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Goethe et un de ses admirateurs

Thierry Dubreil (Illustrateur de couverture), Arno Schmidt ( Auteur), Claude Rhiel (Traducteur)
Langue d'origine : Allemand
Aux éditions : 
Date de parution : 31/03/2006  -  livre
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Goethe et un de ses admirateurs

Méconnu en France, où son œuvre n'est guère lue que par un petit cercle d'admirateurs, Arno Schmidt fût pourtant l'un des auteurs allemands les plus influents de la seconde moitié du XXème siècle. Tristram a décidé d'y remédier et s'y emploie, depuis quelque temps déjà, avec le sérieux et la passion qu'on leur connaît.

Mort en 1979 au terme d'une carrière bien remplie, il est un peu l'équivalent Outre-Rhin d'un Robbe-Grillet ou d'un Perec. Le style de Schmidt, très travaillé, est tout en liberté, déconstruction et expérimentation. On pense à Burroughs, à Joyce aussi, et Jean-Patrick Manchette louait sa "formidable limpidité", même s'il admettait que ladite limpidité ne se faisait jour que "passées les quatre ou cinq premières minutes de surprises".

Grand connaisseur des situationnistes, Manchette était certainement bien plus habitué que nous aux circonvolutions stylistiques. Aussi sa capacité d'adaptation devait-elle être infiniment supérieure à la nôtre, car force est de constater que Goethe et un de ses admirateurs, écrit en 1956, n'est pas un livre facile d'accès.

Arno Schmidt s'y met en scène en guide de Goethe, revenu parmi nous par la grâce d'une toute nouvelle technologie, qui permet de ressusciter les morts pour une durée de quinze heures une fois tous les cent ans. Inutile de dire que l'accueil du plus célèbre des poètes allemands était un honneur qui eût du échoir à une personnalité autrement plus respectable que l'irrévérencieux Schmidt. En l'occurrence le Chancelier en personne. Mais ce dernier sera finalement trop heureux qu'un gogo se porte volontaire à sa place.

Bien-sûr, une journée pour faire le tour de plus d'un siècle d'histoire et de progrès (et quel siècle !), c'est un peu court. Mais le défi ne fait pas peur à Schmidt, qui coupe court et livre au Grand Homme - qu'il ne trouve d'ailleurs pas si Grand que ça - une interprétation toute personnelle de l'Allemagne d'après-guerre.

Tristram a choisi de rééditer Schmidt dans son jus, c'est-à-dire sans y adjoindre de notes. Un parti pris éditorial que je défend généralement sans réserve, mais qui, en l'occurrence, m'a un peu gâché le plaisir de la lecture. N'étant familier ni de la littérature ni de la culture allemande, n'ayant jamais lu Goethe et n'ayant même qu'une très vague idée de ce que fût sa vie, je me suis senti un peu perdu. D'autant plus perdu que Schmidt était, lui, un fin lecteur du poète et qu'il avait contre lui une collection de griefs qu'il n'hésite d'ailleurs pas à lui servir tout au long de sa visite. Heureusement, il le fait avec une insolence et une mauvaise foi qui vont être notre bouée de sauvetage tout au long de ce très court roman.

Styliste aventureux, on se perd parfois dans ses expériences, mais toujours Schmidt nous rattrape par une pirouette de sale gosse ou une pique, lancée à ce véritable monument national qu'est devenu Goethe en Allemagne au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. Insolent, volontiers hâbleur, misogyne et plein d'une suffisance très second degré, Arno Schmidt ouvre les hostilités dès les premières pages, pour finir par partager avec son prestigieux invité une complicité de vieux roublards. Gonflé il va même jusqu'à évoquer l'association de "génies", se mettant ainsi sans vergogne au niveau de Goethe.

Comme le contact avec cette prose éclair et précise est très direct, je recommande vraiment à ceux qui voudraient se lancer dans l'aventure de lire en premier lieu l'excellente postface de Jörg Drews, qui vous donnera quelques repères essentiels pour mieux apprécier Goethe et un de ses admirateurs. Et l'expérience, pour peu que vous aimiez les formes d'écriture un peu téméraires, vaut le détour. Schmidt se livre notamment à une digression hilarante sur une invention imaginaire, le Pantex, qui permettrait à tout le monde de tout voir, partout et tout le temps. L'occasion pour lui de régler ses comptes avec l'Eglise, l'Armée, l'Etat, la bourgeoisie, le prolétariat, etc…

On ressort de cette lecture avec l'impression d'avoir accompagné un cancre surdoué parfaitement effronté, dans sa promiscuité avec un monstre sacré qu'il s'emploie tout du long à désacraliser. Il y a là-dedans comme une jubilation libératrice. Un peu comme si nous avions, à notre tour, l'occasion de dire ses quatre vérités à l'auteur classique qui nous a le plus rasé à l'école. Auquel cas, laissez-moi juste Flaubert et je vous abandonne les autres de bon coeur.

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