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Edito <br> <i>Culture</i> générale
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Edito
Culture générale

Iain M.Banks est l'un des quelques auteurs incontournables de la SF contemporaine. Au point même qu'il est proprement inconcevable de prétendre s'intéresser au genre sans l'avoir lu.

En quelques romans devenus depuis des classiques, l'Ecossais a révolutionné le Space Opera. Contribution majeure et pierre angulaire de sa science fiction, la Culture est incontestablement la véritable héroïne de ses romans.

Société paradoxale, à la fois floue et parfaitement consciente de sa supériorité et de son unicité, libertaire mais volontiers prosélyte, voire même invasive, elle est née dans l'esprit de Banks d'un principe fondateur simple : créer "la société la plus proche possible d'une utopie, et dont les membres demeureraient humains". Avant de rajouter, lucide et toujours malicieux "Mais je n'ai jamais dit qu'elle devait être parfaite".

Comme il le dit lui-même. C'est une société libre, ouverte et permissive, mais "n'allez pas lui chier dans les bottes, il vous en cuirait."

Banks n'a jamais fait mystère de ses opinions. Il hait les Conservateurs, conchie les gouvernements de droite et nourrit à l'égard du capitalisme un mépris teinté de dégoût. Et il l'a dit et redit, il voulait créer une science fiction de gauche qui pourrait être une réponse valable à cette SF de l'Âge d'Or, facilement qualifiée de droite, et qui avait bercé son enfance. Le refrain est bien connu en Angleterre, et d'ailleurs Banks n'est pas le premier à l'avoir entonné. En témoigne les écrivains de la New Wave qui, derrière Moorcock, ancraient volontiers leur SF à gauche.

Rien d'étonnant donc à ce que la Culture reflète ses prises de positions. Et rien d'étonnant non plus à ce que cette société utopique se nourrisse de siècles de révolution sociale anglaise. Car Outre-Manche, loin de la vision romantique à l'américaine, on a la révolte pragmatique. Depuis Cromwell, on sait que c'est là une chose sale, et que les grands principes doivent s'accommoder des tristes contingences matérielles. Pragmatique et désabusée, car si l'étau de fer du système de classes sur lequel est basé toute la société anglaise s'est un peu relâché depuis quelques décennies, il n'en reste pas moins une réalité, injuste et incontournable.

Ainsi, si la Culture est l'une des plus riches créations littéraires de ces dernières années, c'est parce que Iain M.Banks a parfaitement compris qu'il se devait d'en explorer les limites. Une contingence parfaitement résumée par l'auteur lui-même lorsqu'il dit "La Culture est parfaitement consciente qu'il est assez facile de rester une utopie à l'intérieur des ses propres limites, une fois que vous atteint une certaine maîtrise technologique et que vos objectifs ne sont pas exorbitants (par exemple la Culture a des stations orbitales, et pas des Sphères de Dyson). Là où les choses se corsent c'est lorsqu'on essaye d'apporter son aide hors de sa sphère d'influence – ne fût-ce qu'une aide morale – sans être hégémonique. Difficile d'encourager la tolérance culturelle sans finir par imposer une certaine uniformisation. Même accidentellement."

Mais là où Banks s'impose d'évidence comme un auteur majeur, c'est dans son approche résolument ludique de l'écriture. Plutôt que de se laisser gagner par la sinistrose bobo d'un Ballard, où le sublime ennui d'un Priest, il a décidé que son propos ne devait jamais le céder à une intelligence malicieuse, une écriture vive et brillante, et un sens certain du merveilleux.

Corollaire de ce parti pris : le refus du didactisme. Banks ne donne pas de leçon, n'impose pas ses vues, ne fait pas de prosélytisme. Bien plus utilement il nous confronte à nos idéaux par le biais des dilemmes moraux qu'il impose à la Culture. La raison en est simple. Banks n'écrit pas pour sauver le monde. Il sait aussi que tout auteur amène assez de lui dans ses œuvres pour ne pas avoir en faire pâtir son histoire. Il a compris que le devoir d'un romancier est de faire ses idées passent par-delà les mots. Et il y est parvenu. En conciliant avec un tel brio l'émerveillement et l'intelligence, il a rejoint le club très fermé des auteurs essentiels.

Il y a longtemps que nous aurions dû lui rendre justice, et payer notre dîme au bonheur des longues heures de lecture qu'il nous a offertes depuis près de vingt ans.

Voilà ! C'est aujourd'hui réparé.

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