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Il est difficile d'être un dieu

Arkadi Strougatski ( Auteur), Boris Strougatski ( Auteur), Bernadette du Crest (Traducteur), Lasth (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Russe
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 11/06/2009  -  livre
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Il est difficile d'être un dieu

Arkadi et Boris Strougatski, nés respectivement en 1925 et 1933 (Arkadi est décédé en 1991), sont de célèbres auteurs de science-fiction russes. Notamment grâce à leur roman Stalker. Avec Il est difficile d'être un dieu, Denoël est la première maison d'édition à republier un ouvrage des deux frères depuis 2002 (La Seconde invasion des Martiens chez Esprit des péninsules). Autant dire que ces auteurs russes étaient quelque peu oubliés.

Cas de conscience pour un « dieu »

Roumata, agent de l'Institut d'histoire expérimentale de la Terre dispose de connaissances incommensurables en comparaison de celles des habitants d'Arkanar et peut faire appel aux ressources techniques de l'Institut. Toutefois, ce monde qui plonge vers une tyrannie sans limite est un gigantesque terrain d'expérimentations pour les historiens de la Terre, ce qui n'est pas du goût de Roumata. Ce dernier ne peut accepter de laisser faire don Reba, dont les soudards assassinent les hommes de lettres, les scientifiques et autres possesseurs de connaissances supérieures.

Un roman qui n'a pas pris une ride

Il est difficile d'être un dieu a été écrit en 1964. Cinquante-cinq ans plus tard, ce roman se révèle d'une incroyable actualité. Il traite d'une situation que les civilisations de la Terre ont connu à maintes reprises au cours de l'Histoire : la montée du totalitarisme. Arkanar est une contrée encore à l'âge féodal et on peut comparer ce qui se déroule dans le roman aux événements des quinzième et seizième siècles avec l'Inquisition : oppressions, justice expéditive, et caetera, pour des raisons fallacieuses. Mais il y a aussi des échos au nazisme et, comme les auteurs sont russes, on pense évidemment au stalinisme.
Ici, pour imposer son autorité, don Reba, l'âme damnée du roi d'Arkanar lance ses compagnies grises contre quiconque dispose de connaissances, c'est-à-dire de moyens intellectuels pour comprendre et combattre les tyrannies. Les livres sont détruits, les scientifiques et lettrés torturés puis condamnés à mort ; les brutes, absurdes et sans pitié, ont tout pouvoir de déchaîner leur bestialité : on les recrute dans les compagnies de Gris.

Il est difficile d'être un dieu est donc un roman intemporel. Il n'a pas pris une ride. On pourrait croire qu'il a été écrit en 2009. Cela de par le sujet abordé, donc, mais pas seulement. L'univers décrit, médiéval, est crédible, notamment parce qu'il repose sur des éléments qu'on rencontre dans nos livres d'histoire. Mais aussi parce que les Strougatski y injectent des éléments futuristes parfaitement plausibles parce que subtils et indirects. Les agents de l'Institut d'histoire expérimentale sont infiltrés et empruntent les identités de seigneurs locaux, parfaites couvertures en raison de leurs importants moyens financiers, leur culture élevée, et places de choix pour avoir un œil sur la société qu'ils doivent étudier. De ce fait, les seuls éléments de haute technologie évoqués de façon claire sont les hélicoptères, comme celui magnifiquement illustré sur la couverture de Lasth, et la chemise de metalloplast de Roumata qui lui évitera de trépasser à de nombreuses reprises.
Dans Il est difficile d'être un dieu, les Strougatski ne déploient donc pas une artillerie d'éléments de science-fiction pour s'attacher à créer une ambiance qu'on trouve dans d'autres romans de la même époque (Dune de Frank Herbert, Seigneur de lumière et Royaumes d'ombre et de lumière de Roger Zelazny entre autres) : celles d'une mythologie futuriste où les hommes sont des dieux, où ils sont aux prises avec les responsabilités qu'entraîne l'énorme puissance technologique qu'ils détiennent et qui donc l'utilisent avec parcimonie. Un contexte qui force à s'interroger sur l'application que l'humanité fait de ses connaissances techniques et sur l'attitude qu'elle pourrait adopter – qu'une certaine partie de l'humanité a adopté dans le passé – face à des civilisations moins évoluées technologiquement.

Enfin, si Il est difficile d'être un dieu est un roman actuel, il le doit aux personnages qu'il met en scène et à la modernité du style des frères Strougatski.
C'est assez simple : les deux auteurs ne se fourvoient pas dans la création de personnages archétypaux ridicules. Roumata est un individu complexe, en prise avec ses devoirs d'agent de l'Institut d'histoire expérimentale qui ne suffisent pas à faire taire ses aspirations de justice et de liberté. C'est un homme qui ne peut tuer mais qui le voudrait ou le devrait. Un humaniste, en somme. Il croise sur Arkanar de nombreux personnages secondaires que les Strougatski réussissent à décrire en quelques lignes avec plus de précisions, de force, de conviction, que ne le sont des protagonistes principaux de bien des romans.
Boris et Arkadi ont livré il y a plus de cinquante ans un récit écrit dans un style efficace, sans trop de fioritures. Un rythme constamment élevé caractérise le roman, qui alterne aisément scènes d'action ou de suspense et phases plus calmes, où les réflexions du personnage, livrées telles quelles, permettent de comprendre ses sentiments et ses projets sans de longs discours.

Si le propre d'un chef-d'œuvre est d'être intemporel, d'aborder des thèmes contemporains aux lecteurs deux générations après son écriture, alors Il est difficile d'être un dieu en est un. À cela s'ajoutent une histoire intéressante, des personnages captivants et des thèmes marquants.
Merci Denoël de nous faire découvrir ou redécouvrir un tel roman.

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