Chers amis, après le succès de nos guides précédents (C.D.I. : Comment Devenir Impubliable ? et C.P.E. : Confessions d'un Pragmatique de l'Ecriture), nous avons décidé, après une concertation avec nos partenaires sociaux, de livrer en pâture au public notre C.D.E. : Comment se Débarrasser d'un Editeur ?
Il est temps, aujourd'hui, d'admettre la situation tragique dans laquelle sont plongés nombre d'auteurs francophones de SF ayant trouvé, bien trop facilement, la voie de la publication et ayant signé, bien trop hâtivement, hors la présence de tout spécialiste des Propriétés Intellectuelles, des contrats d'exclusivité, assortis de clauses léonines, voire carnassières. Les dures lois du marché, conditionnées par la Main Invincible de la Critique, ont trop souvent conduit à pleurer sur les auteurs malheureux qui ne trouvaient plus d'éditeur ou qui perdaient leurs lecteurs pour n'avoir pas su se plier à la mode du moment (les trilogies du Macramé Céleste, le Pavé sur les Plages Lointaines, ou encore, le Cyber-Polar éjaculatoire). C'est oublier, un peu vite, les affres de ceux qui restent dans la course. Les plaintes de ces infortunés sont étouffées par la frénésie avec laquelle ils tapent sur leurs claviers, en croisant les doigts (ce qui rend leur situation d'autant plus poignante) pour parvenir à livrer à temps le roman qu'ils ont promis à leur éditeur. Neuf fois sur dix, il faut le savoir, ces auteurs ont été contraints d'accepter la pose d'un implant destiné à contrôler leur productivité. Cet « Avaloir », ainsi qu'on l'appelle dans le milieu, est généralement introduit, sous anesthésie générale, entre la quatrième et la cinquième lombaires. La plupart des modèles d'Avaloir intègrent une fonction de pincement du nerf sciatique, équivalent moderne de la flagellation.
La signature du contrat d'édition a un caractère recognitif : celui d'auteur productif. Malheur à celui qui, s'étant rendu compte que les choses allaient trop vite, qu'il n'avait plus que le choix entre livrer un texte inabouti et pondre une merde, tente de trouver une honorable voie de sortie. Alors que s'approche la Ligne de la Mort, jour après jour, il lui faut mentir à son éditeur, en lui disant que « ouais, putain, ça avance du feu de Dieu, tu vois, je le sens, j'ai déjà au moins 300.000 signes... ». Quant il ne se ment pas à lui-même, au moyen de puissants psychotropes. Vient alors le moment où l'auteur est à la rue (dans tous les sens du terme). Il n'a plus d'autre choix que celui d'admettre son improductivité, de manifester son désarroi, et espérer que son éditeur lui accordera une prorogation de délai. Las, neuf fois sur dix, l'éditeur, en raison de contingences propres à sa condition (que nous développerons dans une autre série de guides), fait appel à Littéral.Interim.com, une star-up spécialisée dans la découverte de jeunes auteurs aux dents longues, encore plein de sève, ou de vieux auteurs au dentier jauni, qui rêvent d'une dernière joute avec le public. Et là, c'est le drame : l'auteur improductif, placé en état de publication suspendue, sort du circuit. L'éditeur qui n'a pas été désintéressé fait, magnanime, un don conséquent à la Plume Rouge, puis passe autre à chose.
Des années plus tard, l'Auteur Productif qui était devenu Improductif, est enfin redevenu Auteur Tout Court, au prix d'une longue et ruineuse psychanalyse. Il a réappris, à l'ombre de ceux qui l'aiment pour ce qu'il est et non pour ce qu'il écrit, à être un arpenteur de rêve, un analyste pertinent du réel, un façonneur de mondes, et non plus le chef d'une entreprise unipersonnelle à but lucratif et à irresponsabilité limitée. Au comble du bonheur, il parvient à nouveau à terminer un texte, sans stress ni contrainte de temps. Celui-ci, forcément bon, car arrivé à maturité selon un rythme naturel, finit par attirer l'attention. Alors, dans cet instant de grâce, tout peut recommencer et il retombe très vite dans les affres de la surproductivité.
C'est pour aider les auteurs de tous les âges, de toutes les conditions, de toutes les chapelles, à sortir de ce cycle de dégénérescence implacable que nous avons fait ce guide. Nos enquêteurs ont pu entrer en contact avec les plus grands éditeurs et les plus gros distributeurs, ont recueilli, après de nombreuses suppliques et garanties, les témoignages des pensionnaires des établissements de la Plume Rouge. Tous nos rédacteurs ont choisi de signer leurs articles d'un pseudonyme collectif : Plutarque. Sans vouloir déflorer le contenu du guide, voici tout de même quelques-unes des consignes que nous proposons à nos lecteurs :
Ne jamais respecter les deadlines – Ne jamais accepter de signer de contrat avant la publication du texte – Refuser tout type d'Avaloir – Exiger trente exemplaires d'auteur, surtout pour les anthologies –Publier régulièrement des textes à titre gratuit et montrer que cela prend du temps – Envoyer son roman en fichier-joint – Harceler l'éditeur au téléphone dès le lendemain. Etc
« C.D.E. » renferme au bas mot une soixantaine de dispositions visant à faire de vous un auteur sans éditeur, sans contrainte de productivité, sans sollicitations, bref, un auteur libre. Enfin, chers lecteurs, nous sommes fiers de vous annoncer pour l'année prochaine, la préparation d'un quatrième guide consacré à l'art de réduire à néant et en un seul texte de moins de 10.000 signes (dictionnaire premier/second degrés inclus) toute la notoriété et le respect qu'on a pu obtenir en tant qu'auteur publié. Nous le titrerons : P.A.C. : Précis d'Abus de Confiance. Ne nous remerciez pas, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour abréger les souffrances d'un auteur condamné à livrer son texte à temps. Notre devise est et restera toujours la même : « Vanité, Je te Plumerai ».
Ugo Bellagamba