Les frères Arkadi et Boris Strougatski font partie des écrivains russes de SF les plus connus en France et probablement au monde. Le premier a commencé comme traducteur et le second astrophysicien. Censurés par le régime soviétique une dizaine d'années après avoir commencé à écrire, ils sont redevenus « respectables » dans les années 80. Leur chef d'œuvre, Stalker (également connu sous le titre Pique-nique au bord du chemin), écrit en 1972, a été adapté au cinéma par Andrei Tarkovski. Arkadi est décédé en 1991, Boris vit toujours.
Il est difficile d'être un dieu est réédité cette année par Lunes d'encre. Publié pour la première fois en France en 1973, ce roman a aussi été adapté au cinéma par Peter Fleischmann, en 1988, sous le titre Un Dieu rebelle.
L'apprentissage de la haine
Dans le royaume d'Arkanar, le régime féodal se transforme petit à petit en régime totalitaire : don Reba, ministre de la Sécurité de la Couronne, impose ses milices grises au roi et aux habitants, et fait emprisonner tous les penseurs, artistes et scientifiques en raison de leur influence prétendument subversive. Don Roumata, membre de la noblesse, déplore cet état de fait tout en faisant semblant de la cautionner. En effet, il est un observateur de la Terre, venu sur cette planète pour suivre l'évolution politique d'une société en gestation. Dépositaire d'une puissance technologique qui l'élève au rang de dieu comparé aux gens d'Arkanar, il ne peut pourtant pas s'en servir pour aider les intellectuels, et encore moins pour renverser Reba : les Terriens sont ici uniquement en tant qu'historiens et ne peuvent agir autrement qu'avec les moyens du bord. Roumata devra donc jouer le jeu et repousser les assauts de sa conscience outrée aussi bien par les actes de Reba que par sa propre impuissance.
Leçon de politique
Il est étonnant de voir à quel point certaines œuvres écrites à des époques et dans des conditions fortement différentes des nôtres restent pertinentes et actuelles. « Un roman intemporel, au message universel », indique le quatrième de couverture du livre : l'accroche est ici parfaitement justifiée. La société tyrannique d'Arkanar est évidemment inspirée de notre propre histoire – Roumata évoque Hitler mais il y a fort à parier que les Strougatski aient surtout pensé à Staline – mais cristallise la menace qui pèse sur toute société instable ou en proie à une crise profonde : celle d'un pouvoir qui phagocyte les libertés du peuple au nom de la sauvegarde de celui-ci.
La bonne idée des auteurs est d'avoir raconté cette histoire à travers les yeux d'un observateur extérieur à cette société en mutation. Non seulement pour en montrer les mécanismes avec le recul d'un historien – et s'affranchir ainsi de tout manichéisme –, mais aussi pour confronter cette tyrannie à une sensibilité tout simplement humaine. Malgré la sagesse qu'il a héritée d'un peuple terrien apaisé depuis longtemps, Roumata cède petit à petit à des sentiments primaires tels que la colère, la frustration et la haine. Ou le désespoir – admirablement rendu par l'atmosphère étouffante, poisseuse où les Strougatski ont plongé leur héros, lui qui vient d'un monde paradisiaque. Et s'interroge sur la notion même de pouvoir : lui qui possède une puissance technologique incommensurable, doit-il s'en servir pour tenter d'anéantir ce qu'il considère comme le mal ? Et s'il le fait, qu'en résultera-t-il ? Le peuple d'Arkanar est-il prêt à prendre son destin en main ?
La subtilité avec laquelle les auteurs ont abordé ce thème du pouvoir et de son interaction avec les sentiments humains n'est pas sans rappeler Ursula K. LeGuin et, notamment, La Main gauche de la nuit, écrit seulement quelques années plus tard. Signe des temps ? En tout cas, Il est difficile d'être un dieu est un roman percutant, moderne, et possède cette ambiance à la fois délicieuse, mystérieuse et oppressante qui est la marque des Strougatski. Une réédition à ne pas manquer.
Il est difficile d'être un dieu est réédité cette année par Lunes d'encre. Publié pour la première fois en France en 1973, ce roman a aussi été adapté au cinéma par Peter Fleischmann, en 1988, sous le titre Un Dieu rebelle.
L'apprentissage de la haine
Dans le royaume d'Arkanar, le régime féodal se transforme petit à petit en régime totalitaire : don Reba, ministre de la Sécurité de la Couronne, impose ses milices grises au roi et aux habitants, et fait emprisonner tous les penseurs, artistes et scientifiques en raison de leur influence prétendument subversive. Don Roumata, membre de la noblesse, déplore cet état de fait tout en faisant semblant de la cautionner. En effet, il est un observateur de la Terre, venu sur cette planète pour suivre l'évolution politique d'une société en gestation. Dépositaire d'une puissance technologique qui l'élève au rang de dieu comparé aux gens d'Arkanar, il ne peut pourtant pas s'en servir pour aider les intellectuels, et encore moins pour renverser Reba : les Terriens sont ici uniquement en tant qu'historiens et ne peuvent agir autrement qu'avec les moyens du bord. Roumata devra donc jouer le jeu et repousser les assauts de sa conscience outrée aussi bien par les actes de Reba que par sa propre impuissance.
Leçon de politique
Il est étonnant de voir à quel point certaines œuvres écrites à des époques et dans des conditions fortement différentes des nôtres restent pertinentes et actuelles. « Un roman intemporel, au message universel », indique le quatrième de couverture du livre : l'accroche est ici parfaitement justifiée. La société tyrannique d'Arkanar est évidemment inspirée de notre propre histoire – Roumata évoque Hitler mais il y a fort à parier que les Strougatski aient surtout pensé à Staline – mais cristallise la menace qui pèse sur toute société instable ou en proie à une crise profonde : celle d'un pouvoir qui phagocyte les libertés du peuple au nom de la sauvegarde de celui-ci.
La bonne idée des auteurs est d'avoir raconté cette histoire à travers les yeux d'un observateur extérieur à cette société en mutation. Non seulement pour en montrer les mécanismes avec le recul d'un historien – et s'affranchir ainsi de tout manichéisme –, mais aussi pour confronter cette tyrannie à une sensibilité tout simplement humaine. Malgré la sagesse qu'il a héritée d'un peuple terrien apaisé depuis longtemps, Roumata cède petit à petit à des sentiments primaires tels que la colère, la frustration et la haine. Ou le désespoir – admirablement rendu par l'atmosphère étouffante, poisseuse où les Strougatski ont plongé leur héros, lui qui vient d'un monde paradisiaque. Et s'interroge sur la notion même de pouvoir : lui qui possède une puissance technologique incommensurable, doit-il s'en servir pour tenter d'anéantir ce qu'il considère comme le mal ? Et s'il le fait, qu'en résultera-t-il ? Le peuple d'Arkanar est-il prêt à prendre son destin en main ?
La subtilité avec laquelle les auteurs ont abordé ce thème du pouvoir et de son interaction avec les sentiments humains n'est pas sans rappeler Ursula K. LeGuin et, notamment, La Main gauche de la nuit, écrit seulement quelques années plus tard. Signe des temps ? En tout cas, Il est difficile d'être un dieu est un roman percutant, moderne, et possède cette ambiance à la fois délicieuse, mystérieuse et oppressante qui est la marque des Strougatski. Une réédition à ne pas manquer.