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Continent Perdu
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Continent Perdu

Le Passager clandestin est une maison d’édition indépendante, engagée et citoyenne. Elle propose des ouvrages récents ou anciens traitant de critique sociale et politique, avec un net penchant pour la désobéissance, la décroissance et l’écologie. Rien d’étonnant alors que la science-fiction y trouve sa place avec la collection Dyschroniques.
 
Les plus grands romans de Norman Spinrad (Jack Barron et l’éternité, Rêve de Fer) ont très souvent choqué par le regard cru et agressif qu’il pose sur les États-Unis et la société de consommation en général. Ce qui lui vaudra même son exil en France ! Il ne change pas pour autant  son style, avec comme thèmes de prédilection le racisme, les luttes de pouvoir, la manipulation des masses, et même l’écologie. C’est dans cette veine que s’inscrit Continent Perdu, nouvelle écrite en 1970 et rééditée aujourd’hui aux éditions Le Passager Clandestin.
 
Les États-Unis, une civilisation déchue.

Au XXIIe siècle, le pouvoir mondial est désormais ancré sur le continent africain et les ruines de la toute puissante Amérique sont ensevelies sous un brouillard mortel de pollution. Mais la gloire passée des États-Unis fascine encore.
Mike Ryan, pilote et guide touristique, n’hésite pas à exploiter cette curiosité morbide et entraîne ses riches touristes africains jusque dans l’ancien métro new-yorkais. Parmi ses clients, le professeur Balewa, historien spécialisé dans l’histoire de l’Amérique et Michael Lumumba, descendant d’Afro-américains.
 
Au-delà d’une nouvelle d’anticipation écologique…
 
Continent Perdu est sans conteste une nouvelle de dénonciation, une virulente critique de la société américaine. Norman Spinrad prédit un avenir plus que sombre aux États-Unis, condamnés par la recherche constante de grandeur et de puissance. La civilisation américaine atteindrait son apogée à l’époque de ce qu’il appelle l’Age de l’Espace. 40 ans après l’écriture de cette nouvelle, on ne peut qu’être surpris par quelques similitudes avec notre époque actuelle. Une voiture pour deux adultes, plus de cent millions de véhicules fonçant sur les autoroutes, la suprématie de la société de consommation et la recherche du plaisir… La Grande Panique qui signe le déclin de l’empire américain serait-elle à nos portes ?
 
Le pays s’est transformé en une zone mortelle pour l’homme. Ceux-ci doivent se déplacer en permanence avec un équipement de protection,  vivre dans des espaces hermétiques. Ce qui ne suffit même pas à leur garantir une espérance de vie au-delà de la quarantaine… Mais au-delà d’une catastrophe écologique, Spinrad brandit une menace bien pire pour les fiers Américains : devenir un peuple dégénéré. À l’image de ces métroglodytes enfermés dans le métro new-yorkais, plus proche des zombis que des êtres vivants.  
La déchéance ne situe plus dans la perte du pays en lui-même, mais dans le regard désormais condescendant, voir méprisant des touristes.
 
« Leurs âmes n’étaient pas comme nos âmes… »
 
Malgré tout, il transpire de cette nouvelle une sorte de fascination morbide pour cette même société. Une admiration pour la grande Amérique et cette démesure qui la conduirait à sa perte. Et tout cela tient dans le regard des personnages de la nouvelle.
Tous effectuent ce voyage pour des raisons différentes, tous expriment des sentiments différents pour les États-Unis et son histoire. Mais c’est uniquement autour de la confrontation de trois de ces personnages que se construit la nouvelle.
Mike Ryan, le guide, ne rêve que de quitter le pays mais ne peut s’empêcher d’une certaine fierté pour ses ancêtres.
 
Michael Lumumba affiche sans vergogne sa haine  pour ceux qui ont humilié auparavant les Afro-américains. Mais son sentiment de vengeance est troublé devant la grandeur des ruines du passé.
 
Le professeur Balewa, enfin, est le témoin et l’arbitre de l’affrontement  entre les deux hommes. Son regard d’historien donne le contexte et pose un regard objectif sur cette exploration qui exacerbe les sentiments de chacun.
 
« Ils étaient quelque chose que nous ne pourrons jamais être, l’ami. Et que nous ne voudrions pas être. »
 
Il est facile par moment d’identifier l’auteur à Mike Ryan. Sous une épaisse couche de mépris pour l’empire américain, il clame tout de même qu’aucune autre civilisation ne pourra jamais l’égaler.
 
Amour et haine donc, dans cette nouvelle qui n’a pas pris une ride.
 
Claire Mathieu

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