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Chroniques du Pays des Mères d'Elisabeth Vonarburg
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Chroniques du Pays des Mères d'Elisabeth Vonarburg

Trois questions à...

A l'occasion de la parution de Chroniques du Pays des Mères, le 8 novembre dernier aux éditions Mnémos, Elisabeth Vonarburg répond à quelques questions posées par Davy Athuil.

A noter que l'intrigue des Chroniques du Pays des Mères se déroule plusieurs siècles après les événements décrits dans Le Silence de la cité.

Davy Athuil : Chroniques du Pays des Mères sort de nouveau après le succès de la série La Servante écarlate. Deux textes sortis fin des années 80 et début des années 90, parlant tous les deux de femmes, et pourtant radicalement opposés. Votre propos est plus « ouvert » que celui de Margaret Atwood. Pourquoi ce choix ?

Elisabeth Vonarburg : Il n’y a évidemment aucun rapport entre la ressortie de l’un et le succès de l’autre. Il n’y a en fait guère de rapport entre l’un et l’autre, sinon dans la zeitgeist d’une époque. Les premières versions de Chroniques du Pays des Mères, qui ne s’appelait pas ainsi à l’époque, datent de la fin des années 70, je dirais 1977 ou 1978 (La Servante date de 84 ou 85 et je ne l’ai pas lu avant la fin des années 90, si j’en crois mes archives de lecture). J’avais lu un bouquin écrit par un homme (Charles Éric Maine, Alph, datant de 1958) tellement dystopo-misogyne, homophobe et invraisemblable que ça m’a rendue furax(e), dans le style “je me vais t’en écrire une, moi, une histoire où il y a plus de femmes que d’hommes, et ce ne sera PAS une dystopie — ni une utopie !”. Ça fait peut-être partie des romans qu’Atwood avait lus, qui sait. Peut-être aussi avait-elle lu, mais j’en doute encore plus, et elle n’a jamais dit non plus, le début de la splendide série Holdfast Chronicles de Suzy McKee Charnas (les deux premiers volumes sont parus en 1974 et 1978, les deux autres en 1994 et 1999). Ou n’importe lequel des romans écrits par des écrivaines féministes anglophones dans cette période-là – Sargent, Tepper, Elgin et autres, qui nageaient dans les mêmes eaux. C’était dans l’air du temps, du milieu des années 70 à la fin des années 90. Si mon propos est plus “ouvert”, c’est peut-être que j’étais mieux nourrie par la SF ? C’est peut-être aussi une question de génération et d’expériences personnelles un peu différentes ; il y a une certaine coupure entre les féministes nées avant la Seconde Guerre mondiale et celles nées après (Atwood en 1939, moi en 1947). Et des différences culturelles, pendant qu’on y est (Canada anglais/France).

Davy Athuil : Entre la dystopie et l’anticipation, vous avez choisi une version « positive » où les mâles ont peu de place. Une société de femmes. Et pourtant, vous offrez un texte s’appuyant surtout sur les relations interpersonnelles, l’histoire, la recherche d’un passé et d’un nouveau présent plus égalitaire. Entre 1992 et aujourd’hui, que pensez-vous de l’évolution des mœurs de nos sociétés contemporaines ?

Elisabeth Vonarburg : Comme je le dis plus haut, je ne voulais ni une utopie ni une dystopie, ni meilleure ni pire, mais différente – c’est bien plus difficile. Une “utopie ambigüe”, comme disait Le Guin en sous-titre de son roman Les Dépossédés. Inscrite dans le temps, et qui évolue – le contraire donc de l’utopie classique. Cela dit, les hommes y sont extrêmement importants, par leur rareté même. Et tout l’effort de ces sociétés du Pays des Mères (il y en a plusieurs versions, des Familles plus libérales, d’autres plus conservatrices, ce n’est pas une culture monolithique) consiste à essayer de garder un équilibre au moins symbolique, dans l’imaginaire (la religion, entre autres) entre le féminin et le masculin, les femmes et les hommes, pour qu’ils soient perçus comme également nécessaires à la pérennité de l’espèce humaine, et donc également importants, et ce dans des circonstances matérielles qui ne s’y prêtent pas (inégalité quantitative majeure). Les fictions doivent l’essentiel de leur efficacité à leurs personnages, et c’est encore plus nécessaire dans la SF où les concepts peuvent être particulièrement... exotiques et surtout où les mondes construits sont parfois très loin d’ici-maintenant : il faut que tout ça soit incarné, puisse susciter une lecture d’identification-projection. Alors, bien sûr, relations interpersonnelles, inscription dans une durée historique – passé, présent, futur –, qui offre la possibilité du changement.
La question devenant dans ce roman : comment gérer le changement ? Entre la fin des années 70 (et bien avant) et aujourd’hui, les mœurs de nos sociétés ont changé, comme c’est normal, plus vite et plus massivement peut-être qu’auparavant. Pour le mieux sous certains aspects, pour le moins bien, voire pour le pire, quant à d’autres, rien de tout cela n’étant jamais acquis. Mais je pense – puisqu’on me demande une opinion, hautement subjective – que, en ce qui concerne le changement, il y en a eu trop, trop vite, pas venu des bons décideurs ni pour les bonnes raisons, qu’on a pas mal raté le coche et que ça va tuer beaucoup, mais vraiment beaucoup de monde (entre autres disparitions du vivant). Je le pensais déjà dans les années 70 (dit la vieille madame percluse de rhumatismes) et c’est pour cela que les sociétés de mon Pays des Mères considèrent le changement (et l’initient) avec tant de prudente réflexion.

Davy Athuil : Lisbeï est une petite fille prodige. Intelligente, curieuse, tête de mule. Vous ressemblerait-elle à certains égards ?

Elisabeth Vonarburg : Pas du tout une petite fille prodige. Une petite fille raisonnablement intelligente, sans doute, rendue plus intelligente et curieuse que la moyenne par ses circonstances personnelles, et obstinée idem (ça va de pair avec la curiosité). Et comment des personnages d’une écrivaine ou -vain pourraient-ils ne pas leur ressembler de quelque manière ? (rires)

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