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Code source

William Gibson ( Auteur), Olivier Fontvieille (Illustrateur de couverture), Alain Smissi (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : 
Date de parution : 06/03/2008  -  livre
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Code source

Le plus hype des rescapés du cyberpunk nous livre Au Diable Vauvert la suite de sa relecture du tournant du millénaire, initiée en 2004 avec le splendide Identification des schémas. Dans son avant-dernier roman, William Gibson avait retrouvé ses marques. Ou plus exactement, en avait-il trouvé de nouvelles, pour s'affranchir de cet encombrant privilège d'avoir été la figure de proue du cyberpunk. 

Replaçant – paradoxalement – son futur dans le passé récent, s'appuyant sur les ruines encore fumantes du WTC, il creusait plus avant sous les décombres des tours jumelles pour excaver un avenir froid de mercantilisme et de valeurs dissoutes dans la profusion. Profusion d'objets, d'informations, de richesses.

Mais trois ans plus tard, alors que se cicatrise la plaie du Ground Zero, Gibson poursuit sa route vers un monde invisible. Un "pays fantôme", celui du titre original de son roman – Spook Country –, que le Diable Vauvert a été bien mal inspiré de remplacer par ce Code Source vide de sens. Mais en trahit-il pour autant le fond même du roman ? Pas sûr...

Freemapping

C'est l'incursion dans trois fragments de vies que Gibson nous propose dans Code Source, et ce au moment même où elles vont se téléscoper au cours de l'un de ces étranges incident de la vie. Encore que les différents profils des protagonistes de son intrigue soient assez atypiques pour ne pas les mettre à l'abri de ce genre de rencontres.

Ainsi Hollis Henry, l'ex-chanteuse de Curfew, groupe culte indé, sorte de croisement entre les Pixies et Throwing Muses, reconvertie dans le journalsime tendance. C'est à Los Angeles que l'on fait sa connaissance. Elle y travaille pour Node, un magazine anglais au format voisin de celui de Wired, et qui appartient à Hubertus Bigend, le gourou de la com', déjà présent dans Identification des schémas. Elle doit y enquêter sur le locative art, une forme de réalité virtuelle qui se superpose avec précision au monde réel, redessinant subtilement le quotidien, pour peu que l'on dispose de coordonnées GPS fiables et qu'on soit équipé des lunettes adéquates. Vous dire donc si l'on est dans le pointu.

Pointu aussi, le protocol qui régit la vie de Tito, jeune Cubain émigré à New York. Le jeune homme appartient à une étrange famille. Dès son plus jeune âge, il a été entraîné à devenir une sorte d'espion privé. Lui et ses cousins ont été dressés pour vivre dans un semi-monde de clandestinité dépersonnalisante, chacun mettant au service du clan des compétences bien particulières. Ainsi Tito est-il un "facilitateur illégal". L'homme qu'il vous faut pour faire passer un colis clandestinement, surveiller quelqu'un, s'introduire n'importe où, trouver n'importe quoi. Mais pour routinières qu'elles puissent lui paraître, les livraisons d'iPod qu'il assure depuis quelque temps pour un vieil homme qu'il retrouve dans Washington Park, vont avoir sur lui un impact insoupçonnable.

Tout aussi insoupçonnable que sont énigmatiques les motivations qui animent les ravisseurs de Milgrim. Jeune camé aux médicaments, il a été enlevé sans autre forme d'avertissement par des hommes qui avaient tout simplement besoin de ses compétences particulières en russe. Brown, leur chef, traque une étrange famille cubaine dans les rues de New York. Ils ont manifestement des choses à cacher, puisqu'ils ne semblent vivre que selon un protocole strict, qui passe notamment par un usage choisi des moyens de communication. Ainsi n'utilisent-ils guère leurs téléphones portables que pour se transmettre des SMS en volapük, ce sabir scriptural, adaptation approximativement cyrillique de notre alphabet, mise au point par le KGB pendant la Guerre Froide, et que Milgrim a la mauvaise fortune de maîtriser.

Ce sera autour de la présence épisodique d'un quatrième personnage que toute l'intrigue de Gibson va se cristalliser. Bobby Chombo est le Phil Spector du locative art. Sans lui, impossible de verrouiller les œuvres des créateurs à la grille GPS qui quadrille la planète. Petit génie de l'informatique, véritable sorcier de la géolocation, il a dans la vie d'autres sources de revenus – autrement plus lucratives – que le locative art. Notamment, il semble être le seul à savoir où se trouve un mystérieux container qui passe de cargo en cargo depuis de nombreuses années. Au point d'être presque devenu une légende urbaine qui, fatalement, a fini par venir aux oreilles d'Hubertus Bigend. Et à travers Node et le locative art, c'est cette information qu'il veut corroborer. Et c'est pour ça qu'il a choisi Hollis Henry.

Cartographie

En technophile candide qu'il est, William Gibson ne manque pas de se tenir au fait des dernières tendances en la matière, et c'est avec ce qui est certainement le summum du chic hype übergeek qu'il ouvre son intrigue : le "geohacking". Issu de la mouvance de l'Open Source, sa manifestation la plus spéctaculaire dans notre triste monde, c'est le rassemblement en un lieu dit, à un jour donné, du plus grand nombre de personnes possible équipées d'un GPS. Chacun se voit attribué une zone qu'il va devoir relever le plus exhaustivement possible avec son terminal. Une fois les données collectées et compilées, on abouti à une freemap, une carte la plus précise possible de la zone, et qui sera entièrement libre de droit et gratuite. Il y a derrière tout ça, la même philosophie que celle qui sous-tend le mouvement Open Source. L'idée de se réappropirer notre territoire, et les outils qui nous sont nécessaires pour y survivre. C'est aussi, plus métaphoriquement, le fantasme de redessiner un monde idéal, en reprenant sa cartographie à zéro. C'est, en partie ça, le Spook Country du titre.  Mais comme ce n'est pas très gratifiant d'un point de vue dramaturgique, William Gibson a choisi d'en livrer une interprétation plus arty, avec son extrapolation VR du locative art. On sent bien qu'il étire le concept – ténu – au maximum. Presque jusqu'à la rupture. Mais ce qui pourrait n'être que gratuit et vain, devient une plongée qui s'annonce d'abord fascinante, jusqu'aux franges extrêmes de la définition de réel. On y croit tout d'abord, grâce à l'écriture de Gibson. Son style a changé. Évolué. Il a délaissé les bricolages de rebuts technologiques du cyberpunk, pour la perfection aseptisée des lignes dun iPod. Objet d'ailleurs récurrent dans l'intrigue, et qui devient une sorte de diapason esthétique tout au long du roman.

On y croit aussi, car Gibson sait jouer avec les ressorts plus traditionnels du romanesque. Code Source est un avant tout un thriller. D'énigmatiques espions ("spooks" dans la jargon des agences de renseignements) se courent après et trouvent leur place dans le maillage de complots qui sous-tend notre société. Vieille scie, certes, mais qui fonctionne toujours aussi bien. On accroche, et on se laisse emporter. Jusqu'à la déception.

La carte n'est pas le territoire

Car si Code Source promet beaucoup, il répond bien mal aux attentes qu'il a suscitées. Floués par cette action très découpée, qui étend quelques jours intenses sur plus d'une trentaine de courts chapitres, on ne perçoit que tardivement le retard à l'allumage de l'intrigue. Ou plutôt on le pressent, mais sans y prendre garde, car on sait qu'avec Gibson, le voyage importe souvent bien plus que la destination finale. Et lorsqu'on se rend à l'évidence du défaut de structure, on a la quasi certitude de la révélation coup de poing, qui sera le détonateur d'un message viral, inoculé insidieusement au long de ce thriller, somme toute, banal.

Mais il n'en est rien. L'apothéose attendue ne sera qu'un pétard mouillé. Et cette histoire qui fait plouf, révèle l'autre cruelle désillusion de ce Code Source : William Gibson n'a rien à nous dire. L'évocation d'un monde où virtualités et réalités se confondent est largement sous-exploitée. Ce qui est censé témoigner de la perte de repères d'une génération post-moderne, n'apparaît guère que comme une posture hype, un prétexte à reconstruire le monde par le procédé un peu trop convenu du name dropping. Naviguer parmi les marques, les modes, les codes des subcultures urbaines, devraient nous réveler la perte de nos valeurs, exilées – réencodées – dans le culte du cryptique pour échapper au monde de l'apparence, à l'obsession du profit et à l'argent roi. Mais la voix est trop ténue. Elle ne parvient  pas à s'affranchir d'une histoire trop futile pour que les arguments de Gibson acquièrent assez de pertinence et nous libèrent de la déplaisante impression de parcourir le blog d'un ex-fan des nineties.

Plantant son intrigue sur un terreau riche de potentialités, il ne fait sortir de terre qu'un arbrisseau chétif. Y fleurissent à l'occasion quelques jolies éphémères, qui nous enchantent le temps d'une illusion, mais au terme de ces quelques 500 pages, c'est un arbre sec qui tend ses branches vers le ciel. Un ciel couleur télé calée sur un émetteur hors service, comme il se doit.

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