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Hiver

Florence Dolisi (Traducteur), Rod Rees ( Auteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 02/01/2013  -  livre
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Hiver

On sait peu de choses sur Rod Rees à part qu'il a énormément voyagé (Afrique, Moyen-Orient, Russie) et s'est donc retrouvé à vivre à Moscou (où il a conçu des satellites de communication), au Bangladesh (où il a construit des usines pharmaceutiques) ou encore au Qatar. Passionné d'histoire, il s'est posé en Angleterre avec sa femme et ses deux filles pour se consacrer à plein temps à l'écriture. Hiver est son premier roman.
 
Un gigantesque chaos informatique
 
Conçu pour entraîner l'armée américaine aux guerres asymétriques à moindre frais, le Demi-Monde est la simulation informatique la plus avancée jamais conçue. Les trente millions de Demi-Mondiens, des copies d'êtres humains bien vivants appelés les Dupes, sont gouvernés par les avatars des plus cruelles figures de l'histoire : Robespierre, Henri Tudor, Heydrich ou encore l'impératrice Wu et les cinq quartiers qui composent la simulation ont des caractéristiques telles que les concepteurs sont assurés d'avoir en permanence un conflit ouvert. Sauf qu'il s'est passé quelque chose d'inattendu : Norma Williams, fille du président des Etats-Unis, s'est retrouvée coincée dans la simulation. Son espoir de sauvetage réside en la personne d'Ella Thomas. Sauf qu'une fois sur place, l'adolescente aura bien du mal à garder le contrôle de la situation.
 
Toujours plus ou l'exercice de la surenchère
 
Hiver est présenté par son éditeur comme l'événement SF de l'année. Inutile de dire que la barre est placée haut. Qu'en est-il vraiment ?
 
Qu'on se le dise : Hiver aurait clairement pu être publié dans une collection plus "young adult" que Nouveaux Millénaires. La jeunesse des protagonistes, le vocabulaire à la limite du vulgaire, les rebondissements qui s'enchaînent avec la régularité d'un métronome... Hiver a toutes les qualités d'un bon divertissement.. mais aussi ses défauts. Commençons par les premières.
 
L'une des forces du livre est son univers très original. Même en mélangeant deux genres apparemment antinomiques (steampunk et cyberpunk), Rod Rees arrive à créer un monde très crédible, cohérent et extrêmement séduisant. Passé les premières dizaines de pages d'introduction un peu indigestes il faut bien le dire (mais néanmoins obligatoires si l'on veut appréhender le Demi-Monde dans sa globalité), on plonge avec plaisir dans cette reconstitution informatique pensée dans ses moindres détails. Les différents quartiers qui composent le Demi-Monde laissent présager une large palette d'aventures et de situations et permettent également d'introduire de nombreuses réflexions. Car Hiver n'est pas juste un joli écrin : l'auteur parsème son récit d'interrogations philosophiques, religieuses ou sociétales (place des femmes, questions de race, dérives de la religion).
 
Comme dit plus haut, l'action est très bien dosée : chapitres courts, se terminant souvent sur un cliffhanger, beaucoup de rebondissements (souvent attendus, parfois surprenants), peu de temps morts, Hiver est la définition parfaite du page-turner. Mais c'est là que les choses commencent à se gâter...
 
Le roman souffre en effet d'une trop grande prévisibilité et d'un manque de cohérence parfois agaçant. On pourra en effet regretter que les événements s'enchaînent trop parfaitement : Ella ne veut pas aller dans le Demi-Monde, trop dangereux à ses yeux, pour un million de dollars ? Qu'importe, elle ira pour cinq millions ; Ella est recalée pour le rôle qu'il lui était dévoué dans le Demi-Monde ? Qu'importe, Vanka va lui en proposer un autre qui lui ira comme un gant ; Ella a un super pouvoir qui lui permet de savoir tout de quelqu'un rien qu'en le touchant... sauf les choses vraiment importantes apparemment ; Ella a la peau noire, elle évolue dans un quartier où l'on considère ses semblables comme des inférieurs, méritant à peine de vivre mais personne ne l'ennuie, personne ne semble faire attention à la couleur de sa peau. Jamais les personnages ne semblent vraiment en difficulté, il y a toujours quelque chose d'imprévu (et parfois de téléphoné) qui viendra les sortir de ce mauvais pas ou les mettre sur la bonne voie. Les coïncidences sont trop nombreuses pour être des coïncidences justement.
 
Il y aurait aussi beaucoup à redire du caractère des personnages, très caricaturaux par moments et dont l'évolution peut laisser perplexe : Norma Williams, la fille du président, vraie tête à claques méprisante et odieuse, donc le comportement exécrable ne changera pas de tout le livre malgré ce qu'elle subit ; Trixie, jeune fille de bonne famille qui va se transformer en un militaire impitoyable en l'espace de quelques pages et se révéler meilleure stratège que des gradés d'expérience ; Ella qui, pour toute intelligente qu'elle soit, a le plus souvent recours à ses courbes qu'à sa tête pour se sortir de situations délicates. Il est par ailleurs très difficile de s'attacher aux protagonistes tant leur âge semble être en contradiction avec leurs actes et discours : les trois jeunes filles sont censés avoir à peine 18 ans mais c'est parfois à peine croyable. Quant aux "méchants", ils sont juste méchants. Ou plutôt non : il y a les méchants (appelés singularités β) et les très méchants (singularités α). On repassera pour les nuances...
 
La prise de risque, l'inattendu sont quasiment inexistants : les personnages réagissent comme on pouvait s'y attendre, les rebondissements se trouvent exactement où il faut, les révélations n'en sont pas vraiment... A la longue, la lecture perd de son charme et devient laborieuse et mécanique. Difficile de s'intéresser à une intrigue quand on sait d'avance comment cela va se dérouler et se terminer. Reste que Rod Ress sait écrire (saluons d'ailleurs ici le travail de traduction de Florence Dolisi qui a su rendre l'immersion dans le Demi-Monde très digeste malgré les nombreuses néologismes et sigles qui parsèment le roman) et, même si la lecture est parfois indigeste, elle reste addictive.
 
Alors, Hiver, événement SF de l'année ? Le roman possède malheureusement trop de défauts pour pouvoir prétendre à ce titre : personnages un peu trop caricaturaux et trop peu nuancés, prévisibilité de l'intrigue et prise de risque quasi inexistantes font plutôt pencher la balance en faveur du "divertissement honorable". Mais pour peu que l'on ne soit pas trop regardant des détails, ce premier tome du Demi-Monde devrait ravir les lecteurs amateurs de pages-turners et friand d'univers originaux. Car c'est finalement avec un sentiment de regret que l'on referme le livre, le regret qu'un livre avec tellement de potentiel se soit enlisé dans la facilité et le cliché. Qu'importe : accordons à Rod Rees le bénéfice du doute d'avoir voulu trop bien faire dans ce premier roman. On espère que l'auteur saura rectifier le tir et on attend de pied ferme de pouvoir partir à la découverte de nouveaux quartiers du Demi-Monde dans le deuxième tome, Printemps, attendu pour octobre 2013. 

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