Peu de bédéphiles pouvaient prévoir que Philippe Berthet et Yann Lepennetier, alias Yann, embarqueraient leurs lecteurs dans un monde futuriste. Et bien, c'est chose faite avec Yoni, une série d'anticipation qui inaugure la nouvelle collection Empreinte(s) des éditions Dupuis.
Philippe Berthet est connu comme le dessinateur de la trilogie du Privé d'Hollywood -avec Rivière et Bocquet-, de Marchand d'idées -avec Cossu-, de Chiens de prairie -avec Foerster-... et surtout de Pin-up, une série en duo avec Yann (eh! Oui, le même compère que pour Yoni). Hommage à Milton Caniff et à sa BD Male Call destinée aux G.I., cette série entraîne le lecteur dans la société américaine durant la Seconde Guerre mondiale à travers le personnage de Poison Ivy, une héroïne pulpeuse et patriotique.
Avant de créer ce tandem détonnant avec Berthet, Yann, quant à lui, a écrit les scénarios de nombreuses BD: la saga des Chasseurs d'étoiles ou les séries des Innommables, de Lolo et Sucette ou bien encore de Spoon & White.
Nouvelle série, nouvelle collection
Dollymorphing est le premier tome d'un cycle en deux volumes contant les aventures de Yoni Owens, agent spécial de la F.C.I.A., services secrets de l'United States of the World. Une BD plutôt attendue et qui a su se faire remarquer auprès des lecteurs. Pourtant, deux clans s'opposent: les fans de Pin-up qui, pour beaucoup d'entre eux, avouent être déçus par cette nouvelle héroïne "vulgaire" et les autres, dont je fais partie, qui ont trouvé un réel plaisir à lire cette BD et qui retrouvent dans le personnage de Yoni, l'archétype même de l'héroïne belle et dangereuse.
Mission de choc
Après avoir accompli douze missions avec succès, Yoni se retrouve dans une voiture en plein désert. Son objectif: libérer le fils d'un sénateur. Comme à son habitude, l'agent secret mène sa mission en un tour de main fulgurant et montre son talent de contorsionniste (ce qui lui vaut le surnom de "Gumbone"). Pourtant, une fois l'enfant récupéré, Yoni se crashe bêtement avec la voiture. Première erreur pour cette femme hors du commun. De retour chez elle, elle est contactée pour une nouvelle mission. Yoni doit cette fois-ci, retrouver une jeune fille kidnappée et retenue prisonnière en France, dans l'ex-parc d'Eurodysney, une zone devenue hautement radioactive...
Une belle réussite à découvrir
Berthet et Yann nous livrent ici une série prometteuse malgré quelques défauts. Le premier détail qui accroche dans cette BD -et qui n'en est pas des moindres-, c'est la magnifique couverture où l'on voit l'héroïne en gros plan qui se contorsionne pour rentrer dans le cadre de la couverture. Plutôt inhabituel, très bien réussi et qui donne le ton.
Avec cette BD, les deux auteurs nous invitent à découvrir un futur proche dévasté. L'environnement en a pris un grand coup : zone radioactive, couche d'ozone absente, prolifération des bactéries et des maladies..., l'insécurité est permanente et les hackers sèment la zizanie. Dans cet univers peu exaltant, Yann nous entraîne dans une intrigue d'espionnage bien ficelée aux multiples rebondissements. Enrichi par des dialogues caustiques -voire vulgaires par moment et c'est un des défauts de cette BD-, le récit est ponctué de clins d'oeil: le vin Château Depardieu, la Macdozone, Renault Sheerack...
Dans un esprit très américain pur jus -l'héroïne parle un langage franco-américain ponctué par de nombreux "shit" et autres termes peu seillants dans la bouche d'une jolie jeune femme-, les deux auteurs donnent une vision plutôt ringarde de la France. Ils ponctuent les dialogues de "*en français dans le texte" et ont asséné à l'ordinateur de la voiture un accent franchouillard insupportable et un nom ringard: Marcel Dupont.
Sous les coups de crayon de Berthet, Yoni devient une héroïne charismatique dont les formes pulpeuses ne sont pas sans rappeler celles de Poison Ivy. Avec un dessin, une mise en couleur limpide et une disposition des planches très cinématographique, le dessinateur donne de l'élan et du rythme à l'intrigue. La vision déjantée d'Eurodisney (proche de celle décrite dans Féerie de P.J. Mac Auley) est remarquable: un mélange d'un univers féerique avec un décor post-apocalyptique mis en avant par des angles de vue originaux (un Stitch géant, une île des pirates lugubre, un dragon qui vole au dessus de Marcel...). Berthet en profite pour glisser également quelques clins d'oeil humoristiques (comme l'apparition de Marge de la famille des Simpson). Seule remarque plutôt négative quant au dessin: certains personnages -la kidnappeuse du début, l'autre agent secret ou bien encore la jeune fille enlevée- ressemblent excessivement à ceux d' Enrico Marini (Les Rapaces ou Scorpion).
Pour un premier essai de Yann et Berthet dans le monde de la BD de science-fiction, Yoni est une belle réussite -malgré ses imperfections- à découvrir absolument.
La chronique de 16h16 !