Il est vrai que si l'on regarde le champ des revues portant sur les littératures de l'imaginaire en France, on est bien obligé de constater que jusqu'à présent, il n'existait pas de journal spécialisé en Fantasy. Ténèbres porte essentiellement sur le fantastique, Bifrost et Galaxie sur la SF, Yellow Submarine sur tous les genres... bref, il y avait là une niche que Faeries vient combler avec bonheur. Au programme : une grosse revue de 160 pages qui s'articule autour d'un dossier (Tolkien pour ce premier numéro, voilà ce qui s'appelle ne pas prendre trop de risques...), une bonne demi-douzaine de nouvelles d'auteurs français et anglo-saxons, deux articles annexes sur Sandrine Gestin (une illustratrice vraiment hors pair !) et Tove Jansson, et quelques critiques de bouquins, BD et JdR. Ca semble complet et ambitieux et c'est vrai qu'à voir la couverture et le sommaire, Faeries semble à la hauteur de toutes les attentes. En un mot comme en cent, ça a de la gueule !
Côté nouvelles, les rédacteurs en chef Nicolas Cluzeau et Chrystelle Camus ont choisi de séparer les récits venu d'Outre-Atlantique et les francophones. Les anglo-saxons ouvrent le bal et proviennent surtout de ce que l'on appelle la Small Press aux Etats-Unis. Ce sont des textes qui ne conviennent pas aux formats des grandes revues spécialisées et qui sont publiés dans de petits journaux possédant un tirage beaucoup plus faible (à faire quand même rêver plus d'un directeur de publication français). C'est presque un milieu parallèle aux grands groupes d'édition. Bilan, dans Faeries, les trois auteurs sont pratiquement des inconnus chez nous, parce qu'issus de ce milieu pour deux d'entre eux. A moins que vous soyez un anglophile convaincu, les noms de James S.Dorr, Ken Rand et Sherwood Smith ne devraient rien vous dire. Et c'est bien dommage ! Sans être splendides et complètement jouissives, leurs nouvelles sont somme toute novatrices et d'une qualité agréable. Elles se "laissent lire" quoi !
De l'autre côté du journal, les nouvelles françaises sont elles aussi bien sympathiques avec deux bonnes surprises et une confirmation. Les bonnes surprises viennent de la présence de deux auteurs "connus", Laurent Genefort et Fabrice Colin. Les fans du pre-mier retrouveront Alaet, le personnage principal de toutes ses nouvelles de fantasy, et ceux de Colin l'univers d'Arcadia pour un petit texte bien sympathique. Le récit Le Fantôme des eaux de Lea Sihol confirme lui l'habileté littéraire de son auteure.
Ces sept textes de fiction ne constituent pas l'essentiel de la revue. Loin de n'être qu'un journal de nouvelles, Faeries entend bien jouer sur différents fronts. L'axe central de ce numéro est un gros dossier sur Tolkien. Pour un premier opus, c'est presque logique. Pourtant, il faut bien prendre garde. Cela s'adresse essentiellement à des gens qui ont déjà lu l'oeuvre du maître. Les rédac'chef de Faeries n'ont pas prévu de séance de rattrapage et il n'est à aucun moment question de vous raconter ce qui se passe dans Le seigneur des Anneaux. Si vous ne l'avez pas lu, passez votre chemin. Par contre, les lecteurs assidus du maître pourront trouver de nombreuses informations dans ce dossier. Outre les articles bio et bibliographiques et les "Tolkien sur le net" et "Tolkien dans les salles obscures", passages obligés de ce genre de dossier, vous trouverez aussi d'autres angles comme une tentative de faire coïncider la géographie de la terre du milieu avec celle de l'Europe, ou un bestiaire de toutes les créatures de cet univers, des elfes aux nains, en passant par les orcs et les grands personnages de l'œuvre de Tolkien. Si vous êtes fans, voilà de quoi vous faire replonger quelques instants. Il y a juste une petite fausse note. Une des rédactrices annonce que l'Univers de Tolkien est une Uchronie ! Y'a quelques termino-logies à revoir de ce côté-là...
Après avoir lu tout ça, il ne vous restera plus que quelques articles et autres critiques de livres, jeux de rôle, BD et jeux vidéo de fantasy à vous mettre sous la dent, histoire de finir en douceur.
Au final, Faeries suscite à la fois de l'enthousiasme et des grognements. Mais plutôt que de s'épancher sur les inévitables petits défauts (comme le prix, 59 francs), souvenons-nous qu'il s'agit là d'un premier numéro. On se contentera donc d'encouragements appuyés en leur souhaitant une bonne et longue route.