Mais le prix Hugo, c'est quoi déjà ?
Le prix Hugo est un prix littéraire américain créé en 1953. Il est décerné chaque année par la World Science Fiction Society à des œuvres de science-fiction ou de fantasy, de langue anglaise, publiées l'année précédente, dans différentes catégories : romans, nouvelles, novella mais aussi séries TV, magazine amateurs, cinéma... il est considéré comme l'un des plus prestigieux avec le prix Nebula et le prix Locus
Le nom de ce prix rend hommage à Hugo Gernsback, fondateur d'un des premiers magazines de science-fiction américains : Amazing Stories.

Depuis ses débuts, il a récompensé de nombreux grands noms de la science-fiction et de la fantasy : Isaac Asimov, Ursula K. Le Guin, Fritz Leiber, Robert A. Heinlein, Philip K. Dick, William Gibson, Joan d. Vinge ou plus récemment, Neil Gaiman, Lois McMaster Bujold, Connie Willis ou Robert Charles Wilson...
Le Hugo est décerné par les votes des membres, une première fois pour élire des listes de 5 titres par catégories, puis par un second vote pour choisir les lauréats. Les résultats sont annoncés chaque année à la World Science Fiction Convention, au mois d'août.
Au commencement étaient les Sad Puppies...
En 2013, un groupe de votants conservateurs se constitue : les Sad Puppies (« chiots tristes »). Ce groupe revendique un retour à ce qu'ils estiment être les sources de la science-fiction, à l'époque des pulps, ces magazines bons marchés. Ils défendent à la fois le genre littéraire du space opera (aventures spatiales) mais également des textes qui leurs semblent victimes du « politiquement correct » du prix Hugo... essentiellement écrits par des auteurs blancs et masculins selon leurs détracteurs.

A la tête des Sad Puppies, deux auteurs aux positions souvent qualifiées de "réactionnaires" :
- Larry Correia, connu en France pour sa série les Chroniques du Grimnoir (Magie Brute) un passionné d'armes à feu et un ancien professeur de tir.
- Brad R. Torgersen, un retraité de l'armée américain et auteur de SF très prolifique (mais non traduit en France)
Après avoir poussé les titres qu'ils défendaient au cours du prix Prix Hugo 2013, les Sad Puppies ont accepté en 2014 d'inclure dans leur sélection davantage d'auteurs plus "progressistes"... et également des femmes, très absentes de leur sélection 2013. Tout semblait pouvoir rentrer peu à peu dans l'ordre au sein des Hugo Awards.
Mais c'étaient sans compter les Rabid Puppies...
... puis naquirent les Rabid Puppies...
En 2015, un groupe dissident se forme au sein des Sad Puppies : les Rabid puppies (« chiots enragés »). Les conservateurs se voient alors doublés par des personnalités aux opinions d'extrême droite. À leur tête se trouve Theodore Beale également connu sous le pseudonyme de Vox Day. Il est auteur et directeur de collection chez Castalia House dont il place onze romans dans la sélection des Hugo 2015.
Après voir échoué en 2013 à prendre la succession de John Scalzi à la tête de la Science Fiction and Fantasy Writers of America (SFWA), Theodore Beale est expulsé par le bureau pour avoir twitté des remarques insultantes et racistes envers des auteurs et des éditeurs. Il a notamment traité I'auteur N. K. Jemisin de "demi-sauvage éduquée mais ignorante" et Teresa Nielsen Hayden de "grosse grenouille."

Les Rabid Puppies, ouvertement très à droite politiquement, veulent garder leur ligne de vote et promouvoir leurs auteurs. Ils font voter massivement leurs membres pour inclure dans toutes les listes des nominés du prix Hugo 2015 la plupart de leurs candidats. Le combat change alors de registre et devient politique au sein du prix Hugo. Les auteurs plus à gauche "progressistes" prennent à leur tour position et votent massivement pour leurs candidats.
Le Puppygate vient de commencer.
... et l'hiver vint !
Des auteurs, comme Marko Kloos et Annie Bellet, demandent à être retirés de la compétition. Connie Willis, auteure multiprimée, renonce à présenter une des remises de prix et déclare qu’elle ne voulait servir de caution aux « Sad Puppies ». D'autres vont dénoncer la main mise des auteurs d'extrême droite qui composent les Rabid Puppies sur le prix Hugo. Alastair Reynolds déplore la « prise en otage » du prix Hugo par un groupe de « néo-fascistes (…), racistes, homophobes et intolérants à l’égard de quiconque ne souscrirait pas à leurs croyances religieuses ultra-conservatrices.»
George R. R. Martin (Le Trône de fer), s'engage dans ce qu'il appelle cette « horrible bataille » sur son blog. Il reproche aux « Sad Puppies (…), d’avoir détruit le Prix Hugo ». Il appelle les fans indécis à voter NO AWARD quand aucun candidat nominé n’est digne de remporter le Hugo dans sa catégorie.
"Chaque vote va compter !"

Bilan : en 2015, 5 950 bulletins valides sont comptabilisés contre 3 587 en 2014 soit une évolution de plus de 60 %.
À l'annonce des prix, certaines catégories restent sans lauréats, comme la novella ou la nouvelle, car le NO Award est majoritaire. C'est l'auteur chinois Liu Cixin qui remporte la catégorie du meilleur roman avec The Three Body Problem. Les Sad Puppies reppartent eux les mains vides : aucun des titres qu'ils ont soutenus n'est primé. Une victoire pour l'intégrité du prix Hugo, mais qui est loin d'en avoir fini avec la guerre qui oppose les Sad Puppies conservateurs et les auteurs progressistes.
Et après ?
Selon George Martin, les auteurs SF d'extrême droite ont "cassé" le prix Hugo, sans espoir de le réparer. Les Sad Puppies ont déjà annoncé leur intention de recommencer leur efforts l'an prochain. Les fans vont devoir à nouveau se mobiliser pour éviter que leur prestigieux prix Hugo ne se transforme définitivement en un lieu de bataille idéologique droite-gauche excluant du débat l'essentiel : la dimension artistiques et qualitatives des œuvres sélectionnées.
La question la plus importante reste toujours en suspend : est-ce que les futurs prix Hugo récompenseront toujours les meilleures œuvres ou seulement les livres qui auront bénéficié des meilleures campagnes de soutien ?
