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Dei ex machina

Valérie Mangin (Scénariste), Aleksa Gajic (Dessinateur, Coloriste)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 28/02/2005  -  bd
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Dei ex machina

L’Antiquité, délaissée aujourd’hui par la littérature, a été récupérée par les auteurs de bandes dessinées. Très souvent traitée de manière réaliste par les dessinateurs et scénaristes, dont le héraut serait sans conteste le personnage d’Alix créé par Jacques Martin, cette époque reste liée à un courant relativement classique de la bande dessinée. On peut citer pour mémoire les séries Vae Victis (Soleil) de Rocca et Mitton, Tiresias (Casterman) de Rossi et Le Tendre ou bien Murena (Dargaud) de Dufaux et Delaby. Depuis quelques années pourtant, les genres de l’imaginaire s’emparent de l’Antiquité et en font un décor nouveau de leurs récits notamment fantastiques, il en va ainsi de La Dernière Prophétie de Chaillet (Glénat) ou bien Socrate le Demi-Chien (Dargaud) de Sfar et Blain. Mais la grande surprise vient du Fléau des Dieux qui rompt totalement avec le cadre réaliste sans pour autant se départir de l’historicité qui est une des pierres angulaires du récit. Mangin, en projetant la guerre sanglante que se livrèrent Attila et le patrice Aetius dans l’espace et en lui donnant une portée galactique, a redonné son souffle épique à l’Antiquité. Débutée en 2001, cette série a permis à Mangin de se faire une place au soleil de la bande dessinée et ainsi sortir de l’ombre de son mari Denis Bajram.

”Il veut dire qu’« Attila » et « Flavia » on été créés et dirigés pour détruire l’Orbis”

Flavia et Attila ont été jetés dans le soleil après la défaite des troupes barbares par le futur empereur et la régente. L’Orbis n’est pas des plus reconnaissants et un général victorieux, qui plus est une femme, est toujours plus dangereux vivant que mort. Pourtant, Kerka et Attila ne meurent pas, ils sont récupérés par les autres Dieux dans Olympus, sorte de refuge à l’intérieur même du soleil. Là, ils comprennent enfin d’où ils viennent et pourquoi ils se sont livrés un si féroce combat. Le choc de la révélation de leurs origines, plus quelques autres en sus, provoque chez eux une colère irrépressible qui menace alors la stabilité d’Olympus. Sur Rome, la situation empire également, les Huns qui ont réchappé à la guerre se choisissent comme nouveau chef Avitus et décident de détruire définitivement l’Orbis.

Un Récit de science-fiction théâtral, épique et tragique

Avant-dernier tome du Fléau des Dieux, Dei ex machina est dans la droite ligne des précédents albums. Bien que la série aurait pu avoir une portée plus tragique encore si elle s’était limitée à cinq tomes, renforçant ainsi la théâtralité, elle garde toute sa saveur et l’on imagine qu’il aurait été difficile pour Mangin de condenser toutes les révélations en un seul album. Ce dernier opus lève le voile sur les origines divines de Flavia et Attila. D’ailleurs leur divinité est d’origine scientifique, première explication pour le sens concret du titre Dei ex Machina, qui veut littéralement dire, le dieu descendu d’une machine.

Une petite explication s’impose, cette locution latine vient du théâtre et désigne d’abord l’action physique de faire descendre un dieu sur la scène par un jeu de poulie afin de mettre le plus souvent fin à l’intrigue qui ne pourrait se résoudre logiquement sans cette intervention d’ordre divine. Au sens figuré, l’expression, outre le fait qu’elle désigne par extension le personnage ou l’événement qui met fin aux péripéties, signifie que le dénouement, en plus d’être souvent invraisemblable, est inattendu et met fin à une situation tragique.

Toute la force de Mangin est d’avoir réussi à redonner une force aux locutions latines galvaudées dont elles usent pour chacun de ses titres en se les réappropriant et en leur donnant une signification nouvelle ou tout du moins qui dérive du sens originel. Tout comme elle est parvenue à redonner un souffle épique en transposant et modifiant l’histoire de la guerre entre Flavius et Attila, elle redonne de la grandeur à des expressions latines si figées qu’elles sont souvent utilisées de manières parodiques.

Le théâtre est également au cœur même de ce cinquième tome au chiffre clef. Il en porte la marque avec le titre référence explicite au théâtre antique mais également avec le tragique de la situation. Les événements s’enchaînent et les personnages de la tragédie échappent au contrôle du dieu absolu, leur créateur, qui a voulu rejouer l’histoire. Attila et Flavia, s’ils sont des dieux grâce à la technologie, sont profondément et dramatiquement humains d’où des réactions imprévisibles. Mangin joue sur ce ressort et de coups de théâtre en coups de théâtre (la dernière planche en est encore une fois la représentation éclatante), elle parvient à rendre sa série prenante et surprenante. Mais tout ce solide scénario ne pourrait fonctionner sans les planches de Gajic toujours aussi somptueuses et pleines de gloire à venir ou passées. La grandiloquence des dessins qui pourrait paraître pompeuse donne au contraire un caractère presque homérique à la série. Une excellente série dont on attend avec impatience l’ultime tome qui pourrait se titrer : Acta Fabula : « la pièce est dite ».

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