Après quelques années consacrées à la culture et la vente de bulbes rares, Margaret Saint-Clair devint une auteure de très bonne fame, sous son véritable nom ainsi que sous le pseudonyme, bien connu à l'époque, d'Idris Seabright. Elle fut l’une des rares femmes à écrire de la science-fiction dès les années quarante, un temps où ses consœurs pouvaient être comptées sur les doigts d'une seule main. Jusqu’à ses ultimes récits dans les années soixante, elle produisit une bonne centaine de nouvelles, puis quelques romans avant de disparaître des rayons au cours de la décennie suivante. Elle fut également l’une des premières initiées du culte néopaïen de la Wicca, version moderne de la sorcellerie, et on raconte qu’elle s’y consacra ensuite très activement... En France, Des mondes à profusion est son seul livre publié, auquel s’ajoutent quelques textes parus dans de vieilles revues sur les pages moisies desquelles poussent probablement des mots aux propriétés hallucinogènes...
Science-incantation ?
Margaret Saint-Clair n’a beau avoir été initiée aux arcanes de la Wicca qu’au début des années soixante, elle n’en montrait pas moins dès ses débuts un intérêt marqué pour les forces de la nature. En effet, un grand nombre de ses textes, sinon tous, la montrent inexorablement attirée par les mystères qui ont conduit l’humanité à créer dieux et religions. Même dans l’espace intersidéral, on y trouve des femmes dotées de pouvoirs qui les auraient en d’autres temps menées dans les geôles de la Sainte Inquisition. Ses paysages post-apocalyptiques sont peuplés de thaumaturges et ses extraterrestres proposent parfois aux Terriens de participer à d’étranges rites sacrés dont ils ne sortiront pas indemnes. Quant aux dieux et déesses, il arrive que parfois l’on en rencontre au coin de la rue…
Transe-fiction ?
C’est encore de sorcellerie dont il s’agit lorsqu’au détour d’une nouvelle, l’ingestion de plantes psychotropes lors des rituels de sorcellerie nous donne une piste concernant l’origine des pouvoirs magiques, et nous oriente vers les contrées oniriques fréquentées par les shamanes. C’est le thème de la transformation, essence de la sorcellerie depuis au moins aussi longtemps que celles de Taliesin, qui constitue le cœur de l’ouvrage. Omniprésent, c’est le moteur de presque tous les textes du recueil, parfois lié à celui des pouvoirs parapsychiques ou de la rencontre avec des populations extraterrestres remarquables.
Du point du style, les nouvelles portent toutes la marque des décennies qui ont vu leur parution dans ces pulps magazines si chers aux vieux amateurs de SF. Comme ici, cela peut être gage de qualité, en dépit de quelques textes agréables, mais anecdotiques. Les histoires de Margaret Saint-Clair évoquent cependant un temps où les illustrations des couvertures promettaient beaucoup plus que ce que les impératifs de la morale de l’époque autorisaient à exposer à la vue d’un public pourtant pas si prude qu'on le pense aujourd'hui. Margaret Saint-Clair ne se privait pas d’insinuer que l’énergie sexuelle ("Manuel de mariage", "Escale") pouvait bien jouer un rôle essentiel dans la compréhension, ou l’incompréhension, entre les êtres. La seule chose qui l’ait empêchée d’être immolée sur les bûchers de la décence fut certainement due à la nature extraterrestre des protagonistes de ses récits. Un mauvais sort a fait oublier Margaret Saint-Clair des amateurs francophones, il serait temps de mettre fin à la malédiction…