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Entretien avec Richard Comballot
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Entretien avec Richard Comballot

ActuSF : D'abord, parle nous un peu de toi. Qu'est-ce qui t'a donné envie de faire des interviews comme les tiennes, très longues et très approfondies ?
Richard Comballot :
La première envie a été, au milieu des années 80, vers dix-huit, dix-neuf, vingt ans, de rencontrer physiquement les auteurs français de SF en vue de les faire parler. C’est ainsi que j’ai interviewé ceux de l’époque pour les revues de l’époque. Mais, à la fin des années 80, les revues se sont éteintes, la SF française s’est endormie… et moi avec ! Quelques années plus tard, les revues — en tête desquelles Bifrost et Galaxies — sont revenues, la SF française s’est trouvée redynamisée par l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs, et tout cela m’a donné envie de ressortir mon magnétophone et de m’y remettre. Je me suis alors mis en tête d’interviewer tous les auteurs nationaux, d’autant que je ressentais très fort que la nouvelle génération de décideurs, de critiques et de lecteurs arrivée durant les années 90 connaissait mieux les classiques anglo-saxons que les classiques nationaux. Pour le dire autrement, il m’est apparu important de réinstaller notre histoire littéraire au cœur du genre et des revues avec une série de portraits « grand format ». Car, le plus souvent, les interviews publiées se bornaient à faire la promotion des nouveautés des auteurs. Il n’était jamais question de leur faire raconter leur vie et de révéler leur personnalité. Et leur lecture me frustrait un peu. J’ai donc décidé de ne pas me donner de limites en terme de longueur, charge à moi de trouver les supports où publier ces longs entretiens. J’ai commencé par interviewer Stefan Wul, Maurice G. Dantec, Jean-Pierre Andrevon, et je ne me suis plus arrêté… Olivier Girard, le rédacteur en chef de Bifrost, est très vite devenu mon principal interlocuteur, et c’est à lui que j’ai adressé l’essentiel de ma production.

ActuSF : Comment choisis-tu tes interviewés ? Qu'est-ce qui te fait dire « j'ai envie de rencontrer cet auteur » ?
Richard Comballot :
Au départ, j’ai essayé d’alterner les auteurs « historiques » (Stefan Wul, Philippe Curval, André Ruellan, Michel Jeury...) et les nouveaux talents (Catherine Dufour, Fabrice Colin, Johan Heliot…), en essayant de parvenir à un équilibre. J’ai commencé par rencontrer ceux que j’admirais le plus, puis, une fois la série « installée » dans Bifrost, les choses se sont un peu systématisées, puisque j’ai décidé de rencontrer tous les auteurs nationaux ayant publié au moins quatre ou cinq ouvrages de SF pour adultes. C’est dire que la tache n’était pas mince !

ActuSF :
Les interviews sont souvent très longues. Comment les prépares-tu ?
Richard Comballot : La première étape consiste à lire un maximum d’ouvrages de l’auteur concerné, idéalement la totalité, sans oublier les nouvelles éparses, les scénarios BD, les essais, autrement dit tout ce qui a pu sortir de sa tête. Puis je recherche toutes les interviews accordées par l’auteur pour me faire une idée de sa personnalité et de sa trajectoire. Enfin, je prépare un questionnaire chronologique qui part de son enfance pour arriver à aujourd’hui, tout en explorant sa bibliographie. Ces entretiens possèdent de fait une colonne vertébrale solide composée pour partie de questions récurrentes (on pourrait donc comparer de livraison en livraison les réponses à une même question), pour partie de questions personnalisées. En travaillant de la sorte, en détaillant chaque ouvrages publié par le passé, on aboutit effectivement à des entretiens marathons et les auteurs me disent souvent qu’on ne les avait jamais cuisinés autant auparavant. Je me souviens par exemple de l’interview de Michel Jeury, réalisée à son domicile, commencée en fin de matinée et terminée vers minuit !

ActuSF : Les auteurs jouent souvent le jeu, évoquant volontiers leur enfance ou leurs débuts et bien sûr leurs écrits. As-tu l'impression qu'ils ont envie de parler d'eux ? De transmettre aux lecteurs plus que leurs écrits ? Comment les mets-tu en confiance ?
Richard Comballot : J’ai le sentiment, mais je peux me tromper, qu’ils sont touchés par le fait d’avoir en face d’eux un interlocuteur qui s’intéresse à leur œuvre et qui se donne du mal. Cela étant, ils sont parfois surpris d’être interrogés sur leur enfance, sur leur milieu familial, sur ce qui précède leurs débuts en écriture. D’une façon générale, on ne leur demande effectivement pas ce genre de choses. Est-ce que ça correspond à un désir de leur part ? Au départ, non, ils avaient parfois tendance à répondre d’une façon un peu pavlovienne que l’essentiel était dans leurs livres, mais ils ont rapidement compris ce que je voulais faire. Et désormais la plupart connaissent la formule.

La mise en confiance est facilitée par le fait que je suis également anthologiste et que l’on s’est, dans de nombreux cas, déjà parlé auparavant, dans le cadre de nombreux projets. Et puis ça fait vingt-cinq ans que je suis dans le milieu. Tout le monde finit par connaître tout le monde…

ActuSF : Quels sont tes souvenirs les plus marquants dans toutes ces interviews ? Que retiens-tu de toutes ces années d'interviews ?
Richard Comballot : Ce que je retiens, c’est d’un côté tout le travail effectué et tous les kilomètres parcourus pour parvenir à mettre en boîte ces interviews ; quelque part, je préfère qu’elles soient faites plutôt qu’à faire ! D’un autre côté, c’est aussi des rencontres en pagaille, beaucoup d’agréables moments d’échange avec des personnes qui m’ont fait partager leur expérience, m’ont humainement apporté, et que, parfois, je ne reverrai pas. Je pense particulièrement à ceux qui nous ont quitté : Stefan Wul, Michel Demuth, Patrice Duvic, Jacques Chambon, Jean-Pierre Hubert, Emmanuel Jouanne, Jean-Pierre Vernay… Ils étaient tous de bons camarades, voire des amis…

ActuSF : Quelles ont été les plus belles rencontres et quels regards portes-tu sur tous ces auteurs ?
Richard Comballot : Les plus belles rencontres ? C’est difficile à dire car il y en a eu plein : Jacques Barbéri et Serge Brussolo au début de ma trajectoire. Stefan Wul, Michel Demuth et Maurice G. Dantec, un peu plus tard. Michel Jeury, aussi, qui est un être singulier et sage. Daniel Walther, enfin, qui est un de mes auteurs préférés… Il y a quelque temps, Catherine Dufour. Tout récemment, Pierre Bordage qui m’a paru être un « vrai humain »… Mais je devrais tous les citer car je ne me souviens pas avoir passé de mauvais moments durant les interviews… À bien y réfléchir, je crois avoir davantage d’affinités avec les auteurs âgés, n’ayant plus rien à prouver. Je les trouve globalement plus modestes, et surtout plus sereins que ceux qui se situent en milieu de carrière…

Le regard que je porte sur eux est le suivant : ils ont dans l’ensemble bien du talent ; dommage pour nous que ce talent soit de moins en moins utilisé pour des œuvres aventureuses et personnelles destinées aux adultes, mais pour des romans alimentaires souvent destinés au public adolescent.

ActuSF : Pourrais-tu faire la même chose avec des auteurs d'autres genres littéraires ?
Richard Comballot : Non seulement je pourrais, mais j’ai déjà interviewé quelques auteurs de polar (notamment Marc Villard et Jean-Hugues Oppel…) et de nombreux dessinateurs de BD (Caza, Loustal, Tronchet, Coyote, Beb-Deum, Beltran, Varenne, Barbier…) pour plusieurs revues spécialisées. Je me suis même demandé, il y a quelque temps, si je ne ferais pas un recueil d’entretiens avec des auteurs français de romans noirs un de ces jours…

ActuSF : Comment est née l'idée de ce recueil d'interviews aux Moutons Électriques ? Et comment as-tu choisi les huit auteurs dont tu as publié les interviews ?
Richard Comballot : Ça faisait un moment que j’y pensais, un peu comme un nouvelliste envisage de rassembler ses nouvelles éparses. Lorsque André-François Ruaud, le patron des Moutons Électriques, m’a demandé si je serais intéressé à l’idée de publier chez lui un recueil d’entretiens, je lui ai donc immédiatement confirmé mon accord. Pour ce qui est du contenu du recueil, il a plutôt été défini par lui. Comme il pensait qu’un tel livre n’allait pas être évident à commercialiser, il s’est concentré sur les auteurs les plus connus. Je suis juste intervenu pour faire en sorte qu’il y ait un équilibre et que toutes les générations d’auteurs soient représentées. On retrouve finalement dans Voix du futur Stefan Wul, Michel Jeury, Jean-Pierre Andrevon, Serge Brussolo, Jacques Barbéri, Ayerdhal, Pierre Bordage et Maurice G. Dantec. Un beau bébé de 400 pages avec photos !

Je précise que les entretiens avec Pierre Bordage et Ayerdhal sont inédits.

ActuSF : Y en aura-t-il d'autres ?
Richard Comballot : D’autres interviews ? Oui, bien sûr. Plusieurs sont à paraître dans les prochains numéros de Bifrost. Au moment où je te parle, j’en ai sept ou huit d’avance, à commencer par celles de Jacques Goimard, Jérôme Noirez, Christian Léourier, Michel Pagel, Alain Damasio, Mélanie Fazi.

D’autres recueils ? J’aimerais bien, mais je ne sais pas encore si ce sera possible. André-François n’exclut pas de publier un second volume aux Moutons Électriques, dans quelque temps, mais tout dépendra des chiffres de vente du premier.

ActuSF : On a l'impression que tu fais presque un panorama de la SF française avec toutes ces interviews. Es-tu d'accord avec ça et est-ce que c'était ton envie dès le départ ?
Richard Comballot : Je suis assez d’accord avec ça, oui, et c’était plus ou moins prévu dès le départ, effectivement. J’avais déjà essayé d’aller dans cette direction, au milieu des années 80, mais à l’époque toutes les revues se cassaient la gueule et il était impossible d’obtenir des collaborations suivies. J’avais publié un certain nombre de choses dans des supports tels que Fiction, L’Écran Fantastique, Némo, Ère Comprimée, Fantastik, Imagine, Solaris ou Proxima, mais c’était trop éparpillé pour être visible. Lorsque je m’y suis remis en 2000, c’était avec la volonté de publier le maximum dans la même revue afin de prendre, si je puis dire, rendez-vous avec les lecteurs. Ce qui a pu être atteint grâce à ma participation régulière à Bifrost depuis près de dix ans.

ActuSF : Quels sont les prochains auteurs que tu souhaites interviewer ?
Richard Comballot : Dans le désordre : Pierre Christin, Wojtek Siudmak, Laurent Kloetzer, Stéphane Beauverger, Jean-Philippe Jaworski, Dominique Douay, Yves Frémion… J’aimerais bien, aussi, pouvoir croiser un jour Michel Houellebecq, dont on ne sait pas suffisamment qu’il a été dans sa jeunesse — par-delà son intérêt pour Lovecraft — un lecteur de SF…

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