence du Futur accueillit deux de ses incursions dans le domaine de la science-fiction avec Tout doit disparaître le 5 mai, un recueil de nouvelles, et surtout un remarquable roman qui mériterait une redécouverte : Le pays sans étoiles. Le royaume des feignants est quant à lui un récit très swiftien dont Pierre Very déclara qu'il avait été « écrit en collaboration avec l'adolescent qu'il était » en 1916, date de la première version du récit. S'il en révisa entièrement la forme et en augmenta le texte trente ans plus tard, l'auteur déclara cependant être resté en total accord avec le fond de cette fable intemporelle.
« Sur le fleuve du temps, les feignants font la planche. »
Un bateau déraille et passe dans une réalité superposée à la notre juste avant de sombrer. Arthur Claès, représentant pour une fameuse marque de bicyclettes, est le seul survivant du naufrage et erre dans l'étrange désert où il a échoué. De mirage en hallucination, il finit par arriver jusqu'aux portes d'une cité de pierre gardée par la gigantesque statue d'une créature obèse munie de béquilles. De la Place du Sommeil de Plomb à la Rue du Bonnet de Nuit, tous les citoyens semblent être en train de dormir. Lorsqu'ils s'éveilleront enfin, juste à l'heure pour chanter « L'hymne à la soupe », Arthur Claès découvrira une population dont la manière d'appréhender l'existence ne caricature bien entendu celle des contemporains de l'auteur que de façon fortuite et indépendante de sa volonté. Le contraire serait terrible...
Allon'z'enfants de l'a-pa-thi-i-e !
Les Feignants, en dépit des excès dans lesquels ils sont tombés, ont au moins pris conscience d'une chose essentielle : il ne s'agit pas d'un hasard si le mot travail vient du latin tripaliare, qui désigne l'action de torturer un individu à l'aide d'un tripalium, un instrument dont on n'ose même pas imaginer l'abominable fonctionnement. Du sens profond de cette étymologie, chacun tirera les conclusions qui lui siéront. Car bien loin de critiquer l'otium, ce temps pour soi célébré par nombre de personnalités remarquables depuis l'antiquité, de Sénèque à Montaigne, Pierre Very s'attaque en réalité à la forme d'inertie stupide dont font parfois preuve les hommes et qui pousse les masses à adhérer aveuglément aux croyances limitantes imposées par le pouvoir en place.
Dans la première partie du livre, nous découvrons donc les us et coutumes des Feignants, une peuplade dont l'exotisme est superficiel puisqu'ils sont en réalité natifs de Pont-Aven ou Châteauroux. Leurs désirs émoussés par la force de l'habitude, les Feignants n'ont même plus celle de s'ennuyer et ne valorisent que l'immobilisme le plus absolu. Nous ferons également brièvement connaissance avec les Besogneux, une caste méprisée, exploitée par les Feignants et qui se révèlent finalement tout aussi ridicules que leurs maîtres. Malheureusement, nous en apprendrons assez peu sur ces Hommes de Corvée qui auraient pu donner lieu à de réjouissants développements. La seconde partie du livre, centrée sur la rébellion du héros contre une doctrine à laquelle il refuse d'adhérer, comporte quelques pages toujours d'actualité sur la manipulation des masses, la récupération et le détournement des révoltes, même les plus justes... Contée avec humour, cette fable morale ne manque pas d'une certaine naïveté, probablement feinte, par exemple lorsque l'auteur fait l'éloge de la pratique du sport ou plaide contre les horreurs de la guerre. Rien de rédhibitoire, cependant, puisqu'une fois la dernière page tournée, il ne reste de cette apparente ingénuité que l'impression générale d'un bel enthousiasme et d'une saine énergie...
« Sur le fleuve du temps, les feignants font la planche. »
Un bateau déraille et passe dans une réalité superposée à la notre juste avant de sombrer. Arthur Claès, représentant pour une fameuse marque de bicyclettes, est le seul survivant du naufrage et erre dans l'étrange désert où il a échoué. De mirage en hallucination, il finit par arriver jusqu'aux portes d'une cité de pierre gardée par la gigantesque statue d'une créature obèse munie de béquilles. De la Place du Sommeil de Plomb à la Rue du Bonnet de Nuit, tous les citoyens semblent être en train de dormir. Lorsqu'ils s'éveilleront enfin, juste à l'heure pour chanter « L'hymne à la soupe », Arthur Claès découvrira une population dont la manière d'appréhender l'existence ne caricature bien entendu celle des contemporains de l'auteur que de façon fortuite et indépendante de sa volonté. Le contraire serait terrible...
Allon'z'enfants de l'a-pa-thi-i-e !
Les Feignants, en dépit des excès dans lesquels ils sont tombés, ont au moins pris conscience d'une chose essentielle : il ne s'agit pas d'un hasard si le mot travail vient du latin tripaliare, qui désigne l'action de torturer un individu à l'aide d'un tripalium, un instrument dont on n'ose même pas imaginer l'abominable fonctionnement. Du sens profond de cette étymologie, chacun tirera les conclusions qui lui siéront. Car bien loin de critiquer l'otium, ce temps pour soi célébré par nombre de personnalités remarquables depuis l'antiquité, de Sénèque à Montaigne, Pierre Very s'attaque en réalité à la forme d'inertie stupide dont font parfois preuve les hommes et qui pousse les masses à adhérer aveuglément aux croyances limitantes imposées par le pouvoir en place.
Dans la première partie du livre, nous découvrons donc les us et coutumes des Feignants, une peuplade dont l'exotisme est superficiel puisqu'ils sont en réalité natifs de Pont-Aven ou Châteauroux. Leurs désirs émoussés par la force de l'habitude, les Feignants n'ont même plus celle de s'ennuyer et ne valorisent que l'immobilisme le plus absolu. Nous ferons également brièvement connaissance avec les Besogneux, une caste méprisée, exploitée par les Feignants et qui se révèlent finalement tout aussi ridicules que leurs maîtres. Malheureusement, nous en apprendrons assez peu sur ces Hommes de Corvée qui auraient pu donner lieu à de réjouissants développements. La seconde partie du livre, centrée sur la rébellion du héros contre une doctrine à laquelle il refuse d'adhérer, comporte quelques pages toujours d'actualité sur la manipulation des masses, la récupération et le détournement des révoltes, même les plus justes... Contée avec humour, cette fable morale ne manque pas d'une certaine naïveté, probablement feinte, par exemple lorsque l'auteur fait l'éloge de la pratique du sport ou plaide contre les horreurs de la guerre. Rien de rédhibitoire, cependant, puisqu'une fois la dernière page tournée, il ne reste de cette apparente ingénuité que l'impression générale d'un bel enthousiasme et d'une saine énergie...