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Dans la forêt profonde

Anthony Browne ( Auteur), Elisabeth Duval (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : 
Date de parution : 31/08/2004  -  jeunesse
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Dans la forêt profonde

Écrit entre Le Jeu des formes (2003) et Ma maman (2005), Dans la forêt profonde est un album un peu à part dans l’œuvre maintenant conséquente d’Anthony Browne (une cinquantaine d’albums pour enfants). Il est plus grave et plus baroque que ses autres créations. Si, aux dires mêmes de l’auteur, l’album en rappelle un autre, Le Tunnel, par ses similitudes entre le chemin et le couloir de plus en plus inquiétants, il a des résonances plus profondes pour le lecteur, car il touche à la cohésion familiale. Anthony Browne n’a pas souvent utilisé ce registre (mort d’un proche, séparation des parents) et s’il l’aborde à travers ce livre, c’est sur un mode onirique et avec la volonté de rassurer. Dans Le Tunnel, la thématique était moins dramatique (rapports difficiles entre un frère et une sœur).

Cet arrière-plan tragique est toutefois, comme souvent chez l’auteur, masqué par un traitement allusif qui conduit à plusieurs niveaux de lecture. La pudeur et l’humilité naturelles du graphiste-peintre anglais l’amènent à traiter du sujet par métaphore (l’orage pour la dispute, le symbole plutôt que l’affliction) et à confier au dessin ou à la couleur ce que le texte, énoncé à la première personne, ne dit pas. Enfin, le père du chimpanzé Marcel ne tient pas à rester sur une note noire, son avant-dernière page est émouvante et sa dernière page, très chaleureuse, est toute en couleur.

Le petit chaperon triste

Réveillé par des bruits épouvantables, un garçon a du mal à dormir. Le lendemain, il constate que sa mère est triste et que son père est parti. Il place des étiquettes « Reviens papa » sur tous les meubles de la maison. Sa mère lui demande de porter un gâteau à sa mamie souffrante et de passer par la route car la traversée du bois est trop dangereuse. Le garçon acquiesce, mais pour ne pas manquer le retour éventuel de son père, il prend le chemin le plus court à travers bois.

Là, le monde des rêves et des contes l’attend, jusqu’à ce qu’il découvre un chaperon écarlate à se mettre sur le dos et jusqu’à ce qu’il trouve la maison de sa grand-mère. Mais le voilà terrorisé devant la porte, car tout cela lui évoque soudain une histoire de loup…

Le diable est dans les détails

Il y a toujours de la nostalgie et de la gravité dans les récits de l’illustrateur de Marcel. Commentant cet album dans le recueil qui lui est consacré, cette année, aux éditions Kaléidoscope (Anthony Browne), l’auteur livre ses intentions didactiques :  « Cet album raconte, au-delà du conte de fées, une autre histoire qui trouve ses sources dans un réalisme social. Le bruit épouvantable des parents en train de se disputer est une réalité douloureuse que beaucoup d’enfants doivent supporter – un mariage sur trois se termine par un divorce. C’est ce problème que j’ai voulu aborder dans ce livre, et j’ai choisi le biais des contes pour le rendre plus accessible ».

S’il fige souvent ses personnages dans des expressions retenues, Anthony Browne rend leur environnement plus expansif. Il livre toujours beaucoup d’informations dans les décors et dans les détails. Dans cet album, il multiplie les références aux contes, plus exactement à la cruauté des contes. Le jeune enfant ne semble pas triste, mais l’univers qui l’entoure et qu’il semble s’être construit lui-même (la forêt) est parsemé de signifiants qui traduisent sa blessure. Qu’il s’agisse du soldat de plomb (au moment de la dispute), de Hansel et Gretel (les mêmes personnages que dans l’album que l’auteur leur a consacré) abandonnés à leur triste sort, de la Cendrillon perdue (la chaussure), du rouet maléfique de la Belle au bois dormant, de la fragile maison en pain d’épice, du désespoir de Raiponce (la tresse pendante le long de la tour), etc. Bien entendu, la référence la plus explicite est celle du petit chaperon rouge. Le loup traîne dans les bois. Dans le conflit qui oppose ses parents, le garçon trouve refuge chez sa mamie. C’est d’ailleurs elle qui tient les clés de la réconciliation finale.

La simple lecture du texte ne permet pas de comprendre la situation. Le texte déguise la réalité. La noirceur neurasthénique du garçon n’est pas rendue par le commentaire, plutôt neutre, mais par les illustrations. Pour accentuer la profondeur du mal, Anthony Browne utilise les références à la douleur des contes, le noir et blanc de la forêt (comme sur la couverture), l’aspect de plus en plus tortueux des arbres, de plus en plus sinueux du chemin qui le conduit au piège de la mère-grand.

Dans la forêt profonde est l’album d’Anthony Browne qui se rattache le plus à la didactique de la souffrance et à l’usage de l’imaginaire comme détournement salutaire de la réalité. C’est, comme son titre l’annonce, un album plus profond que les autres, un album plus tortueux, qui rappelle que les contes cruels sont aussi des reflets de la réalité. Heureusement, Anthony Browne se veut rassurant et il nous concocte une happy end, avec un bel effet de suspens qui vire au comique. Au cours de la lecture, l’enfant comprend l’ambiance pesante et les détours empruntés par le jeune héros. Au fur et à mesure que le personnage s’enfonce dans la forêt, la tension du jeune lecteur augmente. Il s’attend au pire et le dénouement derrière la porte de la mère-grand « mamifiée » est libérateur et jubilatoire. L’auteur emmagasine l’énergie noire et la convertit en rire, en réconfort  et en plaisir de lecture.

Un grand exercice graphique thérapeutique qui témoigne d’une profonde empathie d’Anthony Browne pour les enfants, leurs angoisses et leur aptitude à les surmonter.

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