- le  
Du jeu au roman : Time Stories et Les Loups-Garous de Thiercelieux
Commenter

Du jeu au roman : Time Stories et Les Loups-Garous de Thiercelieux

Vous connaissez peut-être le jeu de société Les Loups-Garous de Thiercelieux de Philippe des Pallières et Hervé Marly (Éditions Lui-même) où les joueurs incarnent des villageois qui essayent de débusquer les terribles lycanthropes cachés parmi eux. Mais vous avez peut-être également lu Lune Rousse, l’adaptation en roman de ce jeu par Paul Beorn et Silène Edgar, sorti aux éditions Castelmore fin 2018.

Sébastien Moricard‏ (que nous avions déjà interviewé pour le lancement de Oreste, son Univers de SF), accompagne les Éditions Bragelonne dans le développement de projets éditoriaux originaux qui s’articulent autour de la culture Geek. Il est d’ailleurs également le fondateur du site Geekmemore.com. Il répond à nos questions sur cette adaptation, et sur d’autres à venir.

ActuSF : Comment est venue l’idée de décliner des jeux de plateaux en roman ?

Sébastien Moricard‏ : Les mondes de l’Imaginaires me passionnent depuis toujours. Qu’il s’agisse de littérature, de comics, de manga, de cinéma, de JdR (jeux de rôle), de jeux vidéo ou de jeux de plateau… Le cas du jeu m’intéresse particulièrement car le dispositif nous immerge dans un univers pour un court instant. Autour d’une table, les petites histoires qui se racontent sont celles que les joueurs vont vivre, mais qu’en est-il de la grande histoire ? Celle qui vaut la peine d’être racontée, celle qui donne son sens à l’univers ? Le roman est un format idéal pour cela.

Quelle était l’objectif initial de cette nouvelle gamme ? Toucher le public des joueurs de plateaux ?

Sébastien Moricard‏ : L’objectif c’est de faire les meilleurs livres possibles au cas par cas.

Il s’agit tout à la fois de faire découvrir ces univers aux non joueurs, tout en prenant garde de ne pas décevoir les fans de ces univers. C’est un numéro d’équilibriste, car il faut rendre l’univers accessible sans le déposséder de ses originalités. Ne pas tomber dans le fan service tout en évitant le piège du livre ultra-référencé, qui ne parle qu’aux fans de la licence.

Nous avons également vu des jeux de société être publiés par Bragelonne. Est-ce que ces novellisations s’inscrivent dans la continuité de cette diversification éditoriale ?

Sébastien Moricard‏ : Oui et non. Cette initiative atteste de la sincérité de notre démarche, de notre passion pour le jeu. Mais faire des livres et faire des jeux sont deux métiers différents. Les deux activités sont distinctes, les équipes et les process sont différents.

Que faut-il pour qu’on jeu soit adaptable ? Un univers ? Une thématique ? Une grosse communauté de joueurs ?

Sébastien Moricard‏ : Il faut que le jeu en question soit le début d’une l’histoire dont on souhaite connaitre la suite.

Jouer aux Loups-Garous, c’est se raconter une histoire collective… C’est un excellent début.

Un univers original et une thématique forte sont essentiels. Une grande communauté engagée est un plus non négligeable pour faire en sorte que l’ouvrage soit (re)connu dans les rayons.

Dans le cas du roman des Loups-garous de Thiercelieux, Lune rousse, quel a été le cahier des charges ? Je pense à la tranche d’âge par exemple, ou à un cadre d’historie qu’il fallait respecter pour coller au jeu ou à son ambiance ?

Il faut que le jeu en question soit le début d’une l’histoire dont on souhaite connaitre la suite.

Quand j’ai contacté Philippe des Pallières (Éditions Lui-Même), la première chose qu’il m’a dit c’est « Tu n’es pas le premier à me contacter pour me proposer ça, et jusque-là j’ai toujours refusé » Je lui ai demandé de me laisser une chance et il me l’a accordée. La suite c’était de discuter longuement avec Philippe et Hervé Marly. Thiercelieux, pour eux, c’est bien plus qu’un jeu :

  • Il y a l’idée que la meilleure façon de combattre l’antagoniste, c’est de s’assoir avec lui autour d’une table et de discuter.
  • Il y a le fait que le personnage de Cupidon créé autant d’unions homosexuelles qu’hétérosexuelles dans le jeu.
  • Et enfin, je me souviens que Thiercelieux est un lieu très important pour Philippe. C’est le lieu du nouveau départ, du vivre autrement (en opposition avec Paris qui centralise tout).

Tout ceci n’était que les fondations, car ce roman est avant tout l’histoire d’une rencontre entre les créateurs du jeu et les auteurs du roman. J’ai tout de suite pensé à Silène Edgar et Paul Beorn pour ce roman. Ils avaient cartonné avec l’excellent 14-14 et leur style était parfait pour écrire les loups.

Silène et Paul avaient beaucoup joué aux loups, aussi la connivence fut immédiate. Philippe et Hervé Marly ont vite été enthousiastes en voyant leurs personnages prendre vie sous la plume de ce duo qui n’en était pas à sa première co-écriture.

Pour ta part, quel est ton rôle dans ce processus ? À quel(s) niveau(x) interviens-tu ?

Mon rôle c’est d’initier les choses : j’ai une idée, je la soumets à Stéphane Marsan (codirecteur des éditions Bragelonne). Quand il me donne son go, je réunis les interlocuteurs, partage ma vision du projet avec eux et tente de les convaincre. Tant que le projet n’est pas sur les rails, je reste très présent, mais une fois qu’il est défini et que le travail éditorial commence, je m’efface. À ce stade en générale, je commence à réfléchir au marketing qui accompagnera la commercialisation de l’œuvre.

Le roman a été très bien accueilli, je crois. Peut-on espérer un nouveau roman dans cet univers ? Ou la gamme ne prévoit-elle que des titres uniques ?

Sébastien Moricard‏ : Ces projets ne sont pas pensés en termes de gamme. Nous ne revendiquons pas l’existence d’une collection de romans adaptés des jeux. Chaque roman existe parce qu’il fait sens et non pour alimenter une case.

Depuis peu, on sait que va arriver en juillet prochain une autre livre tiré d’un jeu de plateau qui cartonne : Time Story, édité chez les Space Cowboys. Qui sera à l’écriture cette fois ? Vous pouvez nous en parler ? On est dans un univers radicalement différent de celui des Les Loups-Garous de Thiercelieux


Sébastien Moricard‏ : Je suis un grand fan des Space Cowboys. Tous leurs jeux partagent ce côté immersif que je recherche tant et T.I.M.E Stories est de loin mon préféré. J’ai beaucoup réfléchi à la manière de conduire ce projet car des tas de directions différentes étaient possibles.

T.I.M.E Stories emmène ses joueurs dans des univers très différents qui s’inscrivent dans des courants aussi variés que l’horreur, le thriller, la fantasy, le polar, l’historique, etc…

Pour le jeu c’est un énorme point positif, ça permet de combler les envies de tout type de public. En revanche pour une œuvre purement narrative, les multivers c’est souvent très nul.

Chaque roman existe parce qu’il fait sens et non pour alimenter une case.

Ce qui m’intéressait en tant que joueur de T.I.M.E. Stories, c’était la méta intrigue :

L’agence c’est quoi en vrai ? Comment recrutent-ils leurs agents ? Ils poursuivent quel but ? Et les Syaans ? Et les Elois ? On en parle ?

Le fait de s’intéresser précisément à ces questions ancre le roman dans un genre défini : la S.F., et les spécificités de l’univers rappellent quelques grands classiques comme Carbone Modifié : un monde futuriste dans lequel les esprits peuvent se glisser dans des corps différents.

Je me suis ensuite demandé quels auteurs de S.F. avaient eu la même idée que Manuel Rozoy ?

Si T.I.M.E. Stories avait dû être un roman plutôt qu’un jeu, ça aurait été Black Out de Connie Willis.

[Détenteur du Nébula, du Hugo et du Locus award, Black Out est une référence en termes de S.F. / voyage dans le temps réaliste. Le livre nous parle d’un futur proche dans lequel les historiens peuvent (doivent) vivre le passé pour l’étudier. Ils voyagent dans le temps et observent, mais c’est évidemment devenu un métier à risque, car quand ils étudient la Seconde Guerre mondiale, les bombes sont bien réelles… Et quand l’histoire elle-même est en train de dérailler, alors peut-être est-il finalement possible de changer le passé ?]

Après ces réflexions préliminaires, je me suis demandé ce qui fait une bonne adaptation ?

Si on regarde du côté des très bonnes adaptations de jeux en roman, Assassin’s Creed est un bon exemple.

En plus, de par sa proximité avec T.I.M.E Stories (Abstergo étant à Assassin’s Creed ce que l’agence est à T.I.M.E Stories) les deux licences partagent la même promesse : partir d’une époque donnée où l’on maitrise le voyage dans le temps pour immerger des individus contemporains dans une époque différente et un lieu lointain.


J’ai donc cherché à comprendre ce qui fait des adaptations d’Assassin’s Creed de si bons romans.

Deux facteurs ont attiré mon attention :

Le choix de l’auteur Anton Gill qui, sous le pseudonyme d’Oliver Bowden, s’avère être un auteur spécialisé dans les romans policiers historiques… La rigueur historique avec laquelle il traite ces sujets renvoie alors à la rigueur avec laquelle Ubisoft reconstitue les décors qui servent de cadre au jeu.

On devait donc trouver un auteur taillé pour le style S.F.

Breaking news : Ce sera Christophe Lambert l’auteur du roman (l’écrivain hein, pas l’immortel)

Dans Assassin’s Creed, le game design impose certaines contraintes qui n’ont aucun fondement dans la narration du jeu. Le roman s’attache alors à les justifier, pour en faire un ensemble cohérent.

Dans T.S. le game design entraine aussi un certain nombre de questions qui doivent trouver une réponse logique dans la narration d’un roman comme par exemple : si l’agence a une maîtrise du temps, pourquoi fait-elle le choix de mettre délibérément leurs agents en échec en leur accordant un premier temps de mission trop court ? (Oui, parce que on est bien d’accord que personne ne boucle un scénar sur le premier run)

Enfin le dernier ingrédient, c’est de faire porter aux joueurs un regard nouveau (ou différent) sur des éléments préexistants dans les scénarios du jeu.

Breaking news : Ce sera Christophe Lambert l’auteur du roman (l’écrivain hein, pas l’immortel)

J’ai présenté toutes ces réflexions aux space, on a beaucoup échangé et ils ont trouvé ça cool. Pieric Guillomeau est entré dans la dance pour assurer l’éditing de l’ouvrage. C’est lui qui a pensé à Christophe Lambert pour l’écriture. Christophe, (excellent technicien du découpage) a fait une première passe de script doctor puit s’est mis à l’écriture avec une efficacité redoutable ! François Doucet et Manuel Rozoy se sont beaucoup impliqués et ont suivi ces avancés chapitre par chapitre, apportant leurs corrections et leurs suggestions.

Ce projet m’a fait réaliser deux rêves :

Bosser avec les space cowboys !

Sur un roman de T.I.M.E. Stories !

J’ai vraiment hâte que ce roman sorte !

Vous avez d’autres projets de novélisations de jeux de société à venir ?

Sébastien Moricard‏ : Oui.

Mais si je vous le dis, je serai obligé de vous tuer.

Sébastien Moricard

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?