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Blind Lake

Robert Charles Wilson ( Auteur), Manchu (Illustrateur de couverture), Gilles Goullet (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : 
Date de parution : 31/08/2009  -  livre
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Blind Lake

Après le succès de Spin et la réédition de Bios et d’Ange mémoire dans la même collection, Gallimard se devait de faire paraître en poche Blind Lake paru chez Denoël quatre ans plus tôt. C’est avec un regard plutôt rétrospectif que l’on jugera donc l’une des œuvres de celui qui remporta le prix Hugo 2006. Blind Lake reçut le prix Aurora du meilleur roman anglais en 2004.

Révélé par Mysterium, lauréat du prix Philip K. Dick 1994, Robert Charles Wilson publie Blind Lake en 2003 après deux romans majeurs que sont Darwinia (1998) et Les Chronolithes (2001). Blind Lake remporta un vrai succès d’estime, mais il fallut attendre le premier roman de la série Axis pour consacrer le talent de l’auteur canadien.

La recette : de la hard SF moderne, en prise avec la science de son temps (les exoplanètes), les amateurs de Spin ne seront pas déçus par la thématique. Même thème de l’enfermement : dans Spin, les humains étaient reclus sur leur Terre, privés de leurs astres habituels, dans Blind Lake, des scientifiques et des journalistes sont mis en quarantaine dans un centre dédié à l’Observation d’exoplanètes habitées. Mêmes  technologies mystérieuses et mêmes manipulations extraterrestres : comme dans Spin ou les Chronolithes, les humains constatent les effets de la présence d’autres formes de vie sans savoir jusqu’à quel point les humains peuvent en être les victimes.

Des Yeux débridés

Après avoir publié une biographie décriée sur un magnat de l’industrie biogénétique, le journaliste Chris Carmody est au bord de la crise de nerf. Sa seule issue de secours professionnelle est son enquête menée avec une journaliste de renom sur l'observatoire spatial révolutionnaire à Blind Lake, Minnesota.

Comme à Crossbank, un télescope dernier cri, "l'Oeil", fondé sur des technologies quantiques de coévolution bioinformatique, permet de suivre visuellement à la trace le passé quotidien de différentes formes de vie  sur des exoplanètes situés à quelques dizaines d’années-lumière.  Des scientifiques de tous bords sont réunis à Blind Lake pour étudier ces phénomènes apparus de façon inexplicable. D'un côté, la presse est fascinée par la découverte de l'intimité de mondes lointains, d'un autre côté, les autorités craignent la possibilité de virus informationnels susceptibles de détruire ou modifier les formes vivantes terrestres.

A leur arrivée au centre de Blind Lake, un phénomène étrange se produit : toutes les communications avec le monde extérieur sont coupées. Le centre est mis en quarantaine. Quelque chose a dû se produire à Crossbank. Chris Carmody tient enfin son scoop. S’il en réchappe…

 Blind luck

R. C. Wilson maîtrise bien son sujet. On campe les personnages principaux, le groupe de journalistes, les parents divorcés de la petite Tess, aux tendances schizophrènes. Dans une atmosphère glaciale et enneigée, on organise la séparation progressive avec le monde. Et on place les protagonistes seuls face à un mystère technologique qui scelle le destin de l’humanité. Le début est un plutôt convenu et lent, pour ne pas dire lourdingue, mais, peu à peu, l'action et la chimie des sentiments va dynamiser le récit qui finit dans un vrai feu d'artifice conceptuel.

Les personnages, semi-dépressifs, sont marqués par la vie. Ils se font peu d’illusions sur leurs compétences, sur leur sort et sur leur espèce. Pas d’enthousiasme juvénile. Une lucidité froide, désabusée et pleine de fatigue. Autour d’eux, la situation n’est pas mirobolante. L’isolement progressif de Blind Lake, le froid, la neige et les cadavres de ceux qui ont tenté de s'échapper. Pour Chris Carmody et les scientifiques du complexe de Blind Lake, c'est une nouvelle épreuve à subir. Un dernier fardeau.

La seule note d'espoir, la seule touche d’optimisme, vient de l'Œil, une merveille technologique qui permet d'explorer dans le détail des mondes lointains. C'est le rayon de créativité qui stimule l'imaginaire des scientifiques blasés, noyés dans leurs tâches administratives. C'est le catalyseur de rêves d’enfants de cette communauté d’humains, fatiguée de vivre ensemble. Marguerite Hauser, qui poursuit du regard le Sujet, un extra-terrestre aux gestes lents, est divorcée. Elle est persécutée par son ex, Ray Scutter, qui se trouve propulsé à la tête du complexe scientifique. Il réclame la garde de leur fille Tess, marquée du syndrome d'Asperger (autisme avec QI verbal élevé) et qui entend la voix de son double, qui lui pose d'étranges questions. Cette technologie, à la limite du vraisemblable tant elle est en avance sur son temps, est la dernière raison de vivre et de rêver des hôtes du lazaret astronomique. Des hôtes qui voient si loin et qui restent aveugles devant ce qui se trame autour d'eux.

La narration est totalement en phase avec cette atmosphère de réclusion et de lassitude. La vie quotidienne est plutôt terne, convenue. Robert C. Wilson n'est pas à l'aise dans la psychologie du quotidien. Mais dès qu’on aborde l’explication scientifique ou le phénomène inattendu, R.C. Wilson sait piquer la curiosité du lecteur et trouver des accents lyriques. Il en tire parti pour hausser le débat et proposer des pistes de réflexion scientifique ou métaphysique intéressantes. L’auteur s’adresse à l’intelligence du lecteur, bien plus qu’à son émotion, mais certains lecteurs peuvent être émus à la découverte d'une construction conceptuelle esthétique (mode de reproduction des "étoiles de mer" du roman dans l'univers, réversibilité des processus de vision, etc.).

R.C. Wilson assemble tous les ingrédients d'un bon thriller (enfermement, personnages border line imprévisibles, situation de danger, liaison amoureuse) et les égrène avec maîtrise, mais c'est au point que les mouvements des personnages et les chapitres suivants en deviennent prévisibles. Là où l'auteur nous surprend, et c'est le point fort du livre, c'est sur l'intrigue SF, le final, le pourquoi de ces technologies et de  eurs effets surprenants. Il franchit alors des frontières qu'il ne s'est pas autorisé dans la partie "réaliste" du récit. On regrette alors qu'il se soit attardé sur le scénario conventionnel et qu'il n'ait pas insufflé plus tôt l'élan épique et imaginaire qui est à l'origine de l'oeuvre. Mais à ce souffle-là qu'on doit mesurer le grand talent de visionnaire et de conteur de R.C. Wilson.

Sur le plan moral, peu de leçons de vie à retenir, plutôt une grande leçon sur la vie. Les héros s'en sortent par pur hasard (blind luck). Ils n'ont agi qu'à la surface des choses. La science produit du bien et du mal suivant l'avancement culturel de notre espèce. L'homme est bien aveugle de se placer au centre de l'univers. Le vivant a vocation à faire le lien entre les masses qui émergent du vide . A l'instar de la gravitation, c'est une force de rappel contre l'inflation accélérée de l'espace. L'humain, comme certains aliens, n'est simplement pas encore mûr pour l'accepter. Mais le jour où il sera prêt...

On entre dans le livre blasé, déçu de vivre dans un monde étriqué. On en sort rassuré, plus intelligent et confiant dans la capacité qu'ont l'univers et le vivant de nous émerveiller.

Ça vaut la peine d'y entrer, non ?

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