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Dans la dèche au Royaume Enchanté

Gilles Goullet (Traducteur), Cory Doctorow ( Auteur), Michael Kutsche (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/04/2008  -  livre
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Dans la dèche au Royaume Enchanté

Cory Doctorow, né en 1971 au Canada, est une figure importante du Web. Défenseur très actif du droit d’échange et de copie électronique, en particulier à travers la licence Creative Commons, il a été président de la branche européenne de l’Electronic Frontier Foundation et n’a de cesse, dans les conventions, de vulgariser ces concepts avec une certaine efficacité. Il co-édite également un blog populaire, Boing Boing. Côté écriture, il vient de publier son quatrième roman, Little Brother, sa première œuvre jeunesse. Deux recueils de nouvelles sont également sortis. La particularité des œuvres de Doctorow est qu’elles sont librement distribuées sur le site de l’auteur sous licence Creative Commons. La preuve qu’un tel système fonctionne est que les livres sont également publiés sur papier.

Dans la dèche au Royaume Enchanté (2003, prix Locus du premier roman) est ainsi son premier roman traduit et édité en France, chez Folio SF.

Le monde merveilleux de Walt Disney

Depuis plus d’un siècle, la Société Bitchun impose son mode de vie au monde entier. Un mode de vie plutôt utopique : la mort a été vaincue (les humains peuvent se sauvegarder régulièrement et se restaurer dans des clones à la moindre anicroche), l’argent a été remplacé par un système de valorisation de la réputation (le whuffie) qui laisse sa chance à tout le monde.

C’est dans ce cadre qu’évolue Julius, membre de l’adhocratie de Liberty Square au sein du parc d’attraction le pus prestigieux du monde : Walt Disney World en Floride. Spécialisé dans le comportement des foules, cet homme de cent cinquante ans, qui n’en paraît que vingt, contribue à la maintenance et à l’évolution de la Haunted Mansion, avec sa petite amie Lil. Mais une adhocratie concurrente, dirigée par Debra, souhaite s’emparer de Liberty Square. Julius, en tentant de l’en empêcher, va se rendre compte de l’envers du décor de la Société Bitchun…

Des idées originales et très bien utilisées

Disons-le tout de suite : avec cette Société Bitchun, Cory Doctorow a eu une idée de génie. En particulier avec le whuffie, ce capital de sympathie qui régit les échanges commerciaux et les relations humaines en remplacement de l’argent. C’est excellemment bien vu, parfaitement utilisé dans le cadre du récit, et surtout très cohérent avec le reste des caractéristiques de cette civilisation évoluée. Certes, la prolongation de la vie par clonage ou les adaptations physiques à l’environnement par la nanotechnologie font désormais partie des standards de la SF (on retrouve les mêmes concepts dans Un paradis d’enfer de David Marusek écrit deux ans plus tard, par exemple). Mais l’ensemble compose un univers particulièrement intéressant et crédible.

Cette Société Bitchun, sous des apparences utopiques, cache quand même quelques subtilités moins roses, et Doctorow ne manque pas de nous les montrer avec une discrétion qui ne fait que renforcer cet aspect critique : un certain cynisme lié à la puissance de ce mode de vie, qui écrase tout sur son passage ; un asservissement aux machines qui peut très vite vous laisser sur le bord du chemin si vous ne vous y conformez pas ; la difficulté d’inventer, d’innover, de créer, lorsque le moindre rejet du public peut vous coûter votre whuffie ; le fait de juger les gens sur ce que les autres pensent d’eux et non pas sur ce qu’ils sont vraiment… Autant de traces de notre société actuelle, mais sans manichéisme ni même charge militante.

Un scénario qui manque un peu d’enjeux

Côté scénario, c’est un peu moins réussi. Le choix du parc Walt Disney comme décor est certes original et amusant, mais on peine à s’intéresser véritablement à ces intrigues qui évoquent plus la cour de récré que la cour des grands. De plus, le récit est parfois un peu confus au niveau de la temporalité, pas toujours très claire ni régulière.

Toutefois, Cory Doctorow écrit bien et les événements s’enchaînent avec une certaine logique, sans que l’on s’ennuie vraiment. La psychologie de Julius, très juste et bien approfondie, contribue à conserver l’attention du lecteur, qui voit le héros sombrer petit à petit dans la paranoïa et la folie, sans s’en rendre compte. Le cadre du parc a par ailleurs l’avantage de mettre en valeur l’hypocrisie humaine et les affrontements mesquins qui opposent Julius à Debra, comme signe du pourrissement d’un certain idéal tout droit sorti de note enfance innocente.

Un bon premier roman

Grâce à une idée particulièrement ingénieuse et correctement exploitée, Cory Doctorow nous livre un bon premier roman, assez court qui plus est (ce qui n’est pas à négliger par les temps qui courent…), malgré une intrigue qui peine parfois à nous captiver. Espérons que, malgré la diffusion gratuite de ses œuvres en ligne, ses prochains romans seront eux aussi édités en France : on est curieux de suivre l’évolution de cet auteur prometteur.

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