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Des conseils de lectures vampiriques en cette fin d'année.
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Des conseils de lectures vampiriques en cette fin d'année.

Adrien Party est l'auteur de Vampirologie et de Stoker et Dracula, La fabrique d’une légende. On lui a demandé en cette fin d'année quelques conseils de lectures vampiriques récentes. Le meilleur du vampire, c'est ici !

1/ Autour de Dracula

– Le Bal des Ombres de Joseph O’Connor (Rivages)

À travers ce roman, c’est l’époque faste du Lyceum Theatre que ressuscite Joseph O’Connor, depuis la prise de poste de Bram Stoker jusqu’à l’incendie des décors, stockés dans un entrepôt, en 1898. L’auteur nous offre en effet de suivre les pas de trois figures marquantes ayant foulé les lieux, et laissé une empreinte indélébile dans l’histoire du théâtre victorien. Parmi eux, Ellen Terry, Henry Irving, mais surtout Bram Stoker, que la postérité retient surtout pour être le créateur de Dracula. La genèse du roman est un des éléments d’arrière-plan du livre de Joseph O’Connor, qui mêle réalité et fiction. L’homme de lettres n’hésite pas à tordre le réel et à l’histoire pour reconstruire sa vision du cheminement mental qui a permis à Stoker de donner naissance à son chef d’œuvre intemporel. La plume d’O’Connor ne manque ni de style ni de dynamisme, et nous propulse avec un certain brio au cœur de la vie culturelle de cette fin de XIXe siècle anglais. On pourrait certes pester contre ce façonnage du réel, mais n’est-ce pas déjà dans l’ADN des adaptations de Dracula de ne jamais être tout à fait conforme à leur matériau d’origine ?



– Ceux qui ne meurent jamais de Dana Grigorcea (Les Argonautes)

Alors qu’elle vient d’achever ses études, une jeune artiste décide de revenir dans sa Roumanie natale, dans la petite ville de B. où, enfant, elle passait la majeure partie de ses vacances. À l’occasion du décès d’une grand-tante dans un accident de randonnée, l’ouverture du mausolée familial révèle deux découvertes de taille. Parmi les tombes du quinzième siècle que renferme la crypte se trouverait celle de Vlad Tepes, l’Empaleur. Un comble, quand on retrouve un corps transpercé d’un pieu tandis que la défunte parente est conduite en sa dernière demeure. Ceux qui ne meurent jamais est un roman qui parle de la Roumanie d’aujourd’hui, encore dans l’ombre de son passé communiste. La trame met en scène une nation qui se cherche dans ses racines, par nostalgie ou besoin de s’ancrer dans un avant idéalisé, dont le Dracula historique est un porte-étendard. Ceux qui ne meurent jamais est un livre atypique qui conguge autour de la figure du vampire et de celle du voïvode Vlad III. Dans le même temps, le récit témoigne de la condition d’un pays dont les évolutions brutales se sont faites à deux vitesses. Le texte de Dana Grigorcea verse dans le réalisme magique, la frontière entre le réel et l’imaginaire se brouillant à de multiples reprises.



Nosferatu de Marco Fontanili (BD, Komiks initiative)

Alors qu’il est seul chez lui, par une nuit d’hiver où tombe la neige, Albin Grau reçoit une curieuse enveloppe, glissée sous sa porte. Prenant connaissance de son contenu, l’artiste découvre quelques lignes qui lui remettent en mémoire la genèse d’un film dont il est l’un des géniteurs : l’immortel Nosferatu. Fontanili choisit sciemment de s’écarter d’une adaptation téléphonée du long métrage de Murnau, et préfère s’imprégner de la matière du film et de son histoire houleuse, depuis les procès intentés contre Murnau, Grau et Cie jusqu’à la disparition de la tête embaumée de Murnau. Avec un trait qui convoque les cadrages et effets des expressionnistes, le dessinateur joue de la métaphore pour expliciter la survie de l’objet cinématographique et celle de sa créature, devenue une incarnation vampirique à part entière. Une approche originale et passionante d’un long-métrage incontournable du fantastique, appelé à la même immortalité que le personnage dont il porte le nom.



2/ Autour des vampires
– Festin de Larmes de Morgane Caussarieu et Vincent Tassy (ActuSF)

À l’occasion d’une soirée nimbée d’occultisme, le jeune Aubrey et sa mère font la connaissance d’un mystérieux personnage, qui se présente comme un Marquis. Ce dernier s’attire rapidement les faveurs de la maisonnée, et devient un proche de Madame Clare, alors que son mari sombre dans les griffes du Laudanum. Caussarieu et Tassy font ici davantage qu’un hommage à Bram Stoker, Sheridan Le Fanu voire à Anne Rice : l’ombre de leurs ainés leur permet de donner vie à un texte qui témoigne avant tout de leur approche individuelle du sujet. De l’autrice de Dans tes veines, on retrouve l’idée de créatures de la nuit en mesure de s’abreuver d’autre chose que de sang et le thème de l’enfance pervertie… L’auteur d’Apostasie parait quant à lui insuffler son intérêt pour une certaine fluidité de genre, pour le décorum des cimetières. En résulte ce récit où leurs deux plumes s’entremêlent avec brio, donnant naissance à un livre tout autant macabre, décadent, tragique et sadique.



Le capitaine vampire de Marie Nizet (Espace nord)

En 1877, la Roumanie se retrouve impliquée dans la guerre russo-turque, aux côtés de l’Empire russe, de la Serbie et du Monténégro. Isasesco est un Dorobanț, un soldat d’infanterie. Fils d’un petit propriétaire qui peine à faire vivre sa terre, il n’en est pas moins amoureux de la belle Mariora. Le frère de cette dernière est quant à lui épris de Zamfira, une pauvrette d’origine tsigane. Alors que le conflit voit basculer leur quotidien, ils vont croiser la route d’un officier russe au sinistre surnom : le Capitaine Vampire. Le Capitaine Vampire est un ouvrage méconnu de la littérature francophone, qui montre s’il en était besoin que le lien entre les vampires et la Roumanie n’a pas attendu le roman de Stoker pour voir le jour. À cela s’ajoutent quelques similitudes (troublantes ?) avec Dracula, sans qu’on puisse déterminer si l’auteur irlandais a lu ou non le livre. C’est aussi un texte qui parle de l’amour face à la tourmente de la guerre, et qui cristallise le devenir plein de doutes d’un pays qui ne semble plus maître de lui-même.


Millarca d’Orlane Escoffier (Goater)

Mona, jeune éditrice, est contactée par une certaine Mademoiselle Karnstein, qui souhaite lui raconter sa vie. Ancienne étudiante en littérature, le nom de la jeune femme n’est pas inconnue de Mona. Progressivement, celle qui affirme être la figure de vampire qu’on croyait inventée par Sheridan le Fanu dévoile une histoire bien différente de l’emblématique roman qui précéda Dracula. Et si Carmilla n’était pas la corruptrice décrite dans le récit d’origine ? La narration ne se limite pour autant pas à bousculer les certitudes des lecteurs du roman de le Fanu. Orlane Escoffier, imprégnée de ses travaux universitaires, à cœur de proposer des portraits de femmes beaucoup plus nuancés. Un premier roman très réussi, qui offre une relecture intelligente (sur le fond comme sur la forme) d’un des textes fondateurs du vampire littéraire.

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