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Blade
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Blade

La série des Richard Blade aura bientôt 40 ans, puisque le premier roman signé Jeffrey Lord est sorti en 1969. Comme bien des séries populaires depuis l’ère de « Doc Savage », il naquit du travail d’un éditeur cherchant une nouvelle franchise : Lyle Kenyon Engel, grand fournisseur de séries « clé en mains » dont il assurait la continuité et lui-même auteur de guides pratiques sur le cyclisme (!). Il s’agissait de mêler un héros à la James Bond, inspiration numéro un du personnage, à un genre alors florissant : l’héroic-fantasy, sur le modèle de la saga des Gor de John Norman, d’où Blade tire un comportement plutôt machiste avec la gent féminine (du moins au début !). L’aspect science-fictionnel vient d’un auteur présent lors des réunions préparatoires et qui, s’il n’écrivit pas lui-même de Blade, donna l’idée d’un homme voyageant dans d’autres dimensions par le biais d’un ordinateur ; un écrivain légèrement connu du nom de Philip K. Dick… Pour l’aspect Bondien, outre l’origine très Anglaise de Blade, les premiers épisodes comprennent une partie décidément rétro en contexte de guerre froide, avec ses méchants Russes et ses espionnes fatales. Un aspect qui passera rapidement à la trappe …

L’équipe de base est alors constituée :

Richard Blade. Etudiant d’Oxford. Au fil des versions, il connut une carrière de vingt ans au sein du MI6 avant d’être recruté pour le projet DX, qui au départ se dénommait Projet Chronos ; dans la version actuelle, il est contacté par J alors qu’il s’ennuie sur les bancs de la vénérable faculté. On sait de lui qu’il mesure deux mètres (et un centimètre !), est d’une condition physique et intellectuelle hors du commun, a des cheveux blonds châtain bouclés, des yeux bleus et porte la barbe. Pour des raisons mystérieuses, il est le seul a pouvoir effectuer régulièrement le voyage entre les dimensions et en revenir intact… voire en revenir tout court, les premières expériences n’ayant été guère concluantes ! Il est « accro » à l’adrénaline et l’aventure et, donc, dévoué corps et âme au projet, qui l’oblige à être d’astreinte 24 heures sur 24.

Directeur d’une section opérationnelle du MI6, dont il deviendra le chef. Grand bourgeois très British flegmatique, roux, la moustache, fumant le cigare, toujours impeccablement vêtu, franc-maçon Ayant repéré les possibilités incroyables de la découverte de Lord Leighton], il est à l’origine du Projet DX et a assez d’entregent pour soutirer au 10 Downing Street les sommes phénoménales qu’il nécessite. Ses sentiments envers Blade sont ambigus : d’un côté, il a une grande affection pour celui qu’il considère comme son fils spirituel, mais de l’autre, il sait qu’un jour, il devra se séparer de celui qui reste son subordonné, qui risque sa vie à chaque mission. Dans les dernières aventures, il a hérité d’une fille adoptive, Cecilia Godhill, (fille naturelle de deux agents morts en mission), analyste au sein du MI-6.

Lord Leighton, Balthasar Onésime de son petit nom. Savant électronicien de génie qui a conçu entièrement le projet DX et dut quitter la prestigieuse Royal Society (La prestigieuse académie des sciences britanniques, la première du monde) pour s’y consacrer Mais ce cerveau brillant fut très jeune atteint d’une maladie neuro-dégénérative - proche du syndrome de Lou Gehrig qui affecta Stephen Hawkins, lui aussi membre de la Royal Society - qui lui donna un corps contrefait (le Leighton des origines est bossu !) avant de le clouer à vie dans un fauteuil roulant. Sa condition, et le fait que son génie ne soit pas reconnu comme il le mérite, lui donne un caractère irascible assez pénible. Il n’a pas de vie privée et on ne sait rien de lui en-dehors de ses activités au sein du projet.

Le Projet DX lui-même : les locaux se trouvent dans un laboratoire situé sous la Tour de Londres (on apprendra dans l’épisode 177 qu’il n’est pas le seul à s’y abriter, mais fait partie d’un complexe de recherches.). Un ascenseur permet de se rendre dans cet endroit bien gardé par le Special Branch. Son but est d’emmagasiner des renseignements sur les alterdimensions dans le but de pouvoir y retourner lorsqu’on aura trouvé d’autres cobayes afin d’entretenir le vieux rêve impérialiste britannique et le souvenir de l’Inde britannique cher au victorien J. A l’origine, il s’agit de trouver les moyens de replacer le Royaume-Uni à la tête du concert des nations. Mais pour ça, il faut régler le problème N°1 du projet : le fait qu’on ne peut ni emmener, ni ramener le moindre objet des alterdimensions ! Une particularité qui fait que notre agent secret est obligé de débarquer – et de revenir – dans ses nouveaux mondes en tenue d’Adam… (Et ce vingt-cinq ans avant « Terminator » !)

Au fil du temps, des personnages secondaires plus ou moins importants sont apparus :

John Shadwick. « Jeune » laborantin « prêté » par une firme chargée de revamper les ordinateurs du projet. Un provisoire qui dure depuis dix ans… Physique de boutonneux, chevelure largement raréfiée et filasse, perpétuellement en blouse blanche et nœud papillon, il est devenu l’assistant… et le souffre-douleur de Lord Leighton ! Or il a prouvé qu’il n’était pas qu’un « crâne d’œuf » et prend une importance croissante au sein de la série. Comme Blade, il est « accro » au projet et a renoncé à toute vie privée pour s’y consacrer.

Elin Sandberg. Jeune Suédo-Britannique recrutée par J, et qui peut également supporter le voyage interdimensionnel. Mais les dangers des dimensions X l’ont rebuté, et elle n’apparaît plus qu’épisodiquement.

Le premier tome, La hache de bronze, paraît donc en 1969 aux USA. La série devait durer Outre-Atlantique jusqu’en 1984, date où parut le 37ème tome, Warriors of Latan. Divers auteurs se succédèrent sous le nom de plume de Jeffrey Lord : Roland J. Green (auteur de space-ops militaristes et de plusieurs romans de la série Conan le Barbare), Ray Nelson (scénariste du Invasion Los Angeles de John Carpenter d’après une de ses nouvelles !) et Manning Lee Stokes (spécialiste des « pulps » et du sous-genre dénommé « Men’s adventure » avec des romans de la série Nick Carter sous le pseudo de Ken Stanton, saga également chapeautée par Lyle Kenyon Engel, mais aussi d’innombrables polars et romans d’espionnage, dont certains furent traduits chez Ferenczi ou même dans la prestigieuse Série Noire (Un trou dans l’herbe). Décédé en 1976.) Entre-temps, le phénomène Gérard de Villiers s’était emparé de la série…

Quoi qu’on puisse penser du personnage, le cas De Villiers en fait une créature à part dans l’édition. Grand reporter, il se lança d’abord dans le polar, mais dans les années 60, l’espionnage était à la mode dans un contexte de guerre froide. De Villiers créa alors l’agent secret d’origine Autrichienne Son Altesse Sérénissime Malko Linge alias SAS. Bouleversant les codes poussiéreux de l’espionnage à papa hantant les halls de gare (notamment la très populaire collection du Fleuve Noir) tout en gardant l’aspect manichéen du genre, sa série choisit l’inverse de la version intellectualisée et post-moderniste de John Le Carré. Ses romans se distinguaient par une documentation impressionnante donnant l’impression d’être au cœur de l’actualité et une action plus trépidante, ponctuée de scènes de sexe complaisantes souvent teintées de sadisme. Publiée chez Plon, la série — louée en son temps par nul autre que le « pape du polar » Michel Lebrun — connaît aussitôt un succès phénoménal. Près de 180 ouvrages plus tard, la série continue de publier ses quatre  titres par an, et fut adaptée au cinéma (de façon fort peu heureuse…) et en bande dessinée (On pourra trouver un surprenant « éloge de Gérard De Villiers » par l’excellent auteur Jérôme Leroy.

Sentant le filon, Plon crée alors un label Gérard De Villiers. L’axe en est simple : des séries dites « de hall de gare », vouées à être méprisées par la critique et dévorées par le public. Le plus beau « coup » éditorial (on ne peut parler ici de réussite artistique) fut certainement la série Brigade Mondaine, qui continue à avoir des ventes que certains ténors pourraient envier et créa ce que Michel Lebrun appela avec ironie la « Brigadomanie », tant les autres éditeurs sautèrent sur le filon en usinant des « Flics de choc » et d’innombrables équivalents. La seule de ces séries ayant survécu est « Police des Mœurs », chez… Gérard De Villiers, qui connut également une adaptation cinématographique plus proche du nanar. Plus tard, De Villiers éditeur devait prendre des risques, créant l’excellente collection Polars USA, qui révéla entre autres Joe Lansdale et Georges Pelacanos, puis une collection fantastique à auteur unique : Serge Brussolo. Mais malgré la qualité de l’un comme de l’autre, le lectorat ne suivit pas… On peut également noter que la série populaire Le Poulpe, qu’on ne présente plus, fut conçue comme une antithèse de SAS ! Un projet un peu fou, malheureusement enterré, visait d’ailleurs à faire un « crossover » où les deux personnages se rencontreraient…

Mais aux grandes heures, le label De Villiers, puisant dans la quantité invraisemblable de séries existant outre Atlantique, donna également dans le polar ultra-violent (« L’exécuteur »), l’humour délirant (« L’implacable », jouissive parodie de super-héros mâtinée d’arts martiaux qu’il faudra redécouvrir un jour), l’espionnage (« Le Mercenaire »), le polar (« Le Celte », dernière création originale en date), le Space-Opera (« L’aventurier des étoiles de E.C. Tubb, puis les « Rohel » de Pierre Bordage, alors débutant !), le post-apocalyptique (« Le survivant », « Jag », série Franco-Française étendant l’univers de deux romans du Fleuve Noir Anticipation publiés par Christian Mantey et Pierre Dubois sous le pseudo du Buddy Mathieson (!), où officièrent également Joel Houssin, Serge Brussolo et Jacques Barbéri ; série dont le numéro de lancement parut au dos du… Blade N°47 ! ) et l’Heroïc-Fantasy avec devinez qui...

Or ces séries traduites (souvent par Françoise-Marie Watkins, à la productivité légendaire) finissaient par s’arrêter aux USA, alors que leur succès en France ne se démentait pas. Que faire, sinon acheter les licences et les faire continuer par des autres auteurs locaux parfois affublés du titre de traducteur ? Le jeu de « qui a écrit qui » est désormais bien connu, mais il n’y a point de mystère : dans le cas de Blade, c’est le prolifique Richard D. Nolane qui se chargea de prendre le relais. Celui-ci était ami de Jimmy Guieu, qui lui fit rencontrer l’éditeur Jean-Paul Bertrand. Un autre projet commun ayant capoté, Bertrand proposa à Nolane de reprendre la série des Blade, mais en reprenant le pseudo de Jeffrey Lord : les contrats, aujourd’hui résolus, comportaient même une clause d’anonymat ! C’est ainsi qu’après un imbroglio juridique, « Les aériens de K’tar » finit par sortir en 1983. Nolane écrivit 21 volumes avant de se fâcher avec Jean-Paul Bertrand et jeter l’éponge tout en continuant à traduire la série des Dumarest d’E.C. Tubb et fut remplacé par Gérald Moreau. En 1990, Nolane fut rappelé en catastrophe par Bianca Von Heiroth, directrice ayant repris ce qui était devenu les éditions Vauvenargues : Gérald Moreau écrivant également la série « L’exécuteur », il ployait sous la tâche ! Ayant négocié un contrat d’adaptateur sous son vrai nom d’Olivier Raynaud et la possibilité de partager la tâche avec d’autres auteur, il abandonna en 1996 sur le numéro 111, « La lame du maudit » pour pouvoir passer à autre chose — après 43 romans. Depuis, Nolane est devenu un scénariste de bandes dessinées à succès. On peut trouver sa biblio complète ici.
Depuis, divers auteurs se sont succédés, certains ayant une œuvre personnelle, comme Yves Bulteau, Nadine Monfils (« La malédiction des ombres ») ou Christian Mantey. Le contexte de guerre froide vite oublié, la série finit par perdre de son machisme d’un autre âge et mêler fantasy et science-fiction. Ces dernières années, se sont succédés Arnaud Dalrune (ex-collaborateur de Jimmy Guieu sur la série des Chevaliers de lumière) et Yves Chéraqui (auteur d’un ouvrage sur… Galilée !), ce dernier finissant par battre Nolane en termes de productivité. Certains auteurs ne firent que passer, créant des problèmes de continuité parfois remarqués par les fidèles lecteurs…

L’année 2007 fut l’année de tous les bouleversements pour la série. D’abord avec la mort de l’illustrateur de toujours Loris Kalafat, auquel il fut rendu hommage dans l’épisode 179. Nouvellement recruté depuis l’épisode 177, l’auteur Patrick Eris conseilla l’illustrateur et graphiste Nemo Sandman, qui avait fait les couvertures de ses « Fils de la haine » et « L’autobus de minuit » : celui-ci se chargea de moderniser la présentation tout en restant dans la continuité de la série. Puis Yves Chéraqui finit par déclarer forfait à son tour. Il fut opéré une grande refonte de la série pour l’adapter au XXIe siècle : l’ère du « Dark Knight » n’étant plus celle des héros invincible, les deux auteurs rescapés travaillèrent à humaniser le personnage et, en même temps, à harmoniser une bonne fois pour toutes son « background » et à créer une véritable continuité d’un épisode à l’autre. Tout en restant un héros, Blade est désormais autant un ambassadeur qu’un guerrier, faillible et sujet au doute, dont le rôle consiste avant tout à éviter le pire. Ses aventures peuvent l’amener aussi bien dans des univers ultra-technologiques que primitifs. Signe des temps, Richard Blade a désormais son  Facebook où on peut admirer le travail de Nemo Sandman et où les fans dialoguent directement avec les créateurs. Mutans mutandis, ce qui se pose comme la dernière survivante des séries populaires d’imaginaire sera honorée lors d’une conférence/débat au festival de Sèvres, samedi 12 décembre 2009, en présence des auteurs, de l’illustrateur et de Richard D. Nolane.

On peut retrouver la série ici

Thomas Bauduret

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