- le  
Dossier libraire : Soleil Vert à Calvisson
Commenter

Dossier libraire : Soleil Vert à Calvisson

Actusf : Quels chemins avez-vous suivis pour devenir libraire ?
Herveline Vinchon : Le chemin le plus simple qu’il soit, une candidature spontanée dans une librairie de quartier il y a 20 ans et l’apprentissage du métier sur le tas. Ensuite treize années dans une grande enseigne culturelle qui m’ont permi d’enrichir ma formation et, maturité oblige, enfin le passage à l’acte, il y a trois ans : monter ma propre librairie.
 
Actusf : Parlez-vous de votre librairie et de sa taille. Pouvez-vous nous la présenter ?
Herveline Vinchon : Soleil Vert est une librairie spécialisée en polar et littératures de l’imaginaire que j’ai montée avec mon associée Dominique Guégan. Le gros pari du projet est de s’être implanté en village. Actuellement, nous n’avons qu’un local de 20m² mais nous espérons nous agrandir bientôt. Nous voulons créer un espace à thème qui à terme ne se limite pas forcément qu’aux livres. Et nous avons dès le départ décidé de faire du livre neuf et d’occasion, à la fois pour l’offre à petit prix que cela représente pour les ouvrages récents mais aussi pour permettre de trouver des ouvrages épuisés ou collector. Enfin, depuis plus d’un an, nous avons développé une boutique en ligne.
 
Actusf : Comment choisissez-vous les titres que vous prenez en rayon ?
Herveline Vinchon : Au départ, comme toute bonne librairie spé qui se respecte, nous avons énormément travaillé le fonds. D’abord les « incontournables » de chaque genre, enrichis ensuite de nos coups de cœur personnels, puis enfin en élargissant au gré des conseils donnés par les autres spécialistes, via les blogs notamment. Les nouveautés viennent en dernier et nous ne les intégrons pas dans leur totalité.
 
Actusf : Quels sont les titres qui fonctionnent le mieux ? Y a-t-il des genres qui se vendent mieux que les autres ?
Herveline Vinchon : Comme nous sommes sur deux grandes familles, autant dire tout de suite que c’est le polar qui nous fait vivre. Quant aux lectures de l’imaginaire, elles se déclinent différemment selon qu’on vend en magasin ou par Internet. Sur place c’est essentiellement la fantasy et le fantastique auquel on peut ajouter la bd et la jeunesse qui marchent. Sur la boutique en ligne, c’est l’ensemble des genres qui fonctionnent mais avec quand même une prédominance de la science-fiction et notamment des titres épuisés. Depuis que nous avons référencé les livres neufs, on commence aussi à vendre quelques nouveautés et ouvrages de fonds.
 
Actusf : D’après vous, quelles sont les raisons qui font qu’un livre marche bien dans votre librairie ? Quelle est la part de votre conseil, de la couverture, de l’importance de l’auteur ou du “buzz” autour du livre ?
Herveline Vinchon : Indéniablement, c’est notre expertise et notre conseil qui prévaut. Notre librairie n’a pas de concurrent direct autre, et ce n’est pas les moindres, que les grandes enseignes des grandes villes environnantes, Nîmes ou Montpellier. Et Internet évidemment. Donc, c’est vraiment notre spécialisation et notre accueil qui font la différence. Au début, on commandait presque toutes les nouveautés mais très vite on s’est rendue compte qu’on ne vendait bien que nos coups de cœur. Les meilleures ventes étant dans n’importe quel supermarché, on a vite appris à les commander avec modération. De ce fait, le marketing des maisons d’édition a moins d’impact sur nos ventes, mais ça ne veut pas dire qu’on n’a pas un regard dessus, surtout pour les maisons d’édition confidentielles. Le livre d’un illustre inconnu sera invendable si la couverture est mauvaise. Et il ne faut pas en vouloir aux librairies… Dans cet esprit, nous nous interdisons l’implantation de parutions d’imprimeurs (traduisez par éditions à compte d’auteur). Côté buzz, le dernier en date pour nous c’est le fameux Projet Bleiberg de David S. Khara. Mais ce genre de « buzz » n’arrive chez nous que si un client nous en parle et si derrière nous l’entretenons. Et c’est ce qu’on a fait mais uniquement parce que nous l’avons lu et adoré.
 
Actusf : On parle souvent d’un déclin de la science-fiction par rapport à un essor de la fantasy. Avez-vous l’impression que c’est le cas ? Est-ce que la SF se vend moins bien ces dernières années ? Et la fantasy ?
Herveline Vinchon : Il est évident que depuis un moment déjà, la science-fiction s’est maintenue dans un carcan très confidentiel au profit d’une fantasy, et plus récemment de la bit-lit, en perpétuelle croissance. Ce n’est donc pas qu’elle se vende moins mais plutôt que d’autres genres, plus populaires et accessibles, enregistrent de meilleurs scores. La SF reste une niche. Nous qui n’avons qu’une clientèle très réduite de connaisseurs, nous nous attachons à faire découvrir ce genre aux autres via les classiques et nos coups de cœurs. Mais les idées reçues ont la dent dure et pour beaucoup la science-fiction apparaît comme quelque chose de complexe, d’inabordable. 
 
Actusf : Avez-vous l’impression dans votre librairie que les acheteurs de Bit Litt’, de science-fiction et de fantasy sont les mêmes lecteurs ?
Herveline Vinchon : Evidemment non. D’abord, nous bénéficions d’une nouvelle mouvance de lecteurs, les parents qui lisent les livres de leurs enfants. Cette tendance est principalement née avec la sortie des Harry Potter, mais on s’aperçoit qu’elle perdure et qu’aujourd’hui beaucoup de collections jeunesse/ado trouvent leur public chez les adultes (même ceux qui n’ont pas de progéniture). D’un côté ça permet une offre plus qualitative pour la jeunesse, mais inversement, une littérature allégée pour les adultes. Cela traduit sans doute un malaise social : le manque de temps pour lire des ouvrages plus conséquents ou la baisse d’exigence qu’on se donne à soi-même pour aborder des romans plus denses. Ou tout simplement cette littérature populaire retrouve ses racines fondamentales, celle et seulement celle de distraire sans trop s’investir quand notre quotidien est si peu réjouissant. La fantasy et la bit-lit ont les mêmes motivations. La première permet de s’évader totalement en appelant à la magie et à l’aventure, la seconde, plus ancrée dans le fantastique, est l’héritage de la littérature à l’eau de rose qu’on a voulu rendre un peu plus moderne et qui existe depuis longtemps chez Harlequin qui publiait déjà des séries de romances vampiriques, rééditées depuis chez des éditeurs plus « sérieux ». Quant à la SF, inutile de dire que l’idée qu’on a de sa rigueur limite son lectorat. Aux librairies et aux auteurs de créer des passerelles entre les genres en proposant des œuvres se réclamant de plusieurs sous-genres.
 
Actusf : On parle parfois de séparer dans les rayons la science-fiction et la fantasy. Etes-vous pour ou contre ? Et pourquoi ?
Herveline Vinchon : Et le fantastique… J’ai essayé les deux formules. Honnêtement la forme du classement reste à mon avis un débat sans fin qui tient pourtant plus d’une politique commerciale que d’un réel souci de confort à l’encontre du client. Et de temps en temps, il faut trancher. J’ai fini par opter pour l’interclassement car en tant que libraire, c’est difficile de mettre tous les livres dans des cases bien précises en raison des œuvres à cheval sur plusieurs genres. Ensuite, parce que les lecteurs non avertis, et c’est eux que je veux initier et fidéliser, ne savent pas toujours reconnaître les genres qu’ils apprécient. Donc, on n’a pas moins de conseil à faire. Du coup, commercialement, je me suis dit que les connaisseurs sauront toujours retrouver leurs auteurs ou séries préférés et qu’en plus eux et les autres, si on les enferme dans une thématique, ils n’auront pas toujours la curiosité d’aller voir ailleurs ce qui se passe. L’interclassement oblige ainsi le lecteur à parcourir un rayonnage et pourquoi pas à s’arrêter sur un titre qu’il n’aurait jamais vu autrement. Après on peut aussi oser d’autres classements plus casse-gueule mais plus ambitieux, et qu’on s’autorisera un jour si on en a la place et les moyens, c’est le classement thématique…
 
Actusf : Comment voyez-vous la multiplication des titres et des éditeurs ? Est-ce que cela est un problème pour vous ?
Herveline Vinchon : Elle est insupportable et je ne suis pas sûre qu’elle contribue à faire plus de lecteurs. Aujourd’hui presque tout est publiable. On vend pas ça ? Ce n’est pas grave on va te traduire un truc qui a cartonné il y a 20 ans aux USA, on te fait passer ça pour de la nouveauté, marketing à fond et tout va bien…. Sans compter, toute cette longue traîne qui a le droit d’exister mais qui est desservie par une multitude d’imprimeurs (j’insiste sur ce mot) qui éditent à compte d’auteurs des gens souvent immatures voire même sans aucun talent, markété au lance-pierre et corrigés par Word version préhistorique. Je veux croire que le travail éditorial a encore sa place et qu’il est la preuve d’une qualité littéraire, mais j’ai de plus en plus de doute. Pour nous, cela ne pose plus de problème depuis que nous avons décidé de limiter notre offre à un fonds, certes modulable, mais néanmoins bien balisé et à nos coups de cœur.
 
Actusf : Comment gérer vous votre “fonds” ? Arrivez-vous à avoir du fonds dans votre librairie ?
Herveline Vinchon : Evidemment c’est la force même de notre librairie. Comme elle est petite, nous ne pouvons tout avoir, mais obligatoirement c’est plus que ce qu’on trouve maintenant chez des concurrents qui il n’y a pas encore si longtemps prônaient la qualité de leur offre et qui aujourd’hui ne font leur chiffre d’affaire que sur les 50 meilleures ventes. On aimerait toujours avoir plus mais nous restons une petite entreprise qui ne peut se permettre d’avoir un fonds totalement immobilisé. Alors on fait un mixte des deux. Du fonds qu’on renouvelle par anticipation, sans attendre de les vendre, autrement dit : on ne réduit pas l’offre, on la remplace – par d’autres titres d’un même auteur par exemple -,  et des nouveautés/coups de cœur qu’on booste plus.
 
Actusf : Votre métier a-t-il évolué ces dernières années ? Qu’est-ce qui a changé ?
Herveline Vinchon : Franchement pas tellement, en tout cas pas en matière de tâches, et ça que l’on travaille pour des grandes surfaces ou pour des librairies de quartier. Gestion de stock, manutention, qualité du conseil et de l’accueil restent les rouages du métier. Par contre, l’évolution des outils technologiques est une aide précieuse surtout dans la maîtrise de son temps de travail et pour en améliorer le confort. Quant aux livres, oui, il y a bien l’arrivée du numérique, bien sûr, mais ça ne change rien au métier lui-même. Ce n’est qu’un format de produit supplémentaire, pour l’instant. Simplement il faut être réactif, ne pas sous-estimer son impact sur les ventes, bref vivre avec son temps, mais tant qu’il y aura du papier, il y aura des libraires. Après, ce sera un autre métier, peut-être très intéressant quand-même, allez savoir.
 
Actusf : Quelles ont été les meilleures ventes en 2010 ?
Herveline Vinchon : En imaginaire, nos meilleures ventes se font uniquement sur le fonds. En fantastique : Le scarabée de Marsh et Pilgrim de Findley. En fantasy : Le dernier souffle de McIntosh, L’épée de vérité de Goodkind et Le Régiment perdu de Forsten, Lamentation de Scholes. En SF : Les hommes protégés de Merle, Nous autres de Zamiatine, La horde du contrevent de Damasio
 
Actusf : Quels ont été vos derniers coups de cœur de lecteur ?
Herveline Vinchon : Le mien est en BD (et c’est une nouveauté pour une fois ;) : Nosferatu T1 de Peru et Martino. Une belle variation du mythe du vampire. Dom a adoré Au-delà du Mal de Stevens, excellent thriller.

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?