Pirater des gènes pour en faire des drogues psychoactives avait été une activité des plus lucratives en ce début de 21ème siècle. Le principe était plutôt simple mais son application nécessitait des compétences de bio-ingénierie tout à fait particulières. Alex Sharkey a ces capacités mais, désormais, il a surtout beaucoup d'emmerdes : il a besoin d'argent et ses petites productions sont devenues illégales. Pour son besoin de fric, la question est en train de se régler, bien malgré lui : il lui suffit de répondre présent à une requête mafieuse pour que ses ennemis bienveillants lui lâchent la grappe. Mais la dite requête n'est pas banale : il s'agit de modifier le patrimoine génétique des " poupées ", une sorte d'organismes humanoïdes inventés par les hommes pour les divertir. Ces créatures à la peau bleue ont en effet été créées stériles, mais certains esprits vicieux voient en elles le moyen d'assouvir une libido aussi dépravée que leur physiologie, altérée par une consommation permanente de drogues et de substituts à la morne réalité.

" L'ensorcellement est comme l'amour, juste plus profond, plus cellulaire. "
Mais les travaux d'Alex vont le mener plus loin que prévu. S'associant à Milena, jeune esprit brillant de 12 ans dont l'ambition secrète est de donner aux fées l'autonomie d'une espèce biologique, il va créer la première " fée ", le produit de l'émancipation des poupées.

" Et, lentement, son sang se fait grimoire. "
Mais Milena disparaît tandis que sa progéniture féerique jette son dévolu sur un parc d'attraction parisien où elle fonde un royaume magique. A la recherche de Milena, Alex va assister à la grandeur et à la déchéance des fées devenues capables d'altérer la réalité qui les entoure. Malheureusement, la féerie ne restera guère longtermps accessible aux humains.

Ca déborde !

P.J. McAuley n'est pas le genre d'écrivain à pondre un livre par idée : Féerie est un livre foisonnant, d'une richesse déconcertante où sont habilement mêlées la biologie, la toxicologie, les nanotechnologies et les mondes virtuels. Sous le couvert d'une vision noire du devenir prochain de notre monde, transfigurée par la féerie artificielle imposée par ces produits de la génétique que sont les poupées/fées, il construit une aventure haletante traversant l'Europe d'ouest en est.
On notera les ressemblances entre ce livre (sorti en 1995) et le récent Tomorrow's Parties de W. Gibson : les deux hommes ont un style irréprochable, aiment les personnages hauts en couleur et leur appréhension du futur proche (et des errements d'une société perdue entre réel et virtuel) est troublante. Mais tandis que les personnages de Gibson convergent tous vers une issue fatale, ceux de McAuley se croisent et se dispersent tour à tour, à la manière des boules de billard qui se rencontrent dans un grand fracas pour mieux rebondir et se retrouver encore au hasard des bandes percutées.
Un très bon cru en tout cas pour tous ceux qui pensent que tout n'a pas encore été écrit en Science-Fiction.