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Cité de la mort lente

Daniel Walther ( Auteur), Thierry Dubreil (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/03/2005  -  livre
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Cité de la mort lente

Daniel Walther est né en 1940 dans le Haut-Rhin. Homme de lettres et de mots, il commence à être journaliste aux Dernières Nouvelles d’Alsace avant de devenir critique et directeur de collection chez Opta. Il publie son premier texte professionnel en 1965 dans la revue Fiction. Depuis il a publié plus de deux cents nouvelles et une trentaine de romans aussi bien fantastiques que science-fictionesques, et a été par deux fois lauréat du Grand Prix de la SF française.

"Appelez-moi Orphée, pourritures, appelez-moi Orphée ! Donnez-moi à Zeus, ou livrez-moi aux bacchantes, aux ménades, que je sois brisé, comme un serpent de verre, démembré… "

2020, les Etats-Unis ont été anéantis par une attaque nucléaire d’envergure fomentée par des islamistes. L’Europe blanche et chrétienne récupère sa place de premier plan au sein de l’ordre mondial. Elle relègue ses idéaux démocratiques et met en place un système dictatorial inspiré de l’Opus Dei.

Freddy Breslauer est juif, il est embarqué un jour par les forces de l’ordre pour avoir touché de manière un peu trop démonstrative une jeune femme aryenne. On l’envoie dans ce qui ressemble fortement à un camp de travail nazi ou à un goulag soviétique pour qu’il effectue mille heures de travaux d’intérêt général. Il se rend donc sur le plateau d’Albion, dans le camp d’Europa Victrix, pour participer à l’élaboration d’une fusée qui va permettre aux Européens d’envoyer des hommes sur Mars. Il se lie rapidement d’amitié avec un intellectuel d’origine chinoise et s’attire alors les foudres du sergent-chef Weissgerber. Lorsque son voisin et ami se fait tuer, il décide de s’évader. Là, les vrais problèmes commencent. Comment a-t-il pu une seconde penser qu’il pourrait échapper à la loi, d’autant plus que les androïdes ne seraient plus un mythe ?

Une nouvelle percutante et sombre sur un monde dépoétisé et mécanique

La nouvelle de Walther fait froid dans le dos. Il situe son action dans un futur proche, si proche que nous avons l’impression d’être aux portes mêmes de cette politique-fiction, que le basculement vers ce régime dictatorial pourrait survenir d’un instant à l’autre. Grâce aux références à notre époque, à tout ce qui nous est contemporain, les résonances deviennent des roulements de tambour annonciateurs d’un monde à la dérive et à l’agonie. Le fanatisme religieux à force d’empiéter sur la démocratie l’a vaincue, les vieux démons du passé, les mêmes clichés nauséabonds, les mêmes discours haineux sont vociférés, les loups sont à nouveau sortis de leur tanière et cette fois, ils ont la puissance des dirigeants. L’angoisse de l’histoire qui transpire à chacune des pages de la nouvelle, sur fond de redite. Aucune leçon n’est tirée des fautes antérieures, le tragique réside dans l’éternel recommencement : les camps, la mise à l’écart des intellectuels, la race aryenne contre tout ce qui n’est pas blanc et chrétien, les libertés individuelles devenues une denrée chimérique. Un monde où l’on crève lentement mais sûrement, un monde dépoétisé, mécanique et qui se complait dans son agonie.

Le narrateur nous donne à lire les pages du journal secret de son personnage principal, un gars paumé et totalement désabusé, qui n’a aucun idéal, et qui n’attend plus rien, mais qui en dernier lieu réagit, pas franchement par volonté de contrer le pouvoir en place, ni parce qu’il a rêvé d’un autre monde, simplement par rébellion, presque par envie de faire chier, et encore. Pauvre Freddy Breslauer qui n’est rien, qui voudrait être Orphée, qui crie au monde de le démembrer, qu’enfin arrive le diasporagnos, mais qui est seulement un « faux juif, faux martyr, Orphée sans Eurydice, [qui ne peut que se remettre] en marche vers les Enfers ». Il est broyé par la machine infernale du Système. Pire que mort, encore vivant. C’est Zuleyka, la ravissante beurette qui offre son corps dans des scènes de cul qui redonne vie à Freddy, qui subira le sort d’Orphée, qui sera violée, déchiquetée de l’intérieur avant de se transformer en « une étoile spongieuse noire et rouge ». Métaphore de l’écriture éclatée, déchirée et violente de Walther, où la langue, maltraitée, vulgaire et parfois grotesque témoigne d’un monde en décrépitude d’où le poétique a été banni.

La qualité de la nouvelle de Walther m’a furieusement donné envie d’en lire d’autres de la collection Novella SF, et là douche froide : 12€90 pour un format A6 et quelques 120 pages c’est décidément beaucoup trop cher. Dommage, me direz-vous, que le prix, de mon avis plus que prohibitif, soit un frein à la découverte d’autres textes, mais mon portefeuille me remercie tous les jours.

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