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Dans la secte

Louis Alloing (Dessinateur), Pierre Henri (Scénariste)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/07/2005  -  bd
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Dans la secte

Louis Alloing est venu tard à la bande dessinée. Jusque dans les années 90, il est directeur artistique d’une agence de publicité, avant de prendre un grand virage et de se lancer dans l’illustration. Il travaille beaucoup pour la jeunesse notamment aux éditions Bayard pour lesquelles il réalise, sur un scénario de Rodolphe, la série Les Moineaux.

Scandalisé par le témoignage de l’une de ses amies, il décide de raconter son parcours dans l’une des sectes les plus actives et qui a pignon sur rue, la Scientologie pour ne pas la nommer, sous la forme d’un roman graphique. Pour ce faire, il demande à Pierre Henri de structurer le scénario à partir de la longue confession de Marion, dont le prénom a malheureusement été changé, preuve s’il en est que la pression morale et physique, comme la peur et la honte, existent encore des années après cette expérience traumatisante.

« Ils arboraient tous cette assurance tranquille, ce sourire bienveillant des initiés qui vous invitent à partager l’évidence de leurs certitudes. »

Une jeune femme court sur le quai d’une gare et parvient in extremis à monter dans le train. Elle fuit, sa lucidité retrouvée, la secte qui l’a prise dans sa toile durant un an. Elle s’appelle Marion et dans le train qui la ramène vers Paris et son ancienne vie, elle se remémore sa lente déchéance au sein de la secte.

Publicitaire de 25 ans, elle vit à cent à l’heure : travail le jour, fiesta la nuit. Une vie banale qui s’écaille pourtant : consommation occasionnelle de LSD, rupture avec son petit-ami et emmerdes au boulot. Un ami, Raphaël, lui propose de venir se ressourcer au sein d’un groupe qui l’accueillera à bras ouverts.

De colloques en footing, de tests de personnalité en séances d’audition, Marion prend goût à cette nouvelle « philosophie religieuse qui s’appuie sur des techniques de connaissances de soi… Des techniques scientifiques éprouvées pour développer le mental des gens. »

C’est bientôt l’engrenage, sûre de ses nouveaux amis qui la valorisent sans cesse, Marion s’en va à Copenhague afin de perfectionner sa philosophie pour elle, son endoctrinement pour ses proches.

Le lecteur est ainsi invité à suivre le parcours de Marion, « de son enfermement sectaire à la redécouverte de la liberté » comme le dit Catherine Picard, présidente de l’ADFI qui a signé la préface.

Une « bande dessinée témoignage » réussie et utile chaudement recommandée

Dans la secte est un témoignage fort et bouleversant sur la lente et terrible aliénation d’une jeune femme prise dans l’engrenage sectaire. Ecrit à la première personne, le scénario cherche à coller au plus près de la réalité. Pierre Henri n'a gardé de l’expérience vécue de Marion, qui dura un an, que les passages les plus représentatifs de sa triste aventure. Il use bien sûr de techniques narratives, comme le flash back ou la voix off, mais c’est pour mieux souligner la prise de recul sur le processus sectaire. En ne cherchant pas le sensationnalisme (pas de sexe, d’orgie, de torture ou de suicides collectifs), il montre de manière plus frappante et lumineuse comment un organisme peut parvenir à détruire ce qui fait l’individualité de ses adeptes.

Dans la Secte livre un témoignage au cœur même du processus sectaire. Les auteurs entraînent leur lecteur au sein de la Scientologie, révélant les techniques d’endoctrinement, les méthodes militaires afin d’endormir le cerveau et la conscience de soi, la lente désocialisation. Abrutir pour obliger l’autre à ne plus réfléchir, la rééducation par le travail qui rappelle bien évidemment les heures sombres de quelques régimes tyranniques, les discours mielleux et préfabriqués et les voies pernicieuses dont usent et abusent les dirigeants sont montrés sans fioritures ou fausses pudeurs. Ce récit graphique tord le cou à de nombreuses idées reçues, dont la première est que les sectes ne recrutent que des gens dit « faibles ». Marion est semblable à des centaines de jeunes filles, intelligente, stable mais dans un période de petite déprime passagère due à un chagrin d’amour et un manque de reconnaissance sociale. Les membres de la secte ont tôt fait de trouver ses failles qu’elle leur livre d’ailleurs elle-même en toute confiance.

De son propre aveu, Louis Alloing a voulu son graphisme clair afin de toucher le plus grand nombre. Un trait simple qui dit comme une évidence que le parcours de Marion n’a rien d’exceptionnel, que son expérience est celle de centaines de personnes qui comme elle ont subit l’embrigadement de Ron Hubbard ou d’autres. Le choix de la bichromie s’est imposé pour éviter la dureté du noir et blanc selon les auteurs, mais elle rappelle également la nuit perpétuelle dans laquelle a vécu Marion durant un an, un enfermement psychologique, une prison avec les plus solides des barreaux : ceux que l’on érige soi-même, avec l’aide bienveillante de laveurs de cerveaux en puissance.

Sans pathos, mais avec un souci de véracité, à la manière d’une bande dessinée documentaire, les auteurs de Dans la Secte montrent les techniques de manipulation et de sujétion des individus afin que l’expérience de la jeune femme ait valeur de mise en garde. 

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