ActuSF : La seconde édition du MOOC Fantasy, de l'Angleterre victorienne au Trône de fer aura lieu du 2 février au 23 mars 2016. Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu'est un Mooc (Massive Open Online COurse) s'il vous plait ? Est-ce que ce format est répandu, en France, dans les universités ?
Anne Besson : Un MOOC (on prononce « mok » ou « mouk », à l’anglaise, pour Massive Online Open Course, comme vous le rappelez) est un cours en ligne, gratuit et ouvert à tous sur simple inscription – à ne pas confondre avec le « mook », format hybride entre le magazine et le livre (« book ») qui se multiplie dans les kiosques et librairies !
Les MOOC s’imposent depuis plusieurs années comme un nouvel horizon du savoir dans un contexte de circulation internationale et instantanée de l’information par Internet. Les plus grandes universités dans le monde, et d’abord aux Etats-Unis et en Angleterre, mettent à disposition cet outil innovant, présentant des sessions de cours accessibles, durant quelques semaines, en général sous forme de vidéos accompagnées d’activités.
La France est entrée à son tour dans le mouvement, avec le lancement de la plate-forme de MOOC « France Université Numérique », en octobre 2013, puis les premiers cours démarrés en janvier 2014. Le projet de l’Université d’Artois, initié en juin 2014 pour une première diffusion en mai-juin 2015, s’inscrivait dans ce contexte pionnier. Depuis, ces deux dernières années, les initiatives se sont multipliées, mais sur des sujets touchant aux sciences humaines ou à la culture générale, comme le nôtre, les cours proposés sont encore trop rares.

ActuSF : Quelle est l'origine de ce Mooc Fantasy ? Est-ce que cela partait d'une demande précise ? Quel était l'objectif initial ?
Au sein du labo d’informatique de mon université, l’Université d’Artois, une petite équipe menée par Daniel Le Berre s’intéressait de près aux possibilités offertes par ce nouvel outil des plates-formes d’apprentissage ouvertes, mais aux possibilités techniques avant tout. Ils cherchaient le bon sujet, à la fois fédérateur et qui soit une spécificité forte - quelque chose qui ne se fait pas trop ailleurs qu’à l’Artois. La Fantasy s’est imposée, parce qu’il s’agit d’une de nos spécialités de recherche reconnue, sur laquelle j’ai la chance de bénéficier d’une bonne visibilité nationale – garante d’une certaine couverture médiatique… Clairement, l’objectif était de proposer une « vitrine » attrayante de notre « petite » université : lui assurer un rayonnement, montrer nos capacités d’innovation pédagogique et notre maîtrise technique, tout ça !
Ce qui m’a incité à dire « oui » à ce gros projet à mon niveau personnel, c’est que j’y ai vu une nouvelle façon de mettre l’accent sur ce qu’on appelle au choix « diffusion de la recherche », « valorisation auprès de la société », « vulgarisation auprès du grand public ». Il me semble important de donner de l’université une image plus ouverte que celle qui prévaut encore trop, et comme je travaille sur des objets « grand public », des genres et produits culturels qui peuvent encore être considérés comme « illégitimes », c’est l’occasion pour moi de montrer qu’on peut proposer un savoir de qualité sur de tels objets. Le MOOC est un formidable outil pour ça, parce que c’est un support nouveau, entièrement online, qui dépoussière donc l’image de l’université ; et puis il permet de toucher d’un coup des milliers de gens, partout dans le monde francophone…
ActuSF : Les Mooc sont de natures très différentes, en terme de contenu, en terme de durée, mais aussi de validation (diplômant, certifiant, ou une simple attestation) et de coût (gratuit ou payant). Qu’en est-il du Mooc fantasy ? De quoi va t-il traiter ? A qui s'adresse-t-il ?
Notre MOOC est entièrement gratuit, ouvert et donc non diplômant – ça va ensemble : on ne peut pas délivrer un diplôme sans procédures de contrôle de l’identité des étudiants, ce qui implique des plateformes fermées, et donc un coût… Ce modèle de gratuité complète ne durera peut-être pas, (il faut en profiter !) : les universités étrangères expérimentent des cours gratuits mais avec validation payante, la plateforme « Coursera », entreprise américaine positionnée sur « l’excellence », commence à bien s’implanter en France, les MOOC privés se multiplient pour rendre les formations internes des entreprises plus « ludiques ». Nous, on se positionne fermement en faveur de l’accessibilité des savoirs, aussi bien au niveau technique que des contenus (FUN, notre plate-forme, est l’émanation du service public d’éducation français et de la communauté open access, nos cours – en dehors des contenus extérieurs protégés dans les vidéos - sont sous Creative Commons 2).
Et dans le même esprit, quand on l’a conçu, on a essayé de s’adresser au plus grand nombre – sur le modèle par exemple des conférences données par les chercheurs au grand public dans le cadre des « Universités pour tous ». J’ai d’ailleurs eu des témoignages d’enfants qui l’avaient regardé avec intérêt, ce qui m’épate… Maintenant, ça reste un cours de niveau universitaire (sinon, quel intérêt ?) et il vaut mieux ne pas être allergique à la fantasy si on veut passer un bon moment, ce qui est le but. Il suffit d’être curieux je dirais.
Sur 7 semaines pour la V2, le MOOC Fantasy parle en effet… de fantasy !, dans toute sa diversité, à travers les points de vue complémentaires de plusieurs enseignantes qui ont chacune leur spécialité. Je m’occupe de retracer « l’histoire de la fantasy », depuis ses sources mythiques et sa naissance victorienne jusqu’à son succès contemporain et son installation dans le paysage culturel français. C’est également moi qui présente les différentes déclinaisons de « La Fantasy dans les médias » (illustration, musique, jeux, cinéma, séries…). Les autres interventions sont plus spécialisées et éclairent différents aspects importants du genre. Une spécialiste de littérature de jeunesse, Isabelle Olivier, traite de « Fantasy et jeunesse », deux collègues médiévistes, Emmanuelle Poulain-Gautret et Myriam White-Le Goff, approfondissent la question des références médiévales, du côté de l’épopée (armement, structures sociales) et du merveilleux (féminité et sacré), et enfin Isabelle-Rachel Casta, qui travaille sur le « merveilleux noir », aborde cette tradition parallèle, un peu marginale par rapport à ce qu’on considère comme le cœur de la fantasy, mais d’une grande richesse hier comme aujourd’hui (de Gaston Leroux et Bram Stocker à la bit lit !).
ActuSF : L'aspect multimédia du Mooc doit rendre très différente la construction du contenu et du parcours pédagogique. Comment avez-vous élaboré celui du Mooc Fantasy avec l'équipe pédagogique ?
Anne Besson : On a été regarder ce qui existait, avec l’expertise de Daniel Le Berre, notre « monsieur MOOC », pour déterminer ce qu’on voulait et ce qu’on ne voulait pas – pas de simples cours filmés, de caméra posée dans un amphi, comme ça se fait dans de grandes facs américaines ; pas non plus de « powerpoint commenté en voix off », l’autre extrême, qui peut se pratiquer de façon efficace pour les sciences dures, mais pas pour nous… Donc une solution entre les deux (des vidéos spécialement tournées et un montage de sources documentaires), et quelque chose qui soit « joli », bien fait : la fac a un studio, un prompteur, une bonne équipe technique, on en a profité. On s’est accordé sur les thématiques à traiter, et sur le format souhaitable : 1h à 1h30 sur chaque thématique, sous forme de 6 modules de 15mns environ – au-delà, c’est vite indigeste, et ça change énormément la donne par rapport à un cours en « présentiel » qui dure minimum une heure, et souvent deux. C’est un véritable défi de synthèse !
Le maître-mot, de ce point de vue-là aussi, c’est « accessibilité » - dans plusieurs sens différents : d’abord il faut bien paramétrer l’interface (Open EdX) en fonction des possibilités offertes par notre plate-forme bien sûr, bien concevoir le didacticiel, pour qu’il y ait le minimum de zones d’ombre pour « l’apprenant » - c’est le travail de « l’ingénieur pédagogique », informaticien spécialisé en e-learning, qui est aux premières loges de la conception du MOOC, dans notre cas la formidable Anne-Sophie ! Accessibilité ensuite aux personnes en situation de handicap, ce qui va de soi pour du « online » : dans cette V2, toutes les vidéos sont sous-titrées pour permettre aux sourds et malentendants d’en profiter sous cette forme. Accessibilité des contenus enfin, à la fois dans ce qu’on cherche à transmettre (même si bien sûr certaines thématiques sont plus ardues que d’autres, certains styles d’enseignant plus écrits) et dans la mise à disposition de différents formats : à côté des vidéos, adaptées aux différents terminaux mobiles, on propose aussi des retranscriptions pdf et des audio mp3 - chacun peut ainsi « emporter » et « consommer » le cours comme cela lui convient le mieux, l’écouter sur sa radio en voiture ou le lire dans le bus.
ActuSF : En 2016, c'est la seconde édition du Mooc ? Parmi les nouveautés on voit apparaitre trois parcours : Hobbit, Elfe et Mage. Est-ce pour mieux répondre aux attentes spécifiques de trois types de publics que vous avez identifiés ? Ou une préconisation, peut-être, dans les retours de ceux qui ont fait la V1 de cette formation ?
Anne Besson : On a effectivement pu bénéficier de retours très riches de la 1ère édition, à la fois avec les statistiques de FUN, sur les inscrits (âge, niveau d’études, motivation exprimée pour suivre le MOOC) et sur la consultation des vidéos (pour chaque module, combien de fois il a été visionné), et aussi grâce à un questionnaire de fin de MOOC qu’on avait conçu. Les taux de satisfaction exprimés sont vraiment très bons, mais tout le monde n’a pas aimé les mêmes choses parce que chacun ne venait pas chercher la même chose ! Nos efforts ont donc porté sur une meilleure prise en compte de l’hétérogénéité de notre public, qui est double : entre des personnes proches du milieu scolaire ou académique (collégiens, lycéens, étudiants, enseignants, jeunes actifs), et ceux qui ont quitté le système depuis longtemps et que l’évaluation inquiète davantage (70% des répondants de notre questionnaire final n'avaient jamais suivi de MOOC, c’était leur première expérience) ; d’autre part, des néophytes, environ 20 à 25% des inscrits ne connaissant à peu près rien au sujet et venant pour le découvrir, à côté de grands spécialistes, parfois universitaires, mais surtout lecteurs et aussi auteurs ou éditeurs d’œuvres de fantasy ! Notre « cœur » de public, ce sont des gens qui aiment tel ou tel aspect de la fantasy et veulent en savoir plus, mais il nous faut tenter de donner également à penser aux néophytes d’une part (en ne les perdant pas trop d’emblée), aux fans de l’autre (en les faisant participer activement et directement au cours) : d’où cette idée des « parcours » permettant à chacun de trouver ce qu’il cherche, toujours selon le modèle de la Quête qui avait structuré la V1 du MOOC Fantasy.
ActuSF : Quelles sont les autres principales nouveautés ? Quelqu'un qui a fait la première édition pourra-t-il la refaire en y trouvant son compte ?
Anne Besson : L’immense majorité des MOOC est « rejoué » sans modifications – c’est plutôt de l’ordre de la « rediffusion », et c’est le concept même de ces formations denses, qui se déroulent sur des laps de temps brefs et qui reposent totalement sur le volontariat, l’investissement personnel. Si l’on veut permettre à tous les gens que ça intéresse d’y accéder, et à ceux qui sont inscrits de le suivre dans de bonnes conditions, cela passe par là !
Nous, on a souhaité entièrement revoir l’organisation du cours et proposer de nouvelles activités, pour laisser le temps à chacun de progresser selon ses connaissances de départ et ses objectifs tout en permettant aux plus fidèles d’y trouver leur compte. Il faut avoir en tête qu’à l’issue des 6 semaines de la V1, environ 15% des inscrits ont participé à toutes les activités et les ont chaque fois validées (y compris un exercice de rédaction corrigé par les pairs qui a demandé du travail !), si bien qu’ils ont obtenu leur attestation de réussite finale. Ce sont des résultats très positifs, car dans la fourchette haute de l'implication des participants à un MOOC, mais ça fait tout de même 85% des gens qui n’ont pas terminé, essentiellement pour des questions de temps, de disponibilité... La V2 s’adresse (entre autres) à eux !
On veut donc que les gens qui n’ont ou n’auront pas trop le temps, et ceux qui n’y connaissent pas grand-chose, puissent participer de façon satisfaisante : c’est le sens du parcours Hobbit, ouvert d’emblée pour une découverte à son rythme (« at your own pace » selon l’expression consacrée en pédagogie à distance). La moitié des vidéos seront visibles dès l’ouverture du cours, et le resteront jusqu’à la fin, de façon à découvrir le genre sans se mettre trop de pression. Les deux autres parcours, Elfe et Mage, de plus en plus exigeants, seront dévoilés progressivement (semaine 3 et semaine 5) ; ils sont recommandés à ceux qui sont déjà amateurs ou passionnés de fantasy et veulent aller plus loin – comme le disait quelqu’un sur Twitter, pour ceux qui n’auraient pas encore reçu de lettre de Poudlard, c’est un peu la dernière chance de devenir Mage !
On n’a pas à choisir d’emblée son parcours : tout le monde commence le voyage en tant que « Hobbit », mais certains progresseront plus vite, et ceux qui ont terminé ce parcours-là continuent leur chemin, aussi loin qu’ils le souhaitent ou qu’ils le peuvent…
ActuSF : Quels seront les modes de validation (écrit, oral, QCM..) à la fin du Mooc pour se voir délivrer l'attestation de réussite (et quelle est-elle exactement) ? Y aura-t-il une procédure d'évaluation par les participants eux-mêmes, entre eux, comme dans la première édition ?
Anne Besson : L’évaluation est adaptée en fonction du parcours choisi : le « Hobbit » devrait être assez facile à valider si tout va bien, en faisant seulement les QCM qui accompagnent chaque vidéo du parcours (sans limites dans le nombre de tentatives) et les exercices d’appariement à la fin des 2 thématiques « Histoire de la fantasy » et « Fantasy et médias ». Pour valider les autres parcours, outre des QCM limités cette fois dans le nombre de réponses possibles, des activités écrites, corrigées par les pairs comme la fois précédente (avec affichage d’emblée des critères), doivent être rendues. Les sujets seront dévoilés en semaine 3 : une seule, sur un délai confortable de plusieurs semaines, pour le parcours « Elfe », et une deuxième, dans des délais plus courts, faisant appel à l’érudition ou à la créativité, pour les aspirants « Mages ». Il y aura donc 3 attestations : elles porteront mention du parcours choisi.
ActuSF : Le mot de la fin : quels conseils pouvez-vous donner à ceux qui suivent un Mooc pour la première fois ? Pour qu'ils ne se démotivent pas et qu'ils aillent jusqu'au bout ?
Anne Besson : D’abord, faites-vous plaisir ! Enjoy ! Le plaisir d’apprendre est l’essence de ce qui peut vous motiver dans ce type de formation qui ne présente aucun caractère d’obligation.
Et puis, très important, participez à la communauté : ça me semble vraiment la clé ; venez discuter sur le forum, qui l’an dernier avait été formidablement animé, posez vos questions, faites la connaissance des autres amateurs et passionnés, suivez le MOOC sur les réseaux sociaux... Comme dans un roman de fantasy là encore : c’est toujours la solidarité, la fraternité, partage, découverte et entraide, qui permettent à chacun d’aller au bout de sa quête, non ?
Retrouvez ici les cours et les extraits vidéos mis à jour chaque semaine pendant le Mooc !