
Une littérature qui a du mordant romantique : Le déclencheur Twilight
La bit-lit s’articule autour de trois ingrédients : le fantastique, le romantisme avec au cœur une héroïne et l’humanisation du vampire. Autant d’éléments qui favorisent et facilitent l’identification des lecteurs et surtout des lectrices aux personnages.
Ce genre littéraire fait se côtoyer un certain réalisme (décors, paysages, cours, métiers), avec des créatures fantastiques, tout un bestiaire où cohabitent vampires, loups garous, démons, métamorphes. « L’univers de la bit-lit a ceci de particulier qu’il mélange deux mondes différents : notre monde moderne, technologique et réel et celui des contes de fées », explique Sophie Dabat.

« Si la bit-lit a pour cadre notre quotidien moderne et technologique avec comme piment un univers surnaturel peuplé de créatures étranges, sa principale caractéristique est d’abord la romance ainsi que la référence esthétique », poursuit Sophie Dabat. Selon cette dernière, la bit-lit se nourrit des romans gothiques du XVIIe siècle, à travers des codes vestimentaires alliant le raffinement, l’élégance et les matières soyeuses. Mais elle puise également aux sources de la chick lit, littéralement littérature pour poulettes, c'est-à-dire des jeunes femmes entre 25 et 30 ans, qui met en scène les aventures sentimentales des héroïnes un peu déboussolées, souvent sur le ton de l’humour : c’est le cas du journal de Bridgets Jones. La bit-lit est une savante alchimie de chick lit, de romans gothiques, de fantasy... Ajoutez à cela l’imagination des auteurs… et vous voilà plongés dans l’univers bit-lit.
Selon l’écrivain Edouard Brasey, spécialiste des fées et des vampires, les récits vampiriques ne sont donc pas récents «Ces récits étaient déjà très populaires dans l’Angleterre victorienne», explique-t-il. «Le premier en date, Varney le vampire, était un roman-feuilleton qui circulait beaucoup au XIXe siècle. Il a été écrit en 1847 par un anonyme et a inspiré Bram Stoker pour son Dracula. Le vampire moderne naît, lui, en 1976, avec Anne Rice. Grace à ses livres, comme Entretien avec un vampire – également adapté au cinéma –, cet être fantastique devient objet de désir.
La bit-lit se spécialise dans des récits trop souvent stéréotypés dans lesquels on retrouve immanquablement des ingrédients de base: un ou une vampire, généralement romantique et sexy, poursuivi par une malédiction ancestrale, une histoire d'amour avec une ou un humain, entravée par l'interdit du sang et de la morsure, cette histoire d'amour trouvant généralement sa source dans une époque ancienne, les protagonistes étant plus ou moins la réincarnation de amants du passé ayant vécu une aventure tragique. A cela on peut ajouter un décor adolescent, à savoir un collège américain où le vampire ado a du mal à se faire accepter. "Twillight" utilise toutes ces ficelles, que l'on retrouve dans d'innombrables romans ou séries, tels que "Vampire Diaries". En fait, rien de bien nouveau sous le soleil... ni sous la lune. Il s'agit d'une juxtaposition du "Dracula" de Bram Stoker, dans la version cinématographique de Coppola, avec un zeste de "Love story" ou "Roméo et Juliette" (les amours adolescentes contrariées") et un décor inspiré des séries B américaines consacrées aux collégiens », poursuit Edouard Brasey.
Autrement dit la bit-lit renouvelle le genre vampirique et surprend à travers la nouvelle vision du vampire. Ce dernier se présente comme un Roméo des Temps Modernes, séduisant et raffiné.
Vers une humanisation et un raffinement du vampire

La bit-lit fait donc apparaître une nouvelle génération de vampires, plus proches de nous. Dans ce contexte, se produit un phénomène d’identification. Certes le vampire fascine toujours autant, mais cette fascination n’est pas engendrée par l’effroi ou la terreur. Le personnage d’Edward Cullen, le jeune vampire camarade de classe de Bella réunit tous les ingrédients pour captiver les lectrices : le mystère, une beauté livide, un regard envoûtant, aux prunelles qui changent de couleur, son charisme, son côté sauveur et prince charmant, il passe son temps à sauver Bella. Autant de caractéristiques qui éblouissent la jeune héroïne...
Si la bit-lit connaît un tel succès auprès des lecteurs, c’est aussi parce qu’elle répond aux attentes de ceux-ci. Comme le constate Sophie Dabat, « la bit-lit, loin d’être une caricature simpliste, se révèle être un véritable reflet de notre société » En effet l’urban fantasy reste un genre ancré dans le monde moderne. A travers des aventures extraordinaires, les personnages se trouvent confrontés à des problèmes actuels et des choix difficiles. La thématique de la différence et de son acceptation, l’acceptation de l’autre, de l’inconnu abordée à travers la perception des créatures magiques est au centre de ce genre. Finalement la bit-lit traite de problèmes humains qui nous concernent tous.
Des motivations archétypales ?
Faut-il voir dans ce réveil du vampire accommodé à la sauce romantique une simple passade de jeune fille en quête d’amour ? La bit-lit fait appel à des ressorts inconscients beaucoup plus profonds qu’ils n’y paraissent au premier abord.
Un être de métamorphoses

« C’est assez étonnant que le vampire se prête à autant d’évolutions et suscite autant d’intérêt. Il est loin d’être rangé dans le placard des figures gothiques complètement has been qui fleurent bon la naphtaline et la poussière, comme le Golem ou la Momie… », insiste-t-il. Livres, BD, jeux vidéos, la bit-lit est partout. Qu’il soit star du petit écran ou qu’il bulle, le vampire et le cortège de créatures fantastiques qui l’accompagne trouvent les moyens d’assurer sa survie. Etonnant, extraordinaire... pas tant que cela en fin de compte. Peut-être faut-il expliquer cet essor de la bit-lit en fouillant du côté de notre inconscient
Le vampire, un motif mythologique
« Tout comme le polar, la bit-lit est une littérature de genre, populaire, accessible à tous. De la véritable fiction qui permet de se projeter dans d’autres univers… Pourquoi les vampires ? Le symbole de l’interdit, de l’éternité, de l’amour impossible : un thème qui cristallise aujourd’hui peut-être les angoisses et espoirs de toute une génération de lecteurs qui se retrouvent finalement dans ces vampires qui, malgré leur puissance, ne sont pas libres d’aimer, de vivre comme ils le souhaitent… », souligne Cécile Benhamou, l’attachée de presse de la collection Hachette Black Moon. Même impression pour Florence Lottin, directrice de collection des éditions J’ai lu : « Incontestablement, le vampire est le personnage romanesque par excellence. Sa jeunesse éternelle, sa force, sa puissance, en font un sujet hypnotique. Associé à l’imaginaire d’auteurs talentueux, il trouve un large écho chez le lecteur. Les créatures fantastiques également. Un univers de pouvoirs et de magie enflamme l’imagination ! »
Le vampire apparaît donc comme un motif mythologique tel que Jung le définit dans la psychologie de l’inconscient. « Dans chaque être individuel existent, outre les réminiscences personnelles, de grandes images originelles. Ces images archétypales appartiennent à l’inconscient ». Ce qui explique que de siècle en siècle, le vampire se fasse protéïforme et réapparaisse à travers des visages différents « Dans la mesure où par notre inconscient, nous participons à la psyché historique et collective, nous vivons de façon naturelle et inconsciente dans un monde de loups garous, vampires, démons et magiciens. Ce sont des représentations qui ont inspiré de tout temps les émotions les plus intenses à tout le genre humain », conclut Jung. La bit-lit n’est au fond qu’une des multiples ruses des vampires pour continuer à exister dans l’imaginaire.
Chloé Chamouton