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Elévation

David Brin ( Auteur), Jean-Pierre Pugi (Traducteur), Pascal Blanché (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/06/2006  -  livre
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Elévation

David Brin est né en 1950 aux Etats-Unis. Diplômé d’astronomie, de physique appliquée et de philosophie, il écrit son premier roman, Jusqu’au cœur du soleil, en 1980 et commence ainsi son cycle de l’Elévation qu’il continue avec Marée stellaire puis Elévation, tous les deux prix Hugo. Un second cycle, Rédemption, viendra compléter cet univers. Brin a également écrit Le triomphe de Fondation, qui se situe dans l’univers créé par Asimov.

Même si Elévation fait référence à des événements s’étant produit dans Marée stellaire, il peut être lu indépendamment des précédents tomes du cycle.

Du rififi dans les Cinq Galaxies

Alors que les humains et les chimpanzés, élevés génétiquement au rang d’espèce savante, essayent de rétablir un certain équilibre écologique sur Garth, monde dévasté par leurs précédents habitants, les Gubrus, espèce patronne des Cinq Galaxies, décident d’envahir la planète. Ils reprochent aux humains, ces jeunes-loups parvenus, d’avoir laissé l’un de leur vaisseau, le Streaker, piloté par des néo-dauphins, découvrir un secret sans en référer aux autres espèces patronnes. Cet incident a priori anodin déclenche un remue-ménage au sein d’une société galactique déjà déchirée par les conflits, et offre un prétexte aux Gubrus pour donner une leçon aux humains. Personne ne bouge le petit doigt et les habitants de Garth se retrouvent pris en otages. Une résistance s’organise, au sein de laquelle Robert Oneagle, fils de la Coordinatrice planétaire, Fiben, chimpanzé malin, et Athacléna, Tymbrimi fille de l’ambassadeur Uthacalting, vont faire la preuve de leurs talents.

Un univers original et très riche

Le principal atout d’Elévation, c’est son univers et les concepts que Brin développe pour montrer l’organisation de sa société galactique. Le processus d’élévation, qui donne son titre au roman, est à la base de cette société et consiste à modifier génétiquement une espèce pré-cognitive pour la rendre consciente puis savante. Cette idée est déjà en soi séduisante, mais Brin l’étoffe formidablement en développant ses aspects scientifiques et sociologiques pour la rendre parfaitement crédible. Notamment, il introduit une hiérarchie entre les espèces patronnes et les espèces clientes (celles qui ont été élevées), qui n’est pas forcément morale de notre point de vue mais paraît tout à fait logique. Il y a par ailleurs derrière cette idée une dimension humaniste (en étendant ce terme à toute espèce cognitive) puisque chaque espèce ayant atteint un certain stade peut et veut partager son savoir et répandre la conscience chez les autres espèces.

D’un point de vue plus microcosmique, Brin parvient à inventer des espèces extraterrestres originales et bien exploitées. Par exemple, les Tymbrimis ont une capacité d’adaptation physique que l’auteur met à contribution pour faire avancer l’intrigue. De même, il leur façonne un langage psychique fait de « glyphes » immatériels et l’utilise à bon escient, ce n’est pas un simple gadget. Autre exemple, la conception tripartite du pouvoir chez les Gubrus joue un rôle très important dans l’histoire et l’auteur parvient à rendre familier un mode de pensée et d’expression différent du nôtre.

Des défauts répétitifs

Dommage que cette inventivité et cette aisance avec des concepts originaux soient souvent entachées par des tics agaçants de Brin. Le plus important est de centrer son univers autour des humains en terme de références. Déjà dans la logique interne du roman, l’homme est trop souvent pris pour point de comparaison par les autres espèces, même dans leurs réflexions personnelles. Cet anthropomorphisme abusif nuit non seulement à notre perception des personnages extraterrestres, mais aussi, parfois, à l’histoire elle-même puisque certains comportements ne paraissent pas coller avec les caractéristiques d’une espèce.

C’est flagrant au niveau du langage : les Tymbrimis utilisent souvent des métaphores typiquement humaines. Ce serait sans doute passé inaperçu si Brin n’insistait pas sans arrêt en prêtant aux Tymbrimis des réflexions sur les métaphores humaines et sur la particularité du langage humain (« Oh ! Que ces métaphores humaines sont à la fois charmantes et surprenantes » répété tous les 4 chapitres), comme s’il cherchait à justifier l’emploi d’expressions idiomatiques. Après tout le livre est écrit pour des humains, il est naturel d’employer des expressions que nous connaissons pour faciliter la lecture ; soit l’auteur invente un langage particulier, soit il fait appel à notre crédulité de lecteur, mais ces rappels constants sont particulièrement agaçants. D’autant plus que si les extraterrestres maîtrisent le langage humain, c’est qu’il n’est pas si éloigné du leur structurellement, il n’y a donc aucune raison de s’extasier sans arrêt… Et concernant les Tymbrimis, il est difficile de croire qu’un peuple capable de générer des glyphes psychiques subtils ne connaisse pas la notion de métaphore !

Autre motif d’irritation : les références au XXème siècle. Brin fait trop souvent appel à des images ou des personnages fictifs de notre époque, sans doute pour faire un clin d’œil humoristique au lecteur : références au cinéma (King Kong, films policiers), à Tarzan… Il y a même une constellation qui s’appelle Batman ! Tout ceci est ridicule et surtout néfaste à la crédibilité de l’histoire : il serait hautement plus probable que les personnages fassent référence à leur siècle ou aux deux ou trois précédents, plutôt qu’à une époque qui est jugée comme sombre par les humains eux-mêmes…

Ces petits défauts peuvent paraître insignifiants, et d’ailleurs ils raréfient au fur et à mesure de la lecture, mais ils sont une source d’incohérence épisodique, et surtout d’exaspération qui vient gâcher le plaisir procuré par l’intrigue.

Une intrigue complexe et diversifiée

Car l’histoire tient toutes les promesses contenues dans cet univers si original et si bien exploité. Si le roman est un peu long à démarrer (il aurait pu facilement être amputé de 200 pages), on se laisse finalement emporter par l’action tournant autour de la résistance des espèces terriennes face aux Gubrus. D’autant plus que l’auteur évite les pièges de ce type d’histoire : ses héros rencontrent des difficultés imprévues et s’en sortent par des moyens originaux (même si Brin fait parfois appel à la chance) ; des personnages qui nous semblent importants meurent prématurément, ce qui renvoie l’intrigue dans une direction à laquelle on ne s’attendait pas.

De plus, au-delà de l’intrigue locale à Garth, Brin intègre parfaitement bien les complots politiques au niveau galactique, dont les concepts nous sont étrangers (par exemple les farces mystificatrices des Tymbrimis, élevées au rang d’armes diplomatiques), et parvient à imbriquer les deux niveaux (local et global) avec une aisance et une cohérence à toute épreuve. De ce point de vue, le premier final est très réussi et arrive à nous surprendre en exploitant des pistes que l’auteur avait réussi à nous faire oublier.

Cette cohérence est renforcée par le fait que les personnages d’Elévation ont de la mémoire : ils se souviennent de ce qu’ils ont vu et utilisent l’expérience acquise plus tôt dans le roman. Brin pousse même le souci du détail jusqu’à imaginer des solutions (astucieuses) qui auraient pu être utilisées si les conditions avaient été différentes. Ce n’est pas forcément nécessaire à l’intrigue mais cela enrichit l’univers général et les personnalités des protagonistes.

Ecologie et évolution

Au-delà de l’histoire qui se déroule sur Garth, David Brin nous fait part de ses réflexions sur l’écologie et l’évolution. Lorsqu’il érige en règle galactique la protection de l’environnement (« Toutes les races patronnes galactiques s’engageaient à protéger l’environnement »), ou lorsqu’il évoque le cataclysme écologique qui a sévi sur Garth par la négligence de ses précédents habitants, le message est on ne peut plus clair et nous renvoie à notre propre planète. Dommage cependant que l’auteur n’ait pas décrit un peu plus en détail les mécanismes écologiques qui régissent une biosphère. S’il fait preuve d’une grande imagination pour certains éléments de cette biosphère (le système de lianes communicantes dans la jungle de Garth), on sent le message un peu superficiel, il ne s’appuie pas suffisamment sur du concret.

Mais Brin va plus loin que la problématique environnementale et se questionne sur la responsabilité de l’homme par rapport à sa propre évolution et sur l’apparition de la conscience. Le pouvoir d’éveiller une espèce à la conscience implique des responsabilités envers cette espèce et de la part de cette espèce. Là encore Brin ne rentre pas trop dans les détails mais lance des pistes de réflexion intéressantes, en évoquant par exemple le droit d’une espèce de choisir d’inverser le processus d’élévation pour retourner à l’état sauvage. Le savoir est une chance mais n’est pas une obligation et ne doit pas être forcé, au risque de détruire des équilibres écologiques fragiles qui ne supporteraient pas une évolution trop brusque.

Un grand roman

Au final, Elévation est un grand roman, autant par son intrigue que par l’univers qu’il met en œuvre. David Brin allie divertissement et réflexion sur l’écologie et l’évolution, et même si quelques tics d’écriture peuvent casser provisoirement l’enthousiasme du lecteur, ce mélange procure un réel plaisir. De toute façon, un écrivain qui met en scène des chimpanzés et des gorilles ne peut pas être foncièrement mauvais !

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