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Cygnis

Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 23/03/2010  -  livre
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Cygnis

Vincent Gessler est suisse. C’est tout ce que vous avez à savoir avant d’ouvrir (ou après avoir ouvert) Cygnis. Je l’ai su après et j’ai mieux compris la neige, le froid, la montagne-femme et le silence âpre.

 Un monde post-apo

Syn est un trappeur, solitaire et efficace, accompagné seulement de son loup étrange, enveloppé de bandes synthétiques. Dans un monde où l’homme doit éviter des hordes de robots, il sillonne les routes invisibles et enneigées pour récolter des pierres noires, trouvées dans les machines qu’il abat. Une guerre finit par éclater entre les hommes eux-mêmes. Syn refuse d’y participer mais commence une longue fuite pour sauver une jeune femme.

 Un héros presque ordinaire servi par une belle écriture

 Annie Dillard écrit, dans En vivant, en écrivant : « La littérature séduit seulement les sens les plus subtils – la vision de l’imagination, l’ouïe de l’imagination – ainsi que le sens moral et l’intellect. […] L’oreille du lecteur doit se déshabiller de la vie tonitruante pour saisir les sons subtils et imaginaires du mot écrit. ». Cette phrase exprime parfaitement ce que je ressens parfois en lisant. Parfois.

Il y avait longtemps qu’un livre écrit par un francophone (hélas ! Nous ne pouvons même pas revendiquer Gessler par chauvinisme !) n’avait pas empli mon espace de sa propre musique.

Loin de moi l’idée de dire du mal des auteurs français d’imaginaire mais… souvent, je m’y ennuie. La narration au passé simple se déroule, les descriptions presque obligatoires défilent. J’aime la maîtrise linguistique de certains, le jeu discret des anti (héros, clichés, idées) d’autres mais je n’entends pas souvent ce fil musical, harmonie ou en dents de scie, qui me donne envie de continuer, même quand tout m’horripile.

La faute à qui, à quoi ? Peut-être à moi, peut-être à la surproduction, peut-être au manque littéraire…

C’est terrible. Je devrais vous convaincre de lire ce livre pour ce qu’il est et me voilà en plein manifeste.

 Je recentre, je recentre…

 Cygnis ne fait pas figure d’exception, dans le sens où ne joue justement pas sur les principes de l’« anti ». Il n’abuse de rien. L’histoire est une honnête quête post apo. Le personnage est un honnête héros qui n’a pas peur d’utiliser son flingue.

Tout est dans le traitement.

Le style, d’une limpidité talentueuse, vient ici servir l’histoire, du moins jusqu’au trois quarts du livre.

 Je crois aux œuvres ciselées, aux œuvres cohérentes. J’aime les sens, en général, et leur expression.

Gessler utilise les sens, ceux de son personnage, les nôtres. La marche dans la montagne donne des frissons, le gravissement d’une autre sorte de montagne, la fucking friend d’auberge, fait sourire et se confond en ravissement.

Et qui dit sens, dit lyrisme. Ce qui est amusant dans Cygnis, c’est que l’auteur frôle l’excès de lyrisme à plusieurs reprises sans jamais s’y laisser aller et ce, grâce à une maîtrise de l’action qui lui permet d’alterner passages secs, âpres, violents et poésie… moelleuse ?

Bref, Cygnis est un roman étonnant, vivant, contrasté.

Il serait dommage de passer à côté.

 (Si vous n’avez pas lu Cygnis, n’allez pas plus loin, ce serait bien dommage !)

 J’aurai un bémol à exprimer, cependant, sur la fin du roman. Après des pages d’alternance d’errance et de combats, arrive la solution, le background qui rejoint définitivement la SF. On ne peut pas s’empêcher de voir des références à la planète des singes, peut-être même au roi et l’oiseau, voulues ou non. En tous cas, moi, ce qui m’a dérangée, c’est l’intrusion soudaine d’un background très SF traditionnelle après ce déroulement atypique et cette maitrise stylistique intense. J’ai mis du temps à comprendre pourquoi cela me gênait (peu, mais quand même, après des pages de plaisir !) : Gessler est sans conteste, dans son écriture et son aménagement de la matière, à la limite de la littérature blanche. On oublie vite l’histoire post-apo, l'aventure liée aux robots pour s’intéresser à la quête amoureuse, existentielle (même si elle est elle-même liée au background) du personnage principal. Je ne sous-entends pas là que la SF ne peut pas traiter ce genre de sujets mais bien que ces sujets éclipsent par moments l'aventure en elle-même et les éléments imaginaires. L’ampleur de l’explication finale (de « toute humanité ») dépasse du coup l’ambiance intimiste de l’ensemble du roman et étonne. Voilà le seul petit couac de la musique particulière qui s’élève de cette œuvre.

Quoi qu’il arrive, auteur à suivre !

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