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Dragons, entre sciences et fictions

Jean-Marie Privat (Anthologiste), Tudor Banus (Illustrateur de couverture, Illustrateur interne)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 28/02/2006  -  livre
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Dragons, entre sciences et fictions

« Puis un second signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge-feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d’un diadème. {4} Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s’apprête à dévorer son enfant aussitôt né.» Apocalypse – 12 :3.

Afin d’accompagner l’exposition Dragons, entre sciences et fictions se tenant actuellement au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris jusqu’au 06/11/2006, CNRS Editions propose un curieux ouvrage pluridisciplinaire sur le sujet.

Curieux car hybride. Loin de s’intéresser à l’aspect purement légendaire de cet archétype, les spécialistes impliqués s’attachent à dérouler une culture du dragon sur bien des aspects. On y parle ainsi de linguistique, de paléontologie, de religion ou encore de littérature enfantine. Les articles sont ainsi regroupés en cinq volets : sciences, religions, littérature, art, anthropologie. Cette démarche intéressante est rendue d’autant plus pertinente en étant centrée sur l’un des aspects essentiels du dragon : son hybridité. Hybridité qui est à l’origine d’une grande partie de son ambivalence et de sa fascination. Le dragon demeure une des créatures les plus intrigantes et attachantes du bestiaire de l’imaginaire. Cet ouvrage est là fort à propos pour le souligner.

Curieux aussi car abscons. Alors qu’on aurait pu attendre un ouvrage pour profanes ; un guide pour l’exposition sus-mentionnée, c’est en fait un pensum pointilleux et assez verbeux que voilà. Certes, plusieurs articles sont abordables – notamment ceux tournant autour de la littérature – mais s’il y a bien une chose que confirme cet ouvrage c’est qu’un scientifique restera un scientifique…

Premier travers rencontré, certains articles sont très mal écrits, rédigés avec une plume abrupte et sèche qui sans les jolies illustrations risquent de pousser certains lecteurs dans la gueule du dragon. Une relecture littéraire de l’ouvrage pour le rendre lisible n’aura pas été de trop…

Second travers recensé, d’autres articles sont tellement précis dans leur domaine scientifique respectif que seuls les aficionados de ce domaine y retrouveront leurs dragonnets. Petit exemple, « La sémantique de l’hybride », article pourtant passionnant sur l’hybridité en linguistique, ne peut qu’effrayer les jeunes et jolies princesses désireuses d’en apprendre un peu plus sur leur dragon préféré : « La différence entre les processus transformateurs (anamorphique vs métamorphique) s’exprime au plan formel, par divers procédés de composition ou d’hybridation linguistique (ici monosyntaxique) : la structure verbale anamorphique se réduit à un mot (même s’il est composite : le radical + le suffixe qui marque la dérivation verbale et le procès transformateur) ; la structure métamorphique ([X] changer [N1] en N2) est autrement complexe, complète s’il on préfère : outre le sujet (l’agent X), elle comprend (i) un prédicat transformateur, (ii) la désignation N1 de l’espèce source, (iii) celle de N2 de l’espèce cible, et, entre elles, (iv) une préposition dont j’ai pu montrer qu’elle avait une double fonction sémantique en contexte transformateur ; « en », dans ces cas, sert à la fois (v) de translateur entre N1 et N2 et (vi) d’intégrateur du référent de N1 au domaine de N2 (le domaine est en l’occurrence une espèce). De la sorte on peut véritablement voir le processus se dérouler (iconicité linguistique) ». Limpide, non ? Ce parti pris ultra-scientifique oblige donc le lectorat de cet ouvrage à se restreindre à un public érudit (vous me direz, pour un ouvrage publié par le Conseil Général de la Moselle, on peut comprendre que l’austérité fut de rigueur). De longues soirées hivernales de méditation se préparent sur plusieurs articles et aussi sur la critique d’un de nos fantastiques confrères qui, soit n’a pas lu le livre, soit est d’une pluridisciplinarité dragonnesque (Je cite : « Tout cela est érudit, mais tout à fait clair. Nul jargon, tout est abordable »).

Curieux enfin car étrangement arriéré (encore un effet secondaire de la Moselle ?). Si je partage l’avis d’un autre de nos confrères qui émet un gai bémol concernant l’approche littéraire, qui reste trop succincte par rapport à la prédominance du dragon dans les littératures de l’imaginaire, je suis en revanche beaucoup plus choqué / scandalisé / outré par l’absence d’articles sur le dragon dans les arts modernes. Ainsi le cinéma et surtout les jeux vidéo auraient tous deux mérité un article - notamment tourné vers l’Asie où le dragon y est une des créatures les plus emblématiques pour ces deux arts. Tout cela est regrettable et éloigne encore plus cet ouvrage d’un guide qu’on aurait aimé voir entre des mains juvéniles.

Dragons, entre sciences et fictions reste un ouvrage intéressant, superbement mis en valeur par les illustrations intérieures noir & blanc de Tudor Banus, mais qu’on ne pourra conseiller qu’à certaines catégories de lecteurs : 1. Aux amoureux des dragons qui, de toutes façons, y trouveront leur compte. 2. Aux curieux, mais qui se devront de posséder un bagage suffisant dans le(s) volet(s) qu’ils souhaitent explorer. 3. Aux butineurs de beaux livres, qui pourront notamment s’arrêter peu ou prou sur les articles clés de l’ouvrage : « Sémantique de l’hybride », « Dragons ou monstres, l’hybridité dans la Bible », « Raconte-moi les dragons » (ou le dragon vu comme un initiateur de la sexualité des petites filles…), « Nagas et dragons en contact », « Brider ou hybrider les dragons » et l’amusante enquête de l’anthologiste Jean-Marie Privat à Saint-Privat-du-Dragon. 4. Aux fans de Francis Berthelot (espèce préservée - au dernier comptage, il y en aurait encore six cents sur le territoire français) qui seront ravis et amusés par son hybridation perverse (une de plus ?) dissimulée au sein de cet ouvrage.

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