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Dieu(x) & Idoles

Eco (Dessinateur, Scénariste), Vincent Rioult (Dessinateur, Scénariste), Clément Baloup (Scénariste, Dessinateur), José Roosevelt (Scénariste, Dessinateur), Nancy Peña (Scénariste, Dessinateur), Patrick Cothias (Scénariste), Patrice Guillon (Scénariste), Pipocolor (Dessinateur, Scénariste), Matthieu Roda (Dessinateur, Scénariste), Sylvain Moizie (Scénariste, Dessinateur), Aurélien Bédéneau (Dessinateur), Maga (Dessinateur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/01/2006  -  bd
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Dieu(x) & Idoles

Editeur indépendant qui compte à son actif une trentaine de volumes, La Boîte à Bulles a convié plusieurs de ses auteurs autour d’un thème commun : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. Ou alors lui substituer des idoles ». Première initiative du genre chez cet éditeur, Dieu(x) & Idoles fait partie de la collection Contre-jour, qui favorise des histoires intimistes en noir et blanc, ce qui convient parfaitement au traitement d’un sujet aussi personnel que le rapport à Dieu. Ainsi, des auteurs « maison » comme José Roosevelt, Sylvain-Moizie, Nancy Peña, Eco ou Jean-Luc Coudray livrent leurs réflexions ou délires imaginatifs sur Dieu, la religion et les icônes en tout genre, accompagnés de quelques jeunes talents. Pour certains, il s’agit même d’une première publication.

Une diversité extrêmement riche

Le principal atout de Dieu(x) & Idoles est sa diversité. Vingt-six histoires se succèdent et ne se ressemblent pas, tant au niveau graphique, scénaristique ou thématique. Certes cela rend l’ensemble un peu décousu (c’est le seul petit défaut de l’ouvrage) mais le lecteur en verra sa curiosité stimulée en permanence.

Tout d’abord, la diversité graphique rend compte de la spécificité des talents des dessinateurs et de la liberté de style que permet la bande dessinée. On peut apprécier plus ou moins certains dessins mais il faut reconnaître à chacun une originalité toujours en adéquation avec le propos et faisant passer des émotions différentes. Par exemple, Papa pourquoi ? d’Estelle Rondet et Sylvain-Moizie, qui ouvre le recueil, est emprunt d’une tendresse qui transparaît à la fois dans le trait et dans le texte. Dialogue avec Dieu, de Jean-Luc Coudray, propose un graphisme minimaliste (tout en étant agréable à l’œil) pour mieux mettre en avant une réflexion philosophique autour de la différence entre le corps et l’esprit, à l’encontre des clichés religieux habituels. Parfois l’esthétique du dessin accroche immédiatement l’œil comme pour Aller Retour de Maga, ou bien Psychopompe ferroviaire de Ferenc et Aurélien Bédéneau, dont le dessin fait fortement penser à un mélange de Civiello et de Liberge, ce qui n’est pas la moindre des qualités.

Le ton des récits est tout aussi varié. L’humour domine et, bien que souvent ironique ou critique, il autorise surtout une certaine fantaisie et une distanciation ô combien salutaire dans le traitement d’un sujet aussi sensible. Ainsi se démarquent particulièrement Comment j’ai rencontré Dieu de Pipocolor (dont on reparlera plus bas), New Deal de Laurent Percelay et Boris Mirroir, Neuf vies, de Nancy Peña (l’une des meilleures) et le délirant Chubby Chance de Laurent Houssin et Michael Espinosa, qui clôt le recueil.
Parfois, le ton adopté est plus intime ou nostalgique, les auteurs s’attachant à mettre l’accent sur la place des croyances et des religions dans le quotidien, comme système de valeurs ou support psychologique. C’est le cas notamment avec Un p’tit coin de paradis, de Patrice Guillon et Benjamin Bouchet.
Autre angle d’attaque, l’interrogation philosophique voire métaphysique, dont Jean-Luc Coudray se fait le principal partisan puisqu’il livre deux récits de réflexion, Dialogue avec Dieu déjà cité, et Une entrevue avec le diable, dessiné par son frère Philippe.
Enfin, notons le ton particulièrement mélancolique et désillusionné de Ferenc et Bédéneau dans Psychopompe ferroviaire.

Mais ce qui prévaut dans cet ouvrage collectif est la critique, plus ou moins directe, des dérives que peuvent occasionner les cultes. L’hypocrisie est le travers le plus visé. Dans l’excellent récit de Maga, Aller Retour, l’un des personnages ne croit en Dieu et ne suit ses valeurs que pour se décharger de ses responsabilités d’humain. La foi n’est alors qu’un instrument participant d’un espoir d’obtenir quelque chose en échange. Autre aspect négatif, les penchants mercantiles des religions ou des sectes qui ne cherchent qu’à remplir leur porte-monnaie au lieu de remplir le vide spirituel de leurs fidèles : ce thème est abordé par Samos Teller dans La Visitation, ou dans New Deal de Laurent Percelay et Boris Mirroir.

Inventivité narrative


De façon générale, la courte taille des bandes dessinées produit un impact fort et efficace. Mais comme dans tout ouvrage collectif, certaines histoires marquent plus que d’autres. Même si l’ensemble des récits est d’un niveau plus qu’honorable, certains se distinguent par leur inventivité narrative.

Ainsi New deal, déjà cité, utilise-t-il un découpage cinématographique qui rend le récit plus percutant et captivant. D’autres auteurs utilisent le dessin pour dynamiser des monologues qui auraient pu paraître autrement plus fastidieux.

Deux bandes dessinées sont particulièrement innovantes en terme de structure narrative. Dans Comment j’ai rencontré Dieu, Pipocolor adopte un cheminement non linéaire - mais néanmoins organisé – des cases, donnant non seulement un aspect ludique à l’histoire, un peu comme un jeu de piste, mais également de l’espace au récit qui se libère des contraintes habituelles de la bande dessinée. Pipocolor a eu, de plus, la bonne idée d’allier humour et réflexion pour nous livrer l’une des meilleures réussites de cet album.

Complètement différente mais tout aussi excellente, La gloire de Dieu, de Patrick Cothias, René-Mathias Le Gall et Aurélien Bédéneau, est une nouvelle illustrée de façon très habile, emmenant le lecteur sur des chemins d’apparence banale pour le prendre à contre-pied sur la fin. L’image est ici alliée au texte pour l’accompagner, l’appuyer puis finalement le révéler sous un jour nouveau. Tout simplement épatant !

Entre réflexion et délire

Ainsi, Dieu(x) & Idoles présente les divinités de tout poil sous une multitude d’angles, allant de la réflexion courtoise au délire à la limite de l’irrévérencieux. Ce contraste est salutaire pour ne pas lasser le lecteur. Mais finalement, Dieu lui-même est assez peu mis en scène directement. D’une part parce que les auteurs ont préféré illustrer notre relation avec lui et ses implications morales ou philosophiques dans notre quotidien. Ensuite, parce que de nos jours, Dieu est souvent remplacé par d’autres icônes plus matérielles.

Chacun devrait donc trouver son compte parmi cette grande variété de styles et de thèmes, hormis peut-être les adeptes d’un culte aveugle. Dieu(x) & Idoles est un ouvrage original et de grande qualité qui met en avant de nombreux auteurs encore peu connus. Gageons cependant que ce recueil leur offre une vitrine qui leur permette d’accéder à une plus grande notoriété.

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