- le  
Dossier Traduction : Gilles Dumay
Commenter

Dossier Traduction : Gilles Dumay

Actusf : D'abord comment choisis-tu les romans que tu souhaites traduire ?
Gilles Dumay : D’abord, ça peut être aussi des recueils de nouvelles, comme Ted Chiang.
Ensuite, je ne m’en suis jamais caché, je lis très peu d’ouvrages anglo-saxons (je préfère passer du temps à lire les manuscrits français, j’en reçois dans les 600 par an)… Disons qu’il y a les auteurs que je suis (Priest, Wilson, Holdstock…) et dans ces cas-là, je fais confiance à mon lecteur, Patrick Imbert, et puis il y a les auteurs qui je ne connais pas, mais qui m’intéressent et pour ceux-là je lis le livre, mais aussi tout l’appareil critique que je peux trouver. Je demande un second voire un troisième avis. Et si tout ça entre en subtile collision, je fais une offre (s’il n’est pas trop tard !).
Je remarque les auteurs qui m’intéressent souvent grâce à l’anthologie annuelle de Dozois, qui est un excellent outil en ce qui me concerne, car mes goûts sont très proches de ceux de Gardner. Je demande aussi à des gens comme Robert Charles Wilson, Gordon Van Gelder, Christopher Priest (liste non exhaustive) de me conseiller des livres. Priest m’avait conseillé River of Gods de Ian McDonald, dont j’ai acquis les droits.

Actusf : Comment choisis-tu ensuite les traducteurs ? Les choisis-tu en fonction des auteurs ? (untel ayant par exemple plus de facilité avec tel auteur)
Gilles Dumay : Oui. Il y a des couples qui marchent mieux que d’autres. Jean-Daniel Brèque / Lucius Shepard ; Robert Charles Wilson / Gilles Goullet ; Patrick Marcel / Barry Hughart ; Michelle Charrier / Christopher Priest ; Jean-Pierre Pugi / Michael Moorcock… Le choix des traducteurs est évidemment crucial (ce que ne semble pas comprendre un grand nombre de mes confrères). Ce qui ne m’empêche pas d’avoir publié de mauvaises traductions dont je rejette entièrement la faute sur moi-même, il ne faut pas mettre un moteur de Ferrari sur une deux chevaux et inversement.
La plupart de mes traducteurs bossent avec moi depuis des années ; comme pour les auteurs, je suis fidèle.

Actusf : Quels sont en gros les délais que tu as pour faire faire la traduction d'un roman ?
Gilles Dumay : Je prends mon temps, deux ou trois ans dans la plupart des cas. Jamais moins de 18 mois. N’ayant pas de problème de trésorerie, je peux laisser une année complète à un traducteur s’il le souhaite.

Actusf : Que demandes-tu à tes traducteurs ? D'être fidèle le plus possible au roman ?
Gilles Dumay : Non, je préfère qu’ils fassent n’importe quoi…
Plus sérieusement, je leur demande de me rendre un texte qui aurait pu être écrit en français, fidèle, mais pas servile. Encore une fois aucune règle possible ; il y a des textes qui supportent très bien d’être « traduits servilement » et d’autres qu’il faut absolument adapter.

Actusf : Quelles relations as-tu d'ailleurs avec eux ? Vous discutez beaucoup ensemble ou au contraire sont-ils totalement libres jusqu'au moment de rendre le manuscrit ?
Gilles Dumay : Une fois de plus, aucune règle possible ; je discute avec ceux qui ont besoin de discuter et je fous la paix à ceux qui ont besoin de bosser dans leur coin. C’est eux qui décident.

Actusf : Comment d'ailleurs peux-tu te rendre compte toi si la traduction est bonne ou pas ? Y'a-t-il des trucs qui sont révélateurs de la qualité d'une traduction ?
Gilles Dumay : Oui, j’ai des trucs. Je vire tout traducteur (ou traductrice) qui me traduit systématiquement decade par décade, umbrella par ombrelle, agony par agonie, porch par porche, wormwood par ver-de-bois. Une mauvaise traduction, ça se reconnaît comme le nez au milieu de la figure, ça ne coule pas, il n’y a aucun ton, des phrases suspectes, d’autres qui ne veulent rien dire jusqu’à ce qu’on les ai retraduites en anglais, etc. Il y a des livres qui résistent à de mauvaises traductions et d’autres qui sont coulés et qu’on ne relira plus.

Actusf : Parlons sous :-). Combien sont payés les traducteurs chez Lunes d'Encre (en moyenne) ?
Gilles Dumay : 16 euros le feuillet, tout le monde (débutants comme vétérans) au même tarif. Désolé d’être marxiste, mais néanmoins correct, sur ce plan.

Actusf : Est-ce qu'un jeune traducteur a ses chances s'il postule chez Lunes d'Encre ou faut-il qu'il fasse ses preuves d'abord ailleurs ?
Gilles Dumay : Il faut qu’il fasse ses preuves ailleurs.

Actusf : Pourquoi révises-tu ou fais-tu réviser certaines traductions ? Est-ce que c'est parce qu'elles ne sont pas bonnes ? Ou est-ce qu'elles ne correspondent plus à notre époque ? Cela veut-il dire qu'il y a une notion de « modernité » dans la traduction ?
Gilles Dumay : C’est souvent parce qu’elles sont incomplètes ou maladroites ou percluses d’erreurs, voire les trois à la fois. Il y a peut-être une nécessité de « modernité » dans la traduction, mais en fait je suis plutôt contre : un texte années 50 doit sonner années 50. J’ai rewrité Lune de miel en enfer pour Gallimard et j’ai tout fait pour que ça ressemble à de la SF des années 40/50. Personnellement quand je lis Moby Dick, je n’ai pas envie d’entendre les marins dire « zyva, fais péter le rhum ».

Actusf : Quels sont les romans étrangers que tu comptes éditer dans les mois qui viennent ?
Gilles Dumay : Je te croyais mieux informé que ça…
Il est difficile d'être un dieu, Arkadi et Boris Strougatski.
Encre, Hal Duncan.
Axis, Robert Charles Wilson.
Mouvements Nocturnes, l'intégrale des nouvelles de Tim Powers.

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?