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Interview 2015 : Charlotte Bousquet pour Là où tombent les anges
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Interview 2015 : Charlotte Bousquet pour Là où tombent les anges

 ActuSF : Votre roman, Là où tombent les anges, sort dans la collection électrogène des éditions Gulfstream. Quand on intègre une nouvelle collection qui démarre, est-ce qu'il y un "cahier des charges" particulier à respecter ?
 
Charlotte Bousquet : Oui, mais tout dépend de la collection. Courants noirs, chez le même éditeur, étant consacrée au polar (noir, enquête, thriller) historique, il fallait suivre un minimum ces critères (en plus du format du texte). Tribal, chez Flammarion, tend essentiellement vers le roman contemporain. Là encore, il y a quelques critères auxquels se conformer, qui tiennent plus du bon sens que de la contrainte. Electrogène est « une collection hétéroclite, électrique et érogène » destinée aux Young Adults – et plus (ou moins). Les critères et le challenge sont là : peu importe le genre, pourvu qu’on ait l’ivresse, qu’on soit emportés par l’histoire, les personnages, les mots…  
 
 
ActuSF : Là où tombent les anges prend pour décor la Belle époque jusqu’aux années folles. Qu'est-ce qui vous a donné envie de placer votre récit dans cette période historique ?  

Charlotte Bousquet : Je devais avoir la tête en vrac, quand j’ai eu l’idée de cette fresque ! Je crois que plusieurs éléments m’y ont poussée : d’abord, la Belle Époque, en ses dernières années. Par le biais de femmes et d’hommes de lettres comme Renée Vivien et Proust, d’artistes comme Romaine Brooks ou Satie. Par le biais… du tango aussi (j’ai une première version de synopsis qui se passait en partie en Argentine). Et puis, je ne sais pourquoi, j’ai commencé à me documenter sur les femmes pendant la guerre. Et voilà, j’ai lu de plus en plus de livres sur le sujet – guerre, féminisme, travail, liberté, etc. C’est comme cela qu’est née l’idée du roman…
 
ActuSF : Pouvez-vous nous présenter Solange, l'héroïne de votre roman, et les personnages qui l'entourent ? 
 
Charlotte Bousquet : Solange est une jeune femme complexe. Enfant battue, elle a passé sa vie à esquiver les colères de son père, à lui pardonner ses excès. Elle est intelligente, vive, mais manque complètement de confiance en elle – et pour cause. En épousant Robert, un homme plus âgé qu’elle, elle cherche bien sûr une sécurité financière, mais aussi un cadre qu’elle connaît – l’autorité d’un homme, qui dès le début l’effraie. Ce n’est pas rationnel, et ses amies Clémence, Lili surtout, ne se  privent pas de le lui faire remarquer. Mais c’est un schéma psychologique hélas fréquent. Au fil du roman, notamment grâce à tante Emma, pianiste et à Blanche, qui tient un salon durant la guerre et fréquente des femmes de lettres et des artistes, Solange parvient peu à peu à se construire, à devenir pleinement elle-même (d’autant que son époux est loin). Lili, sa meilleure amie, est au contraire une fille effrontée, sûre d’elle et passionnée. Actrice, chanteuse de caf’conc’, danseuse (j’ai réussi à caser Buenos Aires), elle tombe amoureuse souvent et se lasse presque aussi vite. Lili, en 1916, décide de rejoindre le front et de chanter pour les Poilus, comme bien d’autres le firent à l’époque. Clémence, enfin, est d’abord cousette dans le même atelier que Solange. C’est ainsi qu’elles font connaissance. Peu avant le début du conflit, Clémence tombe amoureuse de Pierre, un jeune instituteur rencontré à la terrasse d’un café. Avec lui, elle découvre le Paris insolite des bars de Montmartre (Le cabaret du Néant, l’Enfer, etc.), frémit au Grand Guignol et au cinéma. Clémence et Pierre se marient juste avant qu’il soit envoyé sur le front. Très vite, Clémence perd son emploi. Elle est obligée de travailler comme munitionnette, dans des conditions effroyables. Lui, résiste, bon an mal an, aux shrapnels… Leur amour se nourrit de lettres, de brèves semaines passées ensemble, d’espoirs aussi.   
 
Voilà. Je pourrai parler aussi de tante Emma, de Blanche, et même des hommes, mais je crois que je vais m’arrêter là !
 
 ActuSF : Pour le lancement du roman, des lettres ont été mises en ligne. Là où tombent les anges alterne t-il du récit avec des passages épistolaires ? 
 
Charlotte Bousquet : Absolument. Cela me permet de faire vivre d’autres voix que celle de Solange et de marquer le passage du temps, également. 
 
 
 
 ActuSF : Vous évoquiez déjà les femmes qui subissent des mariages arrangés ou forcés dans Saison rouge. Évoquer et défendre les conditions des femmes, c'est quelque chose d'essentiel dans votre écriture ?
 
Charlotte Bousquet : Je crois que, de façon générale, je suis incapable d’écrire de façon neutre. Je ne peux même pas vous dire que cela m’ennuie ou ne m’intéresse pas, juste que je ne sais pas comment faire. Ainsi, mes romans sont toujours liés à des thèmes qui me tiennent à cœur ou des questions qui m’obsèdent (me rongent ?) depuis longtemps – notre rapport à l’autre et à la différence, par  exemple. Cependant, même si dès mon premier roman qui, comme Saison rouge, se déroulait au Maroc, il était question de liberté d’être soi, même si mes principaux personnages sont essentiellement des femmes, j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à notre histoire, nos combats, avec Noire lagune, à travers le personnage historique de Veronica Franco, et surtout, Précieuses, pas ridicules : ce documentaire m’a vraiment ouvert les yeux sur la manière dont nous avons été occultées, non seulement dans l’histoire, mais aussi dans les arts… 
 
ActuSF : Dans l'actualité, on parle de la réforme des retraites complémentaires de l'Agessa, de la réforme sur les attributions des aides au Centre National du Livre, et plus récemment, de la tribune de la Charte des auteurs et illustrateurs qui évoquant notamment les faibles pourcentages et rémunérations. Les auteurs et illustrateurs sont inquiets sur leurs conditions de travail. Les secteurs jeunesse et young adult sont-ils aussi touchée que les autres secteurs littéraires ? Qu'est-ce qu'il faudrait envisager pour améliorer les conditions des auteurs / illustrateur aujourd'hui ?
 
Charlotte Bousquet : Déjà, que les politiques arrêtent de parler de « réforme » quand il s’agit de « régression » – le tout en s’appuyant sur des prétendus spécialistes qui sont les mêmes depuis trente ans, prennent les gens pour des imbéciles et les infantilisent en leur expliquant qu’il faut « être réaliste », la réalité qu’ils défendent n’étant jamais que celle d’une minorité – la leur et celle de leurs patrons (à voir, à ce sujet, l’excellentissime documentaire : Les Nouveaux chiens de garde). Pour moi, ces projets gouvernementaux font partie d’un tout qui n’est guère plus qu’une machine à détruire la culture sous toutes ses formes.
 
Le premier problème est là : les auteurs, en particulier ceux qui n’ont pas de béquille financière à côté, n’ont pas le statut d’artiste, comme les intermittents, risquent d’être complètement broyés par ces projets qui sont inadaptés, et c’est pour ça qu’il faut se battre, comme le fait notamment le SNAC ou encore, La Charte, contre ces réformes qui ne sont rien d’autre que de l’extorsion.
 
 Bien que moins touché que d’autres, le secteur jeunesse/YA s’est pris la crise de plein fouet en 2014. Les auteurs et illustrateurs, du moins ceux qui n’ont pas d’autre métier à côté, sont  très fragiles dans la mesure où ils dépendent de contrats et du bon vouloir des éditeurs, eux-mêmes souvent tenus de « faire du chiffre » par des gestionnaires pour lesquels les livres sont des produits comme les autres (torchons, serviettes, etc.). Du coup, les chiffres baissent (difficile de concurrencer Twilight ou ses succédanés, qui vont être annoncés à grand renfort de pubs et autres opérations marketing quand on est « juste » un nom français pour lequel il n’y a eu qu’un minimum vital) et il est bien plus difficile de négocier des avances et droits quand les ventes d’un roman plafonnent sous 5000. Et, n’en déplaise à certains, qui pensent qu’on devrait refuser de signer des contrats sans essayer de « gratter » ou d’obtenir plus : aujourd’hui, quand on vit de sa plume et qu’on est dans la merde, ce n’est pas possible (bon, ça ne veut pas dire qu’il faut signer n’importe quoi non plus… ^^).
 
 En France, les droits des auteurs jeunesse sont moins élevés qu’en littérature adulte. De même, la littérature jeunesse est, encore aujourd’hui, moins bien considérée. Les problèmes essentiels sont là.
 
Maintenant, des maisons d’édition indépendantes, ou/et qui prennent le pari de l’originalité, qui ont une vraie politique d’auteur et construisent à long terme s’en sortent Je pense à Gulf Stream, bien sûr, mais également à Scrinéo ou Sarbacane. Elles ont le souci de faire de bons et beaux livres, de les défendre. Peut-être la clef est-elle là ? Travailler ensemble, sur du long terme, avec des gens que l’on choisit et qui nous choisissent, sur des projets de qualité… 
 
 
ActuSF : Avez-vous d'autres projets à venir ?  
 
Charlotte Bousquet : Je travaille actuellement sur mon deuxième Electrogène, un roman… qui parle de femmes, d’oppression et de violence dans un univers dystopique et je corrige un Rageot, récit contemporain sur le thème des faux-semblants et de la manipulation. Sinon, niveau parutions : Briser le sort, le T3 de ma trilogie Lune et l’Ombre, vient de paraître. Après Là où tombent les anges, le 3 septembre, sortiront : Mon cheval, mon espoir, collectif Rageot auquel ont participé Adrien Tomas, Fabien Clavel, Anne Percin, Anne-Sophie Silvestre, Christine Féret-Fleury, Sylvie Beaussier, Marie Caillet et Victor Dixen, dont les droits sont reversés à l’association Cheval Vie (16 septembre) et à l’automne, Invisible, le 4ème volet de la série des Graphiques (avec Stéphanie Rubini au dessin) ainsi que Jadis, livre-univers foisonnant, magnifiquement illustré par Nicolas Fructus, auquel j’ai eu le plaisir de participer aux côtés de Raphaël Granier de Cassagnac, Mathieu Gaborit et Régis Antoine Jaulin !
 
ActuSF : Où les lecteurs pourront-ils vous trouver en dédicaces ?   
 
Charlotte Bousquet : du 2 au 4 octobre, au salon de la géographie, à Saint-Dié des Vosges ; les 10 et 11 octobre, au Mans ; fin octobre, aux Utopiales ; du 6 au 8 novembre, à Brive, les 14 et 15, à Maubeuge, fin novembre à Colmar, au salon du livre jeunesse de Montreuil et enfin, le 12 décembre, à Kestulis (Carpentras). 
 
ActuSF : Le mot de la fin : quel livre nous conseillez-vous de lire pour cette rentrée ?
 
Charlotte Bousquet : certains m’accuseront peut-être de ne pas être objective, mais tant pis ! Cœur sauvage, de Fabien Fernandez, aux éditions Oskar. Une révolte, une belle histoire de voyage et d’amitié, qui emporte son lecteur du Moscou des gamins des rues aux forêts sauvages de Primorië, où vivent les derniers tigres de l’Amour. C’est un roman à la fois bien écrit et émouvant qui, au-delà d’une quête initiatique et fantastique, interroge le lecteur sur son rapport au monde sauvage et sur sa propre nature. 
 
 

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