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Encore un peu de verdure
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Encore un peu de verdure

Ward Moore, s'il a peu écrit, reste cependant un auteur incontournable. En trois romans, il est parvenu à marquer de manière indélébile le domaine de la science-fiction. Si Autant en emporte le temps, un chef d'œuvre de l'uchronie, est celui que nous voyons cité le plus souvent, Encore un peu de verdure, le récit impitoyable d'une apocalypse végétale, fait partie des livres dont les vieux fidèles de la collection Présence du futur se souviennent en se demandant pourquoi Diable il n'a pas encore été mis à la portée des jeunes lecteurs du vingt-et-unième siècle. Ward Moore est également l'auteur de Caducée, un récit d'anticipation hypocondriaque beaucoup moins indispensable malgré un sujet très prometteur...

Le blues de la pelouse.

Miss Francis, une scientifique indépendante un peu timbrée, fait appel à un vendeur au porte-à-porte désargenté, Albert Weener, afin de commercialiser une formule qu'elle vient d'inventer et qui permet d'améliorer la croissance et la résistance des graminées. Le jeune homme parvient à vendre une première dose de ce produit miraculeux et en pulvérise la pelouse de sa cliente. En moins d'une journée, le gazon – une variété originaire des Bermudes connue sous le nom d'herbe du Diable – se met à pousser à une vitesse et dans des proportions inimaginables. Impossible à tondre, l'herbe se propage aux jardins environnants, au reste de la ville, puis à la Californie toute entière... La progression de l'envahisseur végétal, dont les brins finissent par mesurer plus de six mètres de haut, se poursuit à un rythme implacable que rien ne semble pouvoir arrêter...

Les Weeners risquent fort de devenir des losers...

Ce roman exemplaire, qui figure dans bon nombre de listes d'incontournables de la science-fiction, n'a pourtant pas eu les honneurs d'une réédition depuis sa parution en France en 1975. Écrit en 1947, le récit de cette terrible catastrophe écologique reste très actuel puisqu'il aborde, avec un humour grinçant, le thème de l'exploitation de la science dans un dessein bassement mercantile. Plus encore qu'une fable écologique destinée à nous éveiller sur les dangers potentiels qui menacent la planète, Encore un peu de verdure brocarde magistralement le goût immodéré du lucre. Pour Ward Moore, le véritable danger ne réside pas seulement dans un désordre environnemental potentiellement létal ou dans les risques relatifs à des expérimentations scientifiques mal contrôlées. Le véritable coupable est clairement identifié : il s'agit d'Albert Weener, promu symbole de l'American Way of Life par la vertu de son nom, personnification du winner cher aux coaches des séminaires de développement personnel. Le cynisme révoltant du personnage principal pourrait prêter à rire si nous ne reconnaissions malheureusement en lui bon nombre de nos contemporains...

Le roman demeure passionnant d'un bout à l'autre et au cours de cette angoissante apocalypse narrée depuis le point de vue d'Albert Weener, l'herbe du Diable est perçue comme s'il s'agissait d'un envahisseur conscient de ses actes et déterminé à débarrasser la Terre de ces parasites que sont les hommes. En cela, il évoque et supporte aisément la comparaison avec Génocide de Thomas Disch, cet autre chef d'œuvre de la catastrophe écologique. Plus de soixante ans après sa première publication aux États-Unis, Encore un peu de verdure conserve donc tout son intérêt, en particulier grâce au tableau sans concession de la décomposition de la société au cours du drame planétaire qu'il dépeint. Finalement, ce sont peut-être les romans post-apocalyptiques qui vieillissent le mieux et il y a gros à parier que la fin du monde restera d'actualité jusqu'à son avènement...

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