Charlie, souris rêveuse...
Charlie est une souris au tempérament solitaire, vivant reclus dans un immeuble en périphérie de la ville. Scribouillard fort peu prolifique, as de la feuille blanche, artiste en gestation, il s’accommode d’un quotidien qui dissimule, sous le masque biaisé d’une grande liberté, une existence routinière et vide de sens. Et cela nous le rend sympathique d’emblée. Un jour, il reçoit la visite d’un petit oiseau qui se présente sous le nom de M. Solitude, et qui viendra lui rendre visite chaque fois que ledit sentiment se fera ressentir de manière trop prégnante. Sorte de Jiminy Cricket à bec et chapeau, l’oiseau est-il réel, ou une simple construction mentale ?
Par la suite, nous suivrons Charlie au gré de quelques événements ponctuant sa vie, au long des 80 pages de cette bande dessinée. Fort bien. Et qu’est-ce que ça raconte, tout cela, au final ?
Nous allons y revenir ; d’abord, attardons-nous sur le style graphique.
Un trait simple visant à mettre en avant la thématique de la solitude
On évitera, comme le font trop souvent certains, de parler d'un style "faussement" simple. Faire passer des émotions au lecteur par l’emploi d’un minimum de mots et d’un style graphique dépouillé, telle est la véritable simplicité. Et le résultat peut être plus que probant ! Disons-le : le trait est SIMPLE. Et cela fonctionne.
Le trait est donc assez dépouillé, d’une simplicité que viennent à peine chambouler les hachures nerveuses régulièrement usitées par l’auteur-illustrateur. Renaud Dillies fait preuve d'un certain sens du cadrage, et les couleurs de Christophe Bouchard sont propices à renforcer les atmosphères. Et cette authentique simplicité est assumée par l’auteur, qui met de côté le souci de vraisemblance afin de se focaliser sur la thématique de la solitude…
Poésie, onirisme, solitude...
Et ainsi on en revient au fond. Qu’est-ce que ça raconte, tout cela, au final ?
Il ne convient pas de se poser la question de cette façon. Elle ne raconte, pour ainsi dire, rien de bien éblouissant, mais l’intérêt est ailleurs. En fait, osons immédiatement un parallèle avec Charlie : celui-ci échoue perpétuellement à coucher son histoire sur le papier, mais on est touché par sa sensibilité, le malaise qu’il éprouve, sa profonde solitude et ses aventures oniriques. Bulles & nacelle est à cette image : elle ne raconte pas véritablement d’histoire, mais on est touché par la poésie qui s’en dégage et les errances de son personnage principal.
Ne cherchez pas au gré de ces pages de trame scénaristique fouillée et complexe. Il n’y en a point. L’arête du scénario n’est en réalité qu’un prétexte au véritable but de cette bande dessinée : mettre en scène la solitude sous tous les aspects que celle-ci peut prendre. De la bonne solitude assumée qui vous rend libre comme l’air à celle qui vous ronge, à quatre heures du matin, quand seules de bonnes rasades de whisky pur malt peuvent lénifier ce sentiment de moisir au fond d’un trou sombre, nauséabond et sans fond. Ce vieux sentiment qui a pu malmener certains d’entre nous et duquel notre sympathique rongeur ne semble pas vraiment loin, à l’instar de ces premières pages où l’aspect manifestement grisant de cette soi-disant liberté se mue en la profonde lassitude d’une éternelle routine …
Une BD destinée à certain public...
Sous le couvert d’un certain ordre, d’un agencement cohérent, cette BD se veut plus proche d’une bulle flottant de manière erratique, sans plan et sans destination, presque sans fil conducteur… Et c’est bien, car c’est ainsi que la démarche de l’auteur fonctionne. Renaud Dillies est parvenu à fournir un cadre propice au sentiment qu’il voulait mettre en exergue. Il en ressort une œuvre d’un style bien plus contemplatif que narratif. Mais ceci n’est aucunement un défaut ; simplement, Bulles & nacelle est bien plus susceptible de toucher un public familier de ce type de bandes dessinées.
... qu'elle saura charmer.
À tous ceux qui cherchent le photoréalisme, un scénario ficelé et une véritable intrigue, passez votre chemin : les atermoiements et rêveries de notre bon Charlie ne sont pas de nature à vous plaire. En revanche, si vous aimez la simplicité du trait, l’atour contemplatif teinté d’une poésie subtile, l’onirisme, et si, vous aussi, vous passez vos nuits d’insomnie à refaire le monde sur papier, à la gratte ou dans les méandres de votre imagination, notre brave souris vous sera un compagnon agréable durant la lecture de cette bande dessinée
À n'en pas douter, il y a en Charlie beaucoup de Renaud Dillies, qui semble avoir utilisé un cadre purement fantaisiste pour dévoiler des pans entiers de son expérience personnelle – qui ne sont pas propres qu'à lui-même, d'ailleurs. C'est aussi cela, Bulles & nacelle. La plongée dans l'univers de l'artiste, de ses errances, de ses difficultés, de sa solitude, oui, cette solitude parfois si douloureuse, prélude nécessaire à la création artistique...
... et compagne d'un auteur à suivre.