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Dimension Uchronie n°1 - L'interview de Jerry Oltion
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Dimension Uchronie n°1 - L'interview de Jerry Oltion

A l'occasion de la parution de l’anthologie Dimension Uchronie 1, dirigée par Bertrand Campeis, aux éditions Rivière Blanche, Jerry Oltion revient sur l'écriture de sa nouvelle, Alerte Rouge (Red Alert).

Traduction de l'interview : Hermine Hémon et Erwan Devos

Bertrand Campeis : Bonjour Monsieur Jerry Oltion, pourriez-vous tout d'abord vous présenter puis nous parler de votre carrière d'auteur ?

Jerry Oltion : J’ai toujours lu de la science-fiction, des auteurs comme Bradbury, Asimov, Heinlein, Clarke et Niven, et pendant tout ce temps, ou presque, je savais que je voulais écrire de la SF. J’ai écrit mon tout premier texte vers six ou sept ans : c’était un texte très court et illustré qui racontait l’histoire d’une bataille inégale qui se passait sur la Lune et qui nous opposait à des hommes lunaires. Elle est restée accrochée à la porte du réfrigérateur familial pendant quelques temps. D’ailleurs je l’ai toujours.

Ma carrière a vraiment démarré après avoir fini l’université. Ma femme a trouvé un emploi bien rémunéré dans un laboratoire, j’ai donc pu écrire à plein-temps et en moins d’un an j’avais vendu ma première histoire (à Analog). J’ai par la suite réussi à en vendre quatre ou cinq par an et ce pendant plus de 30 ans. Je n’en vends dorénavant qu’une ou deux par an, mais je m’amuse toujours autant quand je prends le temps d’écrire. J’ai aussi eu ma phase roman et j’en ai écrit une quinzaine, dont plusieurs dans des univers partagés comme ceux de Star Trek, Dark Sun ou Isaac Asimov's Robot City, ou encore dans des univers de jeu. J’en ai écrit cinq dans mon propre univers, mais j’ai rapidement saturé et me suis doucement remis à la nouvelle.

Mais maintenant j’écris plutôt des non-fictions sur l’astronomie plutôt que de la fiction. L’astronomie est un de mes passe-temps et elle a pris le pas sur ma vie ! J’élabore des télescopes durant les longs mois d’hiver du Nord-Ouest des États-Unis et je sors faire de l’observation les jours d’étés dégagés. Je rédige aussi un article par mois sur la fabrication des télescopes pour le magazine Sky & Telescope et j’écris aussi, quand l’occasion se présente, d’autres articles pour eux. Et tout récemment, je suis devenu le chroniqueur scientifique pour The Magazine of Fantasy & Science Fiction.

Bertrand Campeis : Alerte Rouge est une nouvelle uchronique assez étonnante pour un public occidental, acceptez-vous de revenir sur plusieurs choses la concernant :

- tout d'abord sa création (comment vous est venue l'idée d'une telle nouvelle)
- ensuite son écriture (temps à l'écrire, à la corriger, comment avez-vous procédé) ?
- Le point de divergence est multiple et original (voici ce que j'ai vu pour ma part : échec de Cortez face à Montezuma, donc l'empire Aztèque perdure ; les blancs sont refoulés par une alliance des tribus amérindiennes par la suite. Une « confédération » entre les aztèques et les amérindiens est créée afin de surveiller le seul lieu abritant encore des occidentaux, pardon des visages pâles, l'île de Manhattan, dûment achetée. Les européens et les amérindiens s'observent, fourbissant leurs armes, dans l'attente du geste de trop).
- La technologie à l'air d'avoir fait des bonds de géants et nous avons du mal à situer chronologiquement la nouvelle (même si inconsciemment nous pensons à 1962).
- L'uchronie sert souvent à faire passer un message, ici, nous avons l'impression que vous vous êtes « amusé » à jouer sur des stéréotypes (le brave guerrier rouge face à la folie du visage pâle) pour montrer que les notions de démocratie et de protection de celle-ci pouvaient se retrouver dans des civilisations non-occidentales (mêmes causes, mêmes effets ?). Qu'est-ce qui vous a attiré et donné envie d'écrire cette nouvelle en adoptant ce point de vue ?

Jerry Oltion : L'idée d’Alerte Rouge m’est venue alors que j’étais encore à l’université dans les années 1970. Je me rappelle avoir pensé que les Amérindiens avaient eu une bonne occasion de repousser les envahisseurs européens, mais qu’ils avaient été bien trop ouverts et accueillants avant de s’apercevoir qu’il était trop tard. S’ils avaient été un peu plus intransigeants, ils auraient peut-être gardé leur continent. Mais j’ai ensuite réalisé que les européens n’auraient de toute manière pas abandonné, ce qui aurait mené à une course aux armes qui aurait propulsé la technologie à des niveaux modernes beaucoup plus rapidement que dans notre histoire. Alors, au moment où seraient nés les guerriers légendaires que sont Red Cloud, Sitting Bull et Chief Joseph, il serait plutôt question de raids aériens que de raids de cavalerie.

J’ai écrit une première version de cette histoire à l’université, mais je n’en étais pas tout à fait satisfait. L’histoire commençait avec Squanto et les pèlerins et se finissait avec Tonto à la tête de l’Air Force menant un raid sur l’Europe. Mais il manquait quelque chose et je ne savais pas vraiment quoi.

Des années plus tard, Greg Benford m’a demandé si je n’avais pas une histoire pour une série d’anthologies appelée « Alternate Americas » (« Amériques Uchroniques ») sur laquelle il travaillait. J’ai tout de suite pensé à « Alerte Rouge » et c’est alors que j’ai compris qu’il valait mieux aborder un seul incident plutôt que d’essayer de raconter la totalité des événements chronologiques. Il me paraissait évident que les événements devaient faire écho à la crise des missiles cubains, j’ai donc décidé de donner Manhattan aux visages pâles et que cette île deviendrait mon Cuba. Je me disais que l’action devrait avoir lieu dans la dernière moitié des années 1800, j’ai donc choisi de faire de Robert E. Lee le chef des visages pâles et évidemment de faire de Custer son pilote chevronné. Une fois les personnages et l’action en place, l’histoire s’est écrite d’elle-même en quelques jours.

Greg m’a alors dit qu’il ne cherchait qu’à avoir des droits d’anthologie et a suggéré que j’envoie l’histoire à Analog. Stan Schmidt l’a aimé et l’a publiée en 1991, et l’anthologie de Benford est sortie en 1992.

Bertrand Campeis ! Pourquoi avoir choisi ce point de vue ?

Jerry Oltion : Je pense que c’était simplement pour explorer l’idée et voir ce qui en ressortirait. L’uchronie n’était pas encore un genre quand j’ai eu l’idée originale (ou le genre n’était pas aussi reconnu qu’il ne l’est aujourd’hui), j’avais donc l’impression de me lancer dans quelque chose de nouveau et de différent. C’était en tout cas nouveau pour moi, et je me suis beaucoup amusé à jouer avec les idées. Je voulais que le cri de guerre des indiens soit « Geronimo ! » j’en ai donc fait un martyr, et je voulais absolument réutiliser l’incident de la chaussure de Khrouchtchev à l’ONU et sa phrase « nous vous enterrerons » d’une façon ou d’une autre. Je les ai donc légués tous deux à Lee. Je voulais que les indiens comptent encore les « coups » plutôt qu’ils ne tuent sans distinction, j’ai aussi inventé la charge non-explosive dont ils se servent en combats tournoyant.

J’avais l’impression de faire un puzzle. Je ne faisais pas que l’assembler, je le créais aussi. C’était vraiment drôle de voir les pièces s’imbriquer les unes dans les autres, quitte à raboter un peu par-ci et un peu par-là. Je ne m’inquiétais pas vraiment d’être fidèle à l’histoire ; je voulais parler de l’idée plus que d’autre chose.

Bertrand Campeis : L'uchronie est un exercice à la fois délicat et extrêmement intéressant d'un point de vue intellectuel, avez-vous songé à en écrire d'autres ? Avez-vous lu des nouvelles ou romans uchroniques qui vous ont plus, ou indéniablement marqué ?

Jerry Oltion : La plupart de mes écrits sont tournés vers l’avenir plutôt que le passé, je pense donc qu’Alerte Rouge est ma seule uchronie. J’aime en lire, mais je n’en recherche pas absolument non plus. Je me rappelle avoir apprécié Rêve de fer de Spinrad, Le Maître du haut château de Dick ou encore plusieurs des histoires de Harry Turtledove.

Bertrand Campeis : En tant qu'auteur vous avez écrit sur la thématique de l'espace, de l'astronomie, l'un de vos hobbies ainsi que sur le voyage spatial entre autres. Pourriez-vous nous en parler ?

Jerry Oltion : Je me concentre plutôt sur les histoires futuristes ou se passant dans l’espace. C’est ce qui m’a toujours intéressé. J’ai toujours eu le sentiment que, si nous voulions vraiment survivre longtemps, l’humanité devait se développer au-delà de la Terre et même au-delà de notre système solaire. Et je trouve ça beaucoup plus marrant d’imaginer des gens filer à toute allure d’un côté à l’autre de la galaxie en explorant des lieux nouveaux et étranges. C’est pourquoi j’aime tous les récits de spéculation sur l’avenir : c’est en fait de l’exploration. Que va-t-on trouver ? Les possibilités sont infinies.

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