ActuSF : Aux dernières Imaginales, une table ronde était consacrée à la rémunération des auteurs, modérée par Stéphanie Nicot, la Directrice artistique du festival. Elle évoquait notamment la proposition du Centre National du Livre (CNL) de ne plus verser de subvention qu'aux festivals qui rémunéreront les auteurs qui effectuent des "animations". Que va impliquer cette réforme pour des festivals comme les Imaginales ?
Stéphane Wieser : L’économie de la Culture et son « exception française » font l’objet depuis très longtemps de nombreuses réflexions. Parmi celles-ci, l’organisation de la lecture et du livre ont bénéficié avec la loi Lang d’un traitement tout à fait spécifique. Le prix unique du livre a certainement permis une structuration de la chaîne du livre, et une protection accrue tant des éditeurs que des libraires. On voit aujourd’hui encore comment cette loi a permis de conserver une certaine diversité des acteurs, dans un contexte particulièrement difficile et concurrentiel.
Le chantier de réflexion sur le droit d’auteur, les modes de rémunérations et les droits so-ciaux qui y sont associés est pleinement légitime. Personne ne contestera évidemment la nécessité de “dépoussiérer” un statut que l’on doit faire évoluer avec les nouvelles pratiques culturelles.
Parmi les pistes de réflexion, le CNL réfléchit à la mise en place de rémunérations complé-mentaires au droit d’auteur et envisage de demander aux festivals et manifestations litté-raires de rémunérer les auteurs invités.
Cette question nous interroge donc au premier chef.
Quel rôle les festivals littéraires jouent-ils dans l’économie du livre ? dans la vie de la Cité, et plus généralement pour le développement de la lecture .
Qui en sont les organisateurs ? S’agit-il de manifestations privées ou publiques ? Les entrées sont-elles payantes ou gratuites ? Comme chacun sait, hormis quelques exceptions (séances de cinéma, stage de formation à l’écriture, petits déjeuners et déjeuners-débats, concerts), la Ville d’Épinal a depuis plus de dix ans fait le choix de la gratuité totale : entrée sous la bulle du livre, signatures des auteurs, cafés littéraires, tables rondes, conférences-débats, lectures publiques, etc.
Enfin, dans ce contexte, quels auteurs pourraient bénéficier d’une rémunération ? et à quelles conditions ?
Tant de questions se posent aujourd’hui, qu’il nous semblait intéressant à Epinal de débattre ensemble, avec les auteurs et les éditeurs présents, tout en partageant avec les festivaliers une réflexion publique sur ce sujet.
ActuSF : Qu'est-ce que ça va impliquer pour les auteurs ? Pensez-vous que cette mesure va leur être uniformément favorable ?
Stéphane Wieser : C’est effectivement la principale question que nous nous posons. Les amoureux et passionnés de littérature que nous sommes tous ne peuvent – sur le principe – qu’être tout à fait favorable à l’amélioration des conditions de rémunération des auteurs.
Le modèle mis en avant par les sociétés des gens de lettres, le syndicat national des auteurs et des compositeurs ou le CNL est la Charte des Auteurs et des Illustrateurs Jeunesse.
Par cette charte, et depuis 1975, les auteurs de livres jeunesse se sont organisés et ont réussi à faire valoir des droits complémentaires pour les animations – souvent nombreuses – qu’ils réalisent, tant en milieu scolaire qu’au sein des bibliothèques publiques notamment.
Il s’agit souvent d’une source de revenu indéniable (parfois même la principale) pour certains d’entre eux.
Le modèle mis en avant parait vertueux !… Mais l’est-il vraiment ?
Les animations ne devraient-elles pas rester “minoritaires” dans la vie d’un écrivain ? Ou pour le moins, ne masquent-elles pas un autre problème : la baisse tendancielle des droits d’auteurs, en particulier pour les livres jeunesse, et surtout la baisse des tirages et des mises en place en librairies.
Ce sont des questions réelles…
Ce modèle est-il transposable au sein des festivals littéraires, et sans aménagements ? Le Ministère de l’Education Nationale et la DRAC ont souvent accompagné largement ces dispositifs (PTEA, plans lecture…), la filière de la lecture publique permettant notamment de prendre en charge bon nombre de ces rémunérations. Mais les crédits, en particulier dans l’Éducation nationale, sont loin de correspondre à la demande.
Ce modèle ne crée-il pas enfin, et c’est là notre principal questionnement une paupérisation encore plus importante de nombreux auteurs, en ne favorisant véritablement qu’une petite partie d’entre eux (les auteurs déjà médiatisés, bénéficiant de belles mises en place, voire quelques auteurs “officiels”…).
Le risque n’est-il pas en effet de voir se créer des “apparatchiks“ de l’écriture, avec un lien de subordination et un phénomène de cour face aux organisateurs ?
En rémunérant l’ensemble des auteurs présents, qui interviendraient sur les débats et tables rondes, les festivals se verraient certainement contraints de réduire fortement leur nombre d’invités, alors que nous sommes déjà au regret de refuser beaucoup d’auteurs de qualité ?
Quels seraient les invités prioritaires ? Les auteurs “bancables”, n’en doutons-pas ! Ceux qui sont déjà connus, qui assurent la venue d’un large public à nos manifestations… Ceux qui bénéficient déjà d’une belle couverture médiatique ou qui, installés et reconnus depuis longtemps, arrivent à se “frayer” une place de choix chez les libraires !
Qu’en sera-t-il des autres ? Les auteurs dits “en développement”, les nouveaux au-teurs ? Quelle place, dans ce nouveau système en gestation, pour la prise de risque, la nou-veauté, la découverte ?
Les Imaginales ont cette année invité 14 auteurs de premiers romans (sur 133 invités officiels, c’est important… Et primordial pour eux, pour leurs éditeurs, pour les libraires… bref pour l’ensemble de la filière !
Ne serions-nous pas contraint de les “reléguer” dans une sorte de festival off… ou leurs frais ne seraient plus pris en charge, et aucune promotion forte possible ? Faut-il à se sujet “co-pier” le modèle de certains festival des arts vivants, qui pour quelques créations subventionnées, font payer les jeunes auteurs pour avoir une chance d’accéder à un large public, aux professionnels et aux programmateurs ?
ActuSF : Qui a décidé de cette mesure ? Les festivals comme les Imaginales ont-ils été associés en amont au processus de décision ?
Stéphane Wieser : La décision définitive n’est pas encore prise. Des réunions ont été organisées par le CNL avec différents acteurs, et j’ai moi-même pu participer à une réunion en avril sur le sujet. Le Livre sur la Place à Nancy et le Festival de Brive étaient aussi invités.
Le débat était intéressant, mais de nombreuses questions restent encore en suspens. Toutes nos interrogations n’ont pas encore pu trouver de réponse.
ActuSF : Cette réforme va-t-elle créer deux types de festivals, d'un côté les festivals subventionnés qui devront peut-être limiter leur nombre d'invités et de l'autre ceux qui auront peut-être moins de contraintes à défaut d'avoir des aides ?
Stéphane Wieser : C’est effectivement un risque. Quels Festivals auront les moyens de “jouer le jeu”, et à quelles conditions ? Certains devront-ils se résoudre à perdre le soutien du CNL ou de l’Etat… au risque de voir leurs manifestations classées de “second ordre”, ou pire encore d’apparaître comme des « exploiteurs » ?
Le financement privé ne peut être une solution à tous les problèmes économiques. Si nous l’appelons tous de nos vœux, et qu’il peut donner lieu à de belles collaborations (aux Imagi-nales, c’est déjà le cas avec plusieurs partenaires privés de qualité, tant nationaux que locaux : le Crédit Agricole, Suez Environnement ou EDF notamment), il est utopique d’envisager de reporter entièrement une charge supplémentaire de 30, 50 ou 70 OOO € sur des sponsors ou des mécènes déjà extrêmement sollicités.
ActuSF : Plus globalement, aujourd'hui, quelle est la situation des festivals littéraires en France, et plus particulièrement ceux liés à l'imaginaire ?
Stéphane Wieser : Il y a énormément de festivals littéraires, en majorité consacrés à la littérature générale. Les festivals consacrés à l’imaginaire, réduits autrefois à la portion congrue, sont aujourd’hui en plein essor, même s’il y en a deux en France qui ont atteint une taille significative et qui ont la faveur des festivaliers ; chacun aura reconnu les Utopiales, le festival d’automne de Nantes (clairement centré sur la science-fiction), et nos Imaginales d’Épinal, qui couvrent tout le champ de l’imaginaire (et depuis quelques années le roman historique) en assumant fièrement leur dominante fantasy.
Loin de tout écraser, nos festivals ont plutôt suscité des vocations, et une bonne vingtaine de manifestations dévolues à l’imaginaire se sont créées ces dernières années en Région autour de l’imaginaire ; certes, elles ont plutôt une vocation locale ou régionale que nationale et internationale, mais parmi elles, toujours sympathiques, certaines ont déjà su trouver leur tonalité, leur spécificité et leur façon de parler de littérature. D’ailleurs certains de leurs responsables sont des amis des Imaginales, voire des modérateurs appréciés, preuve éclatante qu’il n’y a nulle concurrence mais plutôt des synergies.
Pourtant, la rémunération des auteurs, si elle est mal maîtrisée, peut les menacer gravement. Certains d’entre eux, encore fragiles, risquent de perdre des subventions précieuses ; d’autres, qui ne sont pas soutenues par le CNL, et pour qui la réforme en discussion ne changerait rien économiquement, pourraient être confrontés à un autre souci : les festivals les plus puissants, qui bon an mal an, opteraient pour la rémunération, risqueraient de devenir plus stricts sur les critères de recrutement des invités et, pour valoriser leur “investissement”, pourraient donner la priorité à des auteurs qui ne seront pas visibles dans toutes les autres manifestations. Irait-on vers une sorte de hiérarchisation des auteurs, d’un côté les invités des festivals ne rémunérant pas, de l’autre ceux qui courraient le cachet et auraient ainsi un statut d’auteurs + ?
Là encore, les effets pourraient être pires que le mal.
ActuSF : Le statut des artistes en France est en mutation continue depuis plusieurs années avec les réformes des retraites de l’Agessa et de la Maison des artistes, les modifications régulières des annexes 8 et 10 des intermittents du spectacle... Comment voyez-vous les effets de cette mutation globale de la culture en France sur les festivals littéraires ?
Stéphane Wieser : C’est une question très difficile, et je ne suis pas le plus compétent pour répondre dans le détail à cette question. Je m’interroge plus globalement sur la marchandisation de la culture dans laquelle une pareille problématique, sans véritable réflexion, pourrait nous entraîner.
ActuSF : Le mot de la fin. Que voulez-vous dire aux festivaliers et aux auteurs qui sont parfois inquiets ou interrogatifs vis-à-vis de tous ces changements ?
Stéphane Wieser : Pas d’inquiétude. Nous travaillons tous ensemble pour que perdurent et continuent à se développer les événements populaires et reconnus comme les Imaginales. L’organisation d’un festival comme celui des Imaginales repose très majoritairement sur les collectivités territoriales (notamment la ville d’Epinal qui assume 70% du financement direct, la totalité des frais techniques et de structure).
Vous comprendrez facilement qu’une charge supplémentaire serait difficilement concevable pour la collectivité, sans compensation en tout cas !
Pour conclure, je redirai clairement ce que Stéphanie Nicot a rappelé lors de la table ronde que nous avions organisée sur ces questions : nous comprenons les préoccupations des auteurs ; leur statut culturel et personnel passe évidemment, comme chacun d’entre nous, par une rémunération décente, et une considération portée à leur travail, si utile à la collectivité. Avec les limites financières que chacun comprendra, surtout lorsqu’un festival est entièrement gratuit, les Imaginales peuvent envisager de prendre part à la rémunération des auteurs et intervenants, pour peu que ce soit raisonnable et corresponde à des tâches précises. C’est déjà le cas pour les visites en classe, les concerts, le spectacle vivant, etc., et nous pourrions étendre ce principe à d’autres activités, comme des interventions n’ayant à l’évidence rien à voir avec la promotion des œuvres des invités (je ne prendrai que l’exemple de la conférence de Jean-Philippe Jaworski sur Julien Gracq). Cette réflexion sur la rémunération des auteurs, nous souhaitons évidemment continuer à la mener avec le CNl, et avec les auteurs, premiers concernés.
Mais quoi qu’il arrive, les Imaginales continueront à être le festival convivial, passionnant, divers, riche de la présence d’écrivains français de grande qualité. Et de nombreux écrivains étrangers continueront à nous apporter une ouverture sur le monde et la diversité.
Nous sommes, dans ce dossier, bien plus inquiets pour les auteurs, surtout la jeune génération, que pour nous-mêmes : les Imaginales sont sereines, et la Ville d’Épinal aussi.
Quelles qu’elles soient, des solutions raisonnables et gérables pour notre budget seront trouvées. L’édition 2016 aura donc lieu du 26 au 29 mai, et l’entrée restera entièrement gratuite !
À bientôt, à Épinal, du 26 au 29 mai 2016 !