- le  
Formes de la SF : les ouvertures de Valérian
Commenter

Formes de la SF : les ouvertures de Valérian

Quatre ouvertures de 
Valérian de Christin et Mézières
 
En parcourant les aventures du plus célèbre agent spatio-temporel de la bande dessinée, au gré de l’édition de l’intégrale Valérian et Laureline chez Dargaud depuis 2009, scénarisée par Christin, nous avons noté le recours relativement fréquent chez le dessinateur Mézières à une même stratégie formelle et narrative dans les pages d’ouvertures de quelques albums.
 
Figure 1 : Première page de Bienvenue sur Alflofol, Valérian et Laureline, L’intégrale, volume 2, p. 69
 
Figure 2 : Première page de Les Oiseaux du maître, Valérian et Laureline, L’intégrale, volume 2, p. 119
 
 
Figure 3 : Première page de Sur les terres truquées, Valérian et Laureline, L’intégrale, volume 3, p. 69
 
 
Figure 4 : Première page de Métro Châtelet direction Cassiopée, Valérian et Laureline, L’intégrale, volume 4, p. 21
 
Dans ces quatre exemples, un vaste décor est artificiellement scindé en plusieurs cases. Il occupe une page entière pour Bienvenue sur Alflofol, deux demi-pages pour Les Oiseaux du maître, les trois-quarts hauts de Sur les terres truquées, et la partie basse de Métro Châtelet direction Cassiopée.
 
Pour Bienvenue sur Alflofol, ce dispositif permet d’embrasser du regard une grosse planète rouge (figure 1). Conformément à la promesse du titre, le lecteur aborde une planète nommée… Technorog ! Ce nom s’avérera en fait celui donné par les colons alors que les autochtones l’ont baptisé bien avant eux Alflofol. Le titre ne mentait pas. C’est donc bien Alflofol qu’on approche de loin, depuis l’espace, comme depuis un vaisseau spatial. Et si l’image pleine page confère une certaine ampleur à la vision, la présence de gouttières permet à Mézières de travailler le temps : le vaisseau de Valérian, repris dans chaque case, passe d’un minuscule point à une taille plus importante,  comme s’il approchait lentement vers l’avant-plan. Cette planche d’ouverture rend bien l’immobilité du gigantesque décor et la progression lente du petit vaisseau.
 
Pour Les Oiseaux du maître, le décor est moins vaste, mais plus mouvementé : c’est une mer déchaînée parsemée d’écueils sur laquelle naviguent tant bien que mal Valérian et Laureline (figure 2). Il y aurait presque une continuité entre la série du haut et celle du bas si ce n’étaient les traits du ciel qui ne raccordent pas. Ici, les gouttières permettent à nouveau de marquer la progression de nos deux naufrageurs dans un large décor. Le lecteur appréhende la distance parcourue depuis la case précédente et se retrouve pris dans le mouvement. Le ballottement que subissent Valérian et Laureline, le va-et-vient imprimé par les vagues, est parfaitement rendu par l’enchaînement des cases, en particulier dans la série du bas de page : tantôt éloigné, tantôt proche. En avant, en arrière. Le lecteur sent les louvoiements de leur canot, voguant au gré des crêtes et des creux. 
 
La première page de Sur les terres truquées dévoile un paysage désertique et l’approche vers l’avant-plan d’une caravane militaire (figure 3). La continuité d’une case à l’autre est assurée par le fait que Mézières conserve des personnages en arrière-plan. Seuls deux éléments empêchent de concevoir les trois images comme simultanées, à savoir le personnage de tête à la casquette bleue et la veste marron et les cavaliers et les chevaux coupés par la gouttière en case 3 (ceux-ci ne pouvant pas dissimuler le reste de leur corps dans l’espace de la bande blanche). Il s’agit donc à nouveau, comme pour Bienvenue sur Alflofol, de rendre la lente progression de la caravane depuis l’arrière-plan jusqu’à l’avant-plan, la continuité assurée au niveau du décor permettant d’enregistrer la progression dans un espace déterminé.
 
Moins ambitieuses, les deux images du bas de première page de Métro Châtelet direction Cassiopée (figure 4), semblent plus artificiellement coupées en deux, sans aucune portée temporelle. Mais peut-être ce découpage dynamise-t-il la lecture ? La course des vaisseaux vers un point de fuite situé au milieu de la case du bas s’en trouve-t-elle accélérée ? L’œil du lecteur est-il plus rapidement attiré vers cette image située en bas de page du fait que s’y trouve le point de fuite ? 
 
Dans ces quatre exemples de pages d’introduction de Valérian, le dessinateur Jean-Claude Mézières a eu recours à une technique permettant à la fois d’assurer la continuité du décor (l’image générale qui se dégage, abstraction faite des gouttières) et la chronologie ou la dynamique de l’action (la chronologie liée à la succession d’images séparées par des gouttières). Elle lui a permis de rendre le caractère grandiose de ses visions et des décors où lui et Christin plongent leurs héros et leurs lecteurs, et ce dès l’ouverture de l’aventure. En plus d’être au service du spectaculaire, ce dispositif, lorsqu’il est bien utilisé, permet aux auteurs de travailler le temps (Bienvenue sur Alflofol, Sur les terres truquées) ainsi que le mouvement (Les Oiseaux du maître) au sein d’un décor que le procédé a simultanément pour faculté de fixer et d’immobiliser, le transformant alors en référent permettant de retranscrire des déplacements et l’écoulement de la durée. 
 
© Pierre-Gilles Pélissier 

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?