" Dites 33… C'est grave docteur ? ". Où en est la SF française? C'est avec cette question essentielle que le rédacteur en chef de Bifrost est revenu en novembre de la grand messe annuelle et hexagonale des Utopiales à Nantes. Question d'autant plus essentielle qu'en la matière Bifrost et les éditions du Bélial en sont des acteurs de premier ordre. Dans son édito court et pertinent (c'est un édito et non une préface, c'est normal que ce soit court) Olivier Girard dresse deux constats. D'abord qu'au niveau éditorial une génération est passée. Les animateurs de la SF en France dans les décennies 60, 70, 80, 90 ne sont plus ou presque. Les Sadoul, Goimard, Chambon ou Demuth sont partis à la retraite ou nous ont quitté, laissant en arrière garde Gérard Klein (Le Livre de Poche) et Patrice Duvic (Pocket, Fleuve Noir). Deuxième constat : qu'après de belles années d'euphories, être auteur français de SF et vouloir publier ses textes aujourd'hui est un âpre combat et une question de chance tout autant que de relations. Et l'on ne parle pas des jeunes auteurs qui n'ont jamais encore publié. La raison est évidemment commerciale. Editer des écrivains francophones peu connus n'est pas rentable. En poussant un peu plus loin son analyse, on dira que le phénomène ne date pas franchement d'hier. Il n'y a qu'à voir comment le nombre d'anthologies a chuté ces derniers mois et combien de jeunes auteurs sont apparus. Peu, très très peu. Il devient évident que les portes éditoriales se sont petit à petit fermées pour ceux qui aimeraient débuter aujourd'hui (la situation n'est pas franchement meilleure pour les " aînés "). Il ne reste guère que certaines éditions comme l'Oxymore pour donner encore un peu de voix en ce qui concerne les débutants. Et pourtant, il y a foule. Pour le prix de la découverte organisé par ActuSF en 2003, nous avons reçu plus de 230 textes d'auteurs qui n'ont jamais été publiés… Reste que pour l'heure, personne n'a vraiment de remède. Comme le dit Olivier Girard, " quel médicament prendre " pour soigner ce mal. Tant qu'il sera économique (plus que qualitatif au fond), il sera difficile de le combattre.

Une déprime qui donne faim…

Reste que de son côté Bifrost semble plutôt en pleine forme. Ce numéro 33 possède de quoi régaler les lecteurs, ne serait-ce qu'au niveau des nouvelles. On saluera en premier lieu la short short story de Jean-Jacques Girardot. D'abord parce que c'est un genre qui se perd. Ensuite parce comme toute bonne short story, sa chute est étonnante. A savourer également la nouvelle de ce diable de Xavier Mauméjean. Après son récent L'Ere du dragon chez Mnémos, l'auteur de La faim du monde a imaginé comment régler les conflits de la planète : par la bouffe ! A chaque tension grave, l'ONU fait appel aux services de cuisiniers de hautes volées. A coup de petits plats, ils sont chargés de réconcilier les chefs d'Etats. Une idée simple et chouette a priori mais qui comporte également sa part d'horreur…

La nouvelle de George R.R.Martin est également inquiétante et presque culinaire (il est beaucoup question du régime végétarien d'un des personnages principaux). Dans l'Homme en forme de poire (Prix du Bram Stocker Award), il nous conte comment un des étranges voisins de la jolie Jessie va la rendre complètement folle. Un être qui semble pourtant un peu benêt mais qui l'angoisse de plus en plus. Une nouvelle bien menée et qui nous entraîne vite dans cette situation un peu folle.

Très bon !

Ce numéro 33 de Bifrost est excellent. Trois des quatre nouvelles qui sont au sommaire méritent qu'on s'y attarde pour leur qualité. Et principalement celle de Xavier Mauméjean pour son originalité (Y'a encore de l'espoir pour la SF française !). Côté Carnets de bord, on se régalera de l'interview de Jean-Pierre Hubert (encore lui ? Cf le dossier dans Galaxies) et du long texte de Brian Aldiss. Quant aux esprits moqueurs, ils se précipiteront sur le Razzies 2004, le prix du " Pire " (romans, nouvelles, traductions…) décerné par Bifrost chaque année. Et il y en a pour tout le monde : Bragelonne, SF Mag, Nestiveqnen, Mnémos, Galaxies, J'ai Lu, L'Atalante… On ne vous dit que ça ! Un 33ème numéro à lire de toute urgence.