Ce mois-ci, CoCyclics se penche sur un métier encore peu représenté dans la chaîne du livre française : celui des agents littéraires. En 2010, une enquête a été publiée par Juliette Joste (NDLR À l’époque, éditeur free-lance), afin de démystifier cette profession en fournissant un état des lieux des pratiques, des attentes et des craintes des acteurs du livre. Il en est ressorti que si le rôle d’un agent restait assez méconnu, leur nombre pouvait s’estimer à près de 250-300 en France. En 2016, le premier syndicat d’agents littéraires a été créé, preuve que cette profession n’en est plus à ses balbutiements.
Samantha Bailly (auteur de romans de fantasy et de romans contemporains : Oraisons, Souvenirs perdus, Les Stagiaires, Nos âmes jumelles...), qui travaille avec un agent littéraire depuis un an et demi, a accepté de répondre à toutes nos questions sur le sujet. Nous la remercions chaleureusement.

Pourquoi as-tu décidé de faire appel à un agent ?
Tout d’abord, je veux dire en préambule que dans les pays étrangers, l’agent est le médiateur quasi obligatoire entre un auteur et un éditeur. La France est une exception. Les éditeurs français publiant des ouvrages traduits de l’étranger ont l’habitude des agents pour leurs auteurs étrangers, mais c’est une pratique qui est peu répandue avec les auteurs français.
Cette décision d’être représentée par un agent littéraire est liée à mon parcours et à mes expériences éditoriales. J’ai signé mon premier roman lorsque j’avais 18 ans. J’en ai aujourd’hui bientôt 10 de plus. J’ai grandi aux côtés des éditeurs. J’ai peu à peu accédé à la chaîne du livre dans sa grandeur et sa complexité. J’étais à l’écoute des problématiques des éditeurs : la surproduction, la prise de risque permanente, les marges de chaque acteur de la chaîne du livre… Je voulais m’adapter, faire cohabiter ma passion avec la réalité. En parallèle de mes publications, j’ai ajouté à mon Master de Littérature un Master d’Édition, afin de comprendre comment l’on forme les éditeurs, mes partenaires de travail. On m’a parlé compte d’exploitation, imprimeur, librairie, diffuseur, distributeur… Mais ce qui m’a frappé peu à peu, c’est l’absence totale d’informations sur l’auteur. Que ce soit au sujet de ses processus créatifs, de ses droits ou de son statut social.
J’ai bientôt compris un fait : dans cet univers, on considère que tous les chaînons du livre sont des professionnels, sauf les auteurs, qui sont pourtant à l’origine du livre. J’ai commencé à (sur) vivre de ma plume en 2012, ce qui a été un tournant décisif. En plus d’écrire, j’ai commencé à m’intéresser à mon nouveau statut. J’ai donc fait un certain nombre de formations fiscales, juridiques, pour me professionnaliser. Je me suis rapidement rendu compte d’une chose : tant que l’auteur dit oui à tout, tout va bien dans la relation à l’éditeur. Quand l’on commence à négocier ou discuter, cela se complique. Car le rapport auteur-éditeur est à la fois éditorial, humain mais aussi économique. Cette partie économique est très souvent niée en France. Je ne suis pas friande de la vision manichéenne qui oppose l’auteur sincère, artiste véritable, insoumis et subversif, qui exerce son art dans une posture sacrifiée, et l’auteur commercial, bourgeois, qui a vendu son âme en se professionnalisant. Lorsque nous créons et signons un contrat avec un éditeur, nous faisons partie de l’industrie du livre. Que nous approuvions ou non ce système, notre ouvrage devient à la fois une œuvre littéraire et un objet économique.
L’éditeur a une double casquette, c’est un directeur éditorial, mais aussi un gestionnaire d’entreprise qui défend ses intérêts. Il y a un rapport de force, souvent voilé sous couvert d’affect et d’éditorial, qui est indéniable. Et rarement en faveur de l’auteur qui a peu d’informations et est souvent déjà trop heureux d’être publié pour oser discuter.
Également, lorsque les droits de mon roman Les Stagiaires ont été achetés pour le cinéma, on m’a proposé d’être scénariste sur le projet. J’ai alors compris qu’un scénariste sans agent était rarissime. La question est : pourquoi est-ce normal dans l’écriture de scénarios et pas de romans ? Ayant en plus cette expérience, il m’est apparu logique de séparer l’activité créative de l’aspect négociation/juridique/économique/administratif côté édition. À force d’essayer d’être sur tous les fronts, ma créativité s’épuisait. Et il se trouve que l’occasion de l’agent s’est présentée.
Comment as-tu rencontré/choisi ton agent ?
David Camus est une rencontre fortuite mais pleine de sens : un jour, à un salon, il a acheté le roman Les Stagiaires, l’a lu et aimé, et nous avons échangé durant des heures sur les personnages, nos valeurs humanistes, la société, les choix... À l’époque, David était éditeur et romancier. Peu après, il m'a présenté à son propre agent littéraire qui l'a, par la suite, engagé. Notre collaboration a alors démarré.

Quel rôle joue l’agent dans ta carrière d’écrivain ? Quelle est sa place dans la chaîne du livre ?
En fait, tout dépend des agents et du lieu où on se situe. À l’étranger, par exemple, on n’envoie pas son manuscrit directement à un éditeur, mais aux agents, qui jouent en fait le rôle du comité de lecture. Si l’agent retient le texte, il cherchera l’éditeur qui conviendra, avec sa connaissance du milieu, des forces et spécificités de chacun. Être agent, c’est savoir mettre en relation l’auteur et l’éditeur sur tous les aspects, humains, éditoriaux et contractuels. Et un contrat d’édition, c’est très important : c’est le lien juridique et économique qui va lier l’auteur et l’éditeur dans le temps. À ne jamais sous-estimer. À mon sens, l’agent est un médiateur qui permet de soigner un mariage heureux entre l’auteur et l’éditeur, et d’équilibrer les prérogatives de chacun. Il agit en ce sens comme le gardien des intérêts de l’auteur. Après, je n’ai que ma propre expérience, et je sais qu’il existe différentes visions du métier d’agent.
De quelle façon travailles-tu avec lui ?
Nous parlons. Beaucoup. D’idées, de projets, de la vie. J’écris mon roman, dans mon coin, seule. Puis je lui fais lire, et nous retravaillons ensemble durant des mois, parfois plus pour certains projets qui demandent plus de recul. Il y a donc une réelle direction littéraire, et un rapport au temps qui est en respect de la créativité. Il vaut parfois mieux attendre un an et retravailler dans l’ombre un manuscrit plutôt que de le sortir de façon précipitée pour « être au catalogue cette année ». Nous sommes dans une société où la production de livres est telle que ça en est vertigineux. On nous pousse, en tant qu’auteur, à écrire plus et plus vite, pour répondre aux besoins actuels de l’industrie du livre. J’ai la chance d’avoir un agent qui pense que prendre son temps n’est jamais une mauvaise chose.
Une fois le roman terminé et corrigé, l’agent le soumet à plusieurs éditeurs qu’il juge correspondre à ce que j’ai écrit, les éditeurs lisent, sont intéressés ou non, mais ont en tout cas assez confiance dans le jugement de l’agent pour y prêter attention. S’engage alors une rencontre pour voir si l’on peut travailler ensemble, une phase de négociation sur les conditions, et quand tout le monde est d’accord, c’est parti ! Également, mon agent a une vision disons « panoramique » de ce que j’écris. Cela permet de prendre des décisions en ayant une vision long terme.
L’année passée, j’étais dans une phase de transition un peu particulière où je cherchais un nouvel éditeur pour publier un roman la littérature générale. Mais l’agent peut aussi intervenir simplement comme médiateur entre un auteur et un éditeur se connaissant et voulant travailler ensemble. Cela m’est arrivé récemment. Je ne parle ici que de mon propre cas.
Comment ton agent est-il rémunéré ?
Mon agent touche un pourcentage sur mes droits d’auteur. En somme, il est rémunéré en même temps que moi, lorsque je touche des droits d’auteur (par avance ou relevés de droits).
Est-ce que tu constates une différence, depuis que tu as un agent, dans tes relations professionnelles avec les autres acteurs de la chaîne du livre (éditeurs, diffuseurs, distributeurs...) ?
Clairement. Être représentée par un agent m’a permis de retrouver une grande sérénité pour écrire. Mais aussi de travailler avec de nouveaux éditeurs sur des bases claires et solides. Je peux me consacrer entièrement à l’écriture, en laissant à l’agent le soin de gérer les négociations de contrat. En échange de 10 à 15 % sur mes droits d’auteur, j’ai vu mes conditions de travail et ma rémunération s’améliorer de façon drastique.
Tout auteur n’a pas pour vocation ou objectif d’être auteur professionnel. Tout auteur professionnel n’a pas forcément besoin d’un agent. Chaque situation est différente. Mais je crois que cela pose la question de comment inscrire la créativité dans le système éditorial actuel français. Les récentes études sont alarmantes sur les conditions sociales des auteurs.
En tout cas, dans ma volonté de me professionnaliser, et de conserver mon authenticité et l’éthique que je me suis fixée, l’agent m’a paru être la solution la plus adaptée à la réalité du milieu du livre. C’est la solution que j’ai trouvée compte tenu de mon parcours et des rencontres que j’ai faites, afin de permettre un dialogue et des conditions plus justes.

À bientôt pour une prochaine chronique CoCyclics !
L'équipe de CoCyclics