Un monument de la Science-fiction

Avant de signer Dune, dont on peut voir une nouvelle adaptation en ce moment au cinéma, Frank Herbert signa de nombreuses nouvelles, ce qui était habituel à l’époque. Les éditions Le Bélial ont choisi de les rassembler en une intégrale en deux volumes dont voici le premier tome. En préambule, saluons tout de suite la magnifique couverture de Manchu, véritable invitation au voyage dans l’univers de Frank Herbert. Puis ouvrons le livre…On découvre des histoires déjà publiés en France, par exemple dans le vénérable livre d’or consacré à l’auteur de Dune chez Presses Pocket, devenues cependant indisponibles avec le temps. Le traducteur Pierre-Paul Durastanti s’est chargé de coordonner cette nouvelle édition et de traduire certaines histoires.

Des histoires typiques de leur époque

Il y a des histoires typiques de la science-fiction des années 50 et 60. Par exemple avec La planète des rats porteurs où Herbert imagine une Terre devenue une gigantesque bibliothèque concentrant les savoirs de l’univers qu’elle diffuse gratuitement. Mais un dictateur arrive au pouvoir et envoie un militaire pour enquêter en vue de son démantèlement. Cependant, lorsque la diffusion est suspendue, les ennuis commencent pour le dictateur. Dans Forces d’occupation, des extraterrestres débarquent, l’armée croit aussitôt à une invasion jusqu’au twist final… qui fait penser aux nouvelles courtes concoctées par Sheckley, un terrain où on n’attendait pas Herbert : très efficace et typique d’une époque. Chiens perdus raconte comment les races canines disparaissent petit à petit, au grand désespoir des humains… et de trente millions d’amis !

Un auteur qui devient lui-même

Avec La voie de la sagesse, Chaînon manquant, Opération meule de foin, les prêtres du psi, les choses changent un peu : ces nouvelles donnèrent naissance à un roman, Et l’homme créa un dieu, dont certains pensent qu’il s’agit d’un prélude à Dune. Dans Opération meule de foin, une confrérie de femmes cherche à infiltrer et contrôler les sphères du pouvoir, jusqu’à leur confrontation avec le héros de Lewis Orne : on ne peut s’empêcher de penser au Bene Gesserit. Surtout, Les prêtres du Psi s’avère passionnante, tellement la parenté avec certains thèmes de Dune est éclatante. Mais le personnage de Lewis Orne s’avère trop « américain » (c’est-à-dire matérialiste, empirique, roublard) : la mue d’Herbert pour créer des personnages complexes comme Paul ou Leto n’est pas encore accomplie.

Terminons avec Champ mental qui se passe mille ans après une guerre nucléaire et narre un affrontement au sein d’un clergé d’inspiration bouddhiste. Une nouvelle très plaisante. Ce recueil nous permet de voir (c’est rare) comment un grand écrivain fait ses gammes. A lire donc.

Sylvain Bonnet