Michael Marshall Smith est l'exemple type de l'auteur qui pousse l'écrivain moyen au désespoir tant il doué. En moins de cinq ans et trois romans (dont La proie des rêves), ce nouveau prodige britannique a trusté un nombre impressionnant de prix littéraires outre-manche. Les raisons de ce succès ? Ou plutôt, les marques de son talent ? Une SF nouvelle vague, un style à la Mc Auley sur-vitaminé, mêlant avec une virtuosité déconcertante le polar noir, l'action, le lyrisme absolu et la " SF traditionnelle ". En fait, toute la SF paraît traditionnelle lorsque l'on a lu Marshall Smith. Alors réjouissez vous de la réédition d'Avance rapide chez Bragelonne, le premier roman de cet anglais dont l'ascension irrésistible scotche les poursuivants à des années-lumière de distance.

" Parfois je me dis que vivre n'est qu'une façon de passer le temps entre deux clopes. "

Stark n'est pas là pour nous parler de sa vie. Certes il aime les chats, possède un goût immodéré pour les gadgets de son temps, des fringues que tout le monde lui envie, des amis dans tous les Quartiers de la Cité, mais ce n'est pas le sujet.

Stark a un boulot. Lequel ? Cela non plus n'est pas le sujet. Car " le sujet " est un cadre. Une huile de la très sérieuse bureaucratie du Centre, Quartier où la vie des habitants est réglée à la seconde par une frénésie de travail. Et ce sujet est donc éminemment pressant. Le cadre en question a disparu, et de toute évidence, Stark est l'homme de la situation pour mettre le grappin sur ses ravisseurs.

Mais les évidences ne font pas partie de la vie de Stark. La Cité, vaste mégapole découpée en Quartiers autonomes, révèle rapidement qu'un seul Quartier peut abriter le disparu, et personne n'en est ressorti vivant depuis des générations. Du simple enlèvement, la situation se transforme en crime parfaitement organisé. A moins que l'intuition de Stark ne soit la bonne ? Quelle intuition ? Ce n'est pas le sujet. Enfin, par pour l'instant...

Un adepte du" Wait and See "

L'originalité d'Avance rapide tient autant à son sujet (que je ne tiens pas à déflorer, vous l'aurez compris) qu'au traitement qui en est fait. Stark, le héros de ce livre, a furieusement tendance à ne pas anticiper les évènements. Faire des plans n'est pas dans ses habitudes, et il préfère gérer les situations à l'instinct. Aussi Marshall Smith ne confie-t-il que le strict minimum sur ses impressions, entretenant le mystère autour de ce héros dont la vie semble être une cavalcade permanente dans les emmerdes. Une construction irréprochable !

Les trois " J "

La vie de chroniqueur est souvent un long fleuve tranquille. Parfois trop tranquille : la lecture érigée en art de vivre pourrait devenir un automatisme sans saveur si on ne pouvait compter, au milieu de quantités d'ouvrages, sur de véritables bijoux. A mon sens, Avance rapide fait partie de ces joyaux.
Pour continuer dans la métaphore aqueuse, on pourrait dire ceci : l'imaginaire est une sorte d'océan sur lequel on navigue sans horizon. Avance rapide appartient aux œuvres qui perturbent méchamment votre croisière. Adieu soleil radieux et bonjour tempête ! On en prend plein la figure, de tous les côtés, et quoique l'on fasse, on se fait dépasser par la force des éléments. Le voyage serait certainement frustrant s'il devait s'achever sur un naufrage. Mais le génie de ce roman réside dans ce qu'il est à la fois la tempête qui redonne du sens à votre escapade, et le phare qui vous apparaît dans le lointain pour vous guider, à bout de force, vers un horizon de bonheur.

Alors, si vous ne devez lire qu'un seul bouquin cet été, si votre sac à dos ne vous permet d'embarquer qu'un seul livre, si vous voulez convertir un(e) ami(e) à la SF, si vous êtes un vieux briscard (vieille briscarde ?) de la SF fatigué(e), si votre poisson rouge s'appelle Archibald, si vous aimez la pizza froide, si le bonheur a déserté votre vie, si vous avez enfin renoncé à la télé, et pour toute autre raison valable ou non, choisissez Avance rapide.
Ce roman est une merveille intégrale qui vous désarme et vous renforce, qui vous ôte tous les mots de la bouche à l'exception de votre exclamation préférée. Je résumerai mon sentiment avec les trois " J " : jubilatoire, jouissif et j'y retourne !