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Interview 2016 : Thierry Fraysse pour les éditions Callidor
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Interview 2016 : Thierry Fraysse pour les éditions Callidor

ActuSF : Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter s’il vous plait ? Quel est votre parcours ?
 
Thierry Fraysse : Je suis Thierry Fraysse, le directeur éditorial et gérant des éditions Callidor. Mon parcours est assez simple : j’ai vraiment commencé à étudier la littérature en classes préparatoires. J’avais découvert la fantasy bien plus tôt, mais jusque-là, il ne s’agissait que de lectures pour me divertir. Et très vite, je me suis attaché à toutes sortes de détails, et à mesure que je découvrais les œuvres de David Gemmell ou de Robert E. Howard, entre autres, c’est devenu une passion. 
 
Un autre domaine m’intimidait et me fascinait tout autant : l’édition. À l’université, j’ai tout fait pour me spécialiser en conséquence. Mon diplôme en poche, j’ai trouvé un emploi d’assistant d’édition dans le beau-livre, avant d’être finalement embauché dans le milieu de la bande dessinée, et plus particulièrement du comic book. Quelque années plus tôt, pour concrétiser un rêve, j’ai créé ma propre structure, en lançant les éditions Callidor, et plus récemment la collection « L’Âge d’or de la fantasy ». 
 
 
ActuSF : Comment sont nées les éditions Callidor ? Qui sont les personnes à l’origine de leur création ? 
 
Thierry Fraysse : J’ai été très aidé par ma comptable, qui m’a apporté un soutien inconditionnel et sans qui je n’aurais jamais pu faire quoi que ce soit dans le domaine de l’édition. Mais pour tout ce qui concerne la partie éditoriale, c’est seul que j’ai entrepris cette aventure. C’était en 2011, je cherchais encore une ligne éditoriale cohérente dans le domaine de l’imaginaire. J’ai beaucoup étudié les productions des autres maisons et j’ai constaté que plusieurs auteurs dits classiques dans les pays anglo-saxons ne bénéficiaient pas de traduction française. Qui plus est, ces auteurs étaient à la base même de ce qu’on appelle aujourd’hui la fantasy, et je me suis dit que c’était une piste à explorer. Essayer de promouvoir de nouveaux auteurs, qu’ils soient Anglophones ou Français, avait beau être tentant, les autres maisons d’édition le faisaient déjà très bien, et je voulais me différencier, et faire découvrir des textes différents aux lecteurs. Je me suis donc lancé. 
 
ActuSF : Qui compose aujourd’hui l’équipe de Callidor ? 
 
Thierry Fraysse : Aujourd’hui, de nombreux traducteurs sont à l’œuvre, avec notamment Thomas Garel et Julie-Petonnet Vincent, qui m’ont beaucoup aidé sur les premiers textes. De même, des illustrateurs de talent me soutiennent et font partie de cette petite équipe. Je pense notamment à Hugo de Faucompret et Sébastien Jourdain, mais également Ronan Maret, qui a à sa charge une série de plusieurs volumes, Les Lames cosaques. Et j’ajoute enfin ma comptable, toujours présente. Autrement, les décisions éditoriales me reviennent. 
 
ActuSF : Votre première publication était Sweeney Todd de James Malcolm Rymer. Qu’est-ce qui vous a fait choisir ce texte et ce personnage que nous connaissons surtout par l’adaptation de Tim Burton au cinéma ?
 
Thierry Fraysse : À l’époque, en 2011, l’idée de me lancer dans la fantasy me hantait, mais je devais encore travailler mon approche et surtout définir une ligne cohérente. Alors que je planchais sur le sujet – qui ne devait finalement aboutir que quatre ans plus tard avec ma nouvelle collection –, j’ai vu le Sweeney Todd de Burton, avec Johnny Depp en acteur-vedette. Et j’ai remarqué que ce film était en fait adapté d’une comédie musicale, laquelle était elle-même issue d’un roman anglais du milieu du XIXe siècle. Et, bien entendu, ce roman n’avait pas fait l’objet d’une traduction française… Peut-être était-ce simplement par souci de qualité, me suis-je dit alors. Eh bien, pas du tout ! C’était un roman prenant, haletant, et Sweeney Todd, le personnage principal, n’avait rien à envier à ceux des romans noirs dont il est à l’origine. Il y avait une place à prendre sur le marché et j’ai donc décidé d’en profiter pour lancer ma structure. Même si je n’ai pas publié davantage de romans de ce genre par la suite, je ne regrette absolument pas ce choix, qui m’a permis de faire connaître le personnage originel au public français, et qui a même donné lieu à une réédition fin 2015, par les éditions Tind. 
 
 
ActuSF : Vous avez lancé une collection intitulée « L’Âge d’or de la fantasy » avec Lud-en-Brume de Hope Mirrlees, Le Loup des steppes de Harold Lamb et Les Habitants du mirage d’Abraham Merritt. Comment avez-vous retenu ces trois titres pour lancer la collection ? Pouvez-vous nous les présenter ?
 
Thierry Fraysse : Avant de me lancer, j’ai dû définir la ligne éditoriale à adopter, et même si je savais au préalable vers quoi je voulais tendre ainsi que les auteurs que je souhaitais promouvoir, il me fallait également déterminer une limite et savoir où m’arrêter. J’ai donc choisi de définir ce que j’ai ensuite appelé « L’Âge d’or de la fantasy », à savoir la période qui part de la fin du XIXe siècle, avec entre autres William Morris, et qui court jusqu’à la publication du Seigneur des anneaux de Tolkien en 1954-1955 – une date importante, à mon sens, puisqu’elle marque également l’arrêt du magazine Weird Tales aux États-Unis. 
 
Choisir dans cette limite m’a permis de restreindre mon champ de vision et de m’intéresser aux véritables précurseurs de la fantasy. Et parmi eux, plusieurs noms venaient immédiatement à l’esprit. C’était le cas de Hope Mirrlees, notamment pour son style riche et sa plume ironique tout à fait extraordinaire. Inédit en France, son roman Lud-en-Brume est un classique outre-Manche et outre-Atlantique. Il raconte les péripéties d’un certain Nathaniel Chantecler, un maire à la fois pragmatique et rêveur. Un chef-d’œuvre de l’imaginaire qui n’a rien à envier au Hobbit de Tolkien et qui le précède même de plus de dix ans, puisqu’il date de 1926. Neil Gaiman le décrit d’ailleurs comme « le roman le plus beau, le plus convaincant, le plus mystérieux et le plus injustement négligé du XXe siècle ».
 
 
Robert E. Howard est un auteur incontournable quand on parle de fantasy, mais on ne peut parler de Robert E. Howard sans mentionner Harold Lamb. Ce dernier était un auteur de pulps très prolifique et, en plus d’avoir écrit de nombreux récits sur des Cosaques, des croisés ou des pirates, il a exercé une grande influence sur un jeune lecteur qui allait bientôt devenir l’auteur de Conan ou de Solomon Kane. J’ai donc rapidement décidé de faire de Lamb une priorité et de publier le premier volume d’une longue série consacrée à son personnage-phare, Khlit le Cosaque. Si en référer comme de la fantasy est discutable, son influence sur le genre est évidente et continue de s’exercer sur les auteurs contemporains. 
 
Quant à Abraham Merritt, c’est sans doute l’un des auteurs les plus remarquables de son temps, antérieur à Howard d’ailleurs, et même s’il avait déjà fait l’objet de publications françaises, les éditeurs semblaient le bouder, oubliant son importance sur le genre. Je me suis donc employé à rendre à cet auteur la place qu’il méritait en librairie, avec son roman le plus abouti : Les Habitants du mirage. Et pour permettre aux lecteurs qui connaissaient l’auteur de découvrir quelque élément nouveau, j’ai fait traduire la fin originale de ce texte, qui avait été refusée en 1932 – Merritt avait dû écrire une fin différente pour satisfaire son éditeur. 
 
Ces trois choix ont également mis en rapport des types de fantasy différents : une fantasy britannique (Hope Mirrlees) et une autre américaine (Harold Lamb et Abraham Merritt). Cela m’a permis de dresser un parallèle intéressant au sein d’un même genre, de façon à montrer que même au départ, celui-ci n’était pas codifié par une trame narrative et un style uniques. 
 
ActuSF : Pouvez-vous nous dire également un mot sur les couvertures et les visuels de vos livres ? Comment se passent le choix et le travail avec les illustrateurs ?
 
Thierry Fraysse : Les illustrateurs avec lesquels je travaille sont choisis en fonction de leur style et pas tellement en fonction de leur CV. Je me suis dit qu’illustrer les ouvrages de la collection permettrait une meilleure immersion du lecteur, et serait également l’occasion d’opposer une plume ancienne à un style d’illustration moderne, ce qui allait produire un effet intéressant et donner aux titres une résonnance particulière, à une époque où leur influence est toujours palpable sur les auteurs d’aujourd’hui. 
 
En général, je définis les passages à illustrer et mettre en valeur avec l’illustrateur pendant une première phase préparatoire. Ensuite, les croquis suivent, et après des changements ici et là, les illustrations sont encrée avant d’être finalisées. Ce n’est qu’ensuite que vient la couverture, qui découle des illustrations intérieures. 
Pour ces couvertures, j’ai défini une charte graphique, que j’ai voulu très reconnaissable. Le principe est simple et il permet une reconnaissance visuelle immédiate : un dessin en noir et blanc, sans fond de préférence, avec une seule et unique couleur, choisie en fonction de l’ouvrage. 
 
ActuSF : Comment se fait la sélection des œuvres que vous publiez ? 
 
Thierry Fraysse : Il faut tout d’abord que l’œuvre en question corresponde à ma ligne éditoriale, qui est très stricte. Si l’importance du titre dans l’histoire de la fantasy est importante, ce n’est pas le seul critère pour l’intégrer à la collection. Il faut évidemment qu’il y ait un intérêt pour le lecteur moderne et que l’histoire ne soit pas trop datée pour justifier une traduction. L’intérêt historique ne prime pas sur l’intérêt du lecteur, qui doit y trouver son compte. Il faut ensuite sélectionner le bon traducteur, qui saura rendre le ton souhaité, et bien entendu, un illustrateur dont le style saura faire écho à celui de l’auteur. 
 
 
ActuSF : Vous venez de lancer une collection « L’Âge d’or de la fantasy ». Est-ce que cela veut dire qu’il y en aura consacrées à d’autres âges d’or, comme celui de la science-fiction par exemple ? Quelles autres collections envisagez-vous ?
 
Thierry Fraysse : Pour le moment, l’idée n’est pas de s’éparpiller, je me concentre donc sur la fantasy et je compte développer la collection autant que faire se peut. Beaucoup d’auteurs restent à découvrir en France, et le talent est au rendez-vous ! Plus tard, d’autres domaines comme la science-fiction seront explorés, mais j’ai encore beaucoup à découvrir avant de l’envisager. 
 
ActuSF : Callidor se consacre tout particulièrement aux écrivains d’un autre âge dont on a oublié le nom, mais dont l’influence perdure encore aujourd’hui. Cette ligne éditoriale était-elle définie dès le départ ? Est-ce une ligne « stricte » ou envisagez-vous de l’ouvrir sur d’autres thématiques (auteurs contemporains…) ? 
 
Thierry Fraysse : Comme je l’ai dit, l’idée était présente à la base de ma réflexion. Les auteurs contemporains, s’ils étaient traités, le seraient dans une autre collection. Mais, comme je l’ai précisé plus haut, j’ai d’autres priorités, d’autant que des éditeurs bien installés le font déjà très bien ! 
 
ActuSF : Envisagez-vous de proposer vos livres sous format numérique ? Quelle est votre position vis-à-vis du numérique ?
 
Thierry Fraysse : Le numérique me semble une excellente option à l’heure actuelle, et je l’envisage comme un format qui doit faire pendant au poche. Il ne s’agit donc pas d’une option que j’envisage en même temps que mes parutions actuelles, mais comme un élément qui interviendrait en second temps. Quoi qu’il en soit, c’est bien entendu prévu, mais pas dans l’immédiat. 
  
ActuSF : Quel est le programme de parutions 2016 ? De nouveaux titres pour « L’Âge d’or de la fantasy » peut-être ? 
  
Thierry Fraysse : En 2016, trois nouvelles parutions sont prévues, avec notamment James Branch Cabell et son Jurgen, qui est un chef-d’œuvre de prose et d’ironie digne d’un Terry Pratchett avant l’heure, et qui est adulé par les plus grands auteurs du genre, à commencer par Neil Gaiman, Fritz Leiber ou encore Jack Vance. 
 
Suivra ensuite le deuxième volume de la saga de Khlit le Cosaque, Le Khan blanc de Harold Lamb, avec des illustrations à tomber de Ronan Marret. 
 
Enfin, un autre ouvrage d’un écrivain des pulps américains viendra clore l’année, mais je préfère ne pas en dire plus pour le moment. Il faut bien garder quelques surprises en réserve !
 
Quoi qu’il en soit, comme vous pouvez le constater, j’avance au pas, à l’image de la tortue qui me sert de logo. Autant dire que je dépasserai rarement les quatre parutions à l’année…
 
ActuSF  : Êtes-vous présents sur les salons ? Où vos lecteurs pourront rencontrer les éditions Callidor dans les mois à venir ?
 
Thierry Fraysse : Je n’ai malheureusement pas la possibilité de me rendre à tous les salons, mais je tâche d’y être au moins représenté. La librairie l’Atalante, que je remercie encore au passage, l’a d’ailleurs fait pour les Utopiales en 2015. Les lecteurs peuvent donc y croiser les ouvrages de ma collection, mais il est plus rare de m’y voir. J’ai néanmoins fait un vernissage pour la sortie conjointe de mes trois premiers ouvrages, où se sont retrouvés les illustrateurs pour une séance de dédicaces dans la librairie La Dimension Fantastique, à Paris. Encore merci à eux ! Je compte réitérer l’expérience, bien entendu, et il suffit de suivre les éditions Callidor sur Facebook pour en savoir plus !
 
ActuSF : Le mot de la fin : qu’est-ce que l’on peut souhaiter en ce début d’année aux éditions Callidor ?
 
Thierry Fraysse : Tout simplement de garder le cap et de continuer de jouer aux archéologues de la fantasy. Mais surtout de mobiliser davantage de libraires autour de ma nouvelle collection, de façon à rendre les titres plus accessibles aux lecteurs. Qu’ils n’hésitent d’ailleurs pas à me contacter pour les parutions à venir !
 
 

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