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Conan, pourquoi relire Robert E. Howard ?
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Conan, pourquoi relire Robert E. Howard ?

Actusf : Conan, une des œuvres les plus emblématiques de la carrière de Robert E. Howard ressort au Livre de Poche. Comment avez-vous découvert Howard ? Qu’est-ce qui vous a poussé à le traduire ?

Patrice Louinet : J’ai découvert Howard par le biais des adaptations en bandes dessinées des nouvelles de Conan, ce qui m’a amené à acheter les recueils de nouvelles sur le personnage dans un premier temps, puis l’entièreté de l’œuvre de Howard dans un second.

Actusf : Quel est le premier souvenir que vous retenez de ses histoires ?

Patrice Louinet : La baffe monumentale que j’ai prise en lisant La Tour de l’Éléphant. Je n’avais rien lu de pareil. L’univers, l’émotion ressentie devant ce texte et ce climat onirique, tout cela m’a conquis immédiatement.

Actusf : Robert E. Howard est un auteur dont les récits paraissaient dans ce qu’on appelle les Pulps. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce type de magazine ? Comment cela fonctionne-t-il ?

Patrice Louinet : Les pulps étaient des revues populaires bon marché et aux couvertures volontiers bariolées qui eurent leur heure de gloire des années 20 au milieu des années 50 aux USA. Dans leur immense majorité, les textes qu’ils publiaient étaient juste lisibles au mieux, indigents dans la plupart des cas. Mais c’est dans ces revues que sont apparus différents genres littéraires qui se sont imposés depuis : le roman noir « hard-boiled », la science-fiction (qui existait certes avant, mais qui s’est vraiment constituée en genre dans les pages de ces revues), et la fantasy sous sa forme moderne.

Actusf : C’est d’ailleurs dans un de ces magazines que sont publiées les aventures de Conan. Mais Conan n’était pas son premier essai de héros de Pulp. Je pense notamment à Solomon Kane et Kull. Peut-on dire qu’il est une sorte d’aboutissement ?

Patrice Louinet : Il n’est pas un aboutissement au moment où Howard le crée. En tout cas, il n’en a pas conscience, et il cesse même d’écrire à son sujet près d’un an avant sa mort. Le personnage en tant que tel a connu par la suite le succès que l’on sait, mais c’est dans sa façon d’aborder le genre de la fantasy que Howard est révolutionnaire.

Actusf : Quels sont d’après vous les grands axes de réflexion de Robert E. Howard ?

"Comme Hammett avec le hard-boiled, il décrit un monde gangrené par la corruption, la cupidité et la violence, physique comme sociale. Son discours est aussi pertinent aujourd’hui qu’à l’époque."

Patrice Louinet : L’œuvre de Howard est avant tout une réflexion sur la civilisation moderne. Il est d’une lucidité étonnante sur le monde qui l’entoure. Ses nouvelles sont, au-delà de leur côté divertissant, un constat amer sur le monde dans lequel nous vivons et sur les ressorts profonds de la nature humaine. Conan n’est à ce propos le bon sauvage non perverti par la civilisation que d’aucuns voient en lui. Il n’a pas grand-chose de recommandable, et Howard ne voit pas le monde en termes de bien et de mal. Comme Hammett avec le hard-boiled, il décrit un monde gangrené par la corruption, la cupidité et la violence, physique comme sociale. Son discours est aussi pertinent aujourd’hui qu’à l’époque.

Actusf : Pourquoi, selon vous cet auteur a-t-il autant marqué le monde de la littérature et de la fantasy en particulier ?

"Il est celui qui a fait entrer la fantasy dans la modernité."

Patrice Louinet : Il est celui qui a fait entrer la fantasy dans la modernité. Là où ses prédécesseurs rendaient hommage à des formes littéraires médiévales, Howard s’inscrit résolument dans la modernité, par son style percutant et son rejet du manichéisme d’une part, et d’autre part parce qu’il est celui qui va fixer tous les codes du genre : il crée ainsi un univers secondaire, en dresse les cartes, écrit des textes pour en retracer l’Histoire, etc., ce qui constitue un passage obligé pour tout auteur du genre.

Actusf : D’ailleurs au sujet du thème « Barbarie contre Civilisation », Robert E. Howard a entretenu une correspondance fournie avec H.P. Lovecraft. Étaient-ils de même avis ? Lovecraft a-t-il influencé l’œuvre d’Howard ?

Patrice Louinet : Lovecraft a fortement influencé Howard pendant quelques mois, avant que ce dernier digère cette influence, et intègre certains éléments lovecraftiens à son œuvre, mais en se les appropriant. Ils ne sont jamais rencontrés, mais leur correspondance fut longue, riche et copieuse. Au début, Howard est impressionné par Lovecraft, mais peu à près il va s’affirmer et, au fil du temps, prendre l’ascendant sur son correspondant. Les dernières lettres, derrière leur courtoisie de façade, montrent une opposition sur à peu près tous les domaines. S.T. Joshi, le grand spécialiste de Lovecraft, qui n’a absolument aucune sympathie pour les écrits de Howard, dit de Howard qu’il fut le meilleur correspondant de Lovecraft, et un excellent débatteur.

Actusf : Son œuvre (celle de Robert E. Howard) a-t-elle eu une incidence sur notre perception du monde ?

"[...] Howard appartient à tout un courant littéraire et historique qui met le laissé-pour-compte, le non fréquentable au centre du récit, parce qu’il est celui qui rejette les anciens codes [...]"

Patrice Louinet : Je n’irai pas jusque-là, mais il demeure que Howard appartient à tout un courant littéraire et historique qui met le laissé-pour-compte, le non fréquentable au centre du récit, parce qu’il est celui qui rejette les anciens codes (le pouvoir, la monarchie, l’ambition, etc.), et que son seul objectif est d’essayer de survivre avec les moyens du bord dans un monde nécessairement hostile. Il suffit de songer au détective anonyme de la Continental Op de Hammett, à Howard, donc, ou bien à Bonnie & Clyde, deux petits voyous qui refusaient simplement de jouer avec les cartes du jeu truqué qu’on leur avait distribuées. Il s’agit d’essayer de survivre tant bien que mal, en franchissant parfois certaines limites, parce qu’on ne peut pas compter sur les superstructures (étatiques, religieuses et policières) pour nous sauver. À vous de déterminer si cela correspond bien au monde dans lequel nous vivons.

Actusf : Robert E. Howard entretenait des liens étroits avec l’Histoire dont il était féru. Est-ce que cela a eu une influence sur ses créations ? Savez-vous comment il procédait ? Faisait-il attention à la crédibilité de ses récits ? Leur ancrage dans un univers et un contexte ?

Patrice Louinet : Howard déclarait qu’il pourrait passer le restant de ses jours à écrire des récits historiques. Et la dizaine de nouvelles qu’il a écrites dans ce domaine est une réussite exemplaire. Il faisait des recherches assez poussées, mais n’hésitait jamais à violer l’Histoire pour lui faire de beaux enfants. Ce qu’évidemment des lecteurs tatillons lui reprochaient, confondant, alors comme aujourd’hui, un récit de fiction avec la vérité historique.

Actusf : Il était aussi très proche de ses personnages avec qui il aimait garder contact. Avait-il des techniques particulières pour les créer ?

"Howard était un auteur sincère, ayant besoin de sentir ses personnages, leur époque et leur univers. Lorsque ce lien s’atténuait ou se brisait, il ne cherchait pas à tricher et à faire œuvre artificielle : il passait à autre chose."

Patrice Louinet : Howard n’avait pas la moindre idée de la façon dont lui venaient ses personnages, et il expliqua un jour que lorsqu’un lecteur demandait d’où venait l’inspiration pour des personnages, il fallait déclarer qu’ils étaient simplement une combinaison de plusieurs personnes. Howard était un auteur sincère, ayant besoin de sentir ses personnages, leur époque et leur univers. Lorsque ce lien s’atténuait ou se brisait, il ne cherchait pas à tricher et à faire œuvre artificielle : il passait à autre chose.

Actusf : Y a-t-il encore des œuvres d’inspiration « howardienne » de nos jours ?

Patrice Louinet : Il y en a de plus en plus. Dire il y a vingt ans qu’on était fan de Howard et/ou de Conan était chose impossible, en raison de la prolifération des barbares simplets en slip de fourrure. Depuis que son œuvre a été débarrassée des scories éditoriales et des tâcherons longtemps associés à Conan, son nom est régulièrement cité en tant qu’influence et figure tutélaire du genre. Par bonheur, il ne s’agit plus de décliner clone après clone de Conan, mais bel et bien d’intégrer des éléments qui tirent leur source de Howard et de ses écrits.

Actusf : Si vous deviez recommander un de ses récits, lequel serait-ce ? Pourquoi ?

Patrice Louinet : Ma nouvelle préférée reste Les Clous Rouges, mais comment ne pas citer La Tour de l’Éléphant, la Reine de la côte Noire, Au-delà de la Rivière Noire, L’ombre du Vautour ou les Vers de la Terre ? Un best of des textes les plus sublimes de Howard comporte vingt nouvelles de cet acabit. Je conclurai donc de la façon la plus mercenaire qui soit en disant que mon Guide Howard, paru chez ActuSF, comporte justement ma liste des 20 textes de Howard qu’il faut absolument avoir lu, et pourquoi.

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