ActuSF : Bonjour Dmitry Glukhovsky. Métro 2035 sort le 23 mars 2017 chez L’Atalante en France et conclut la trilogie. Dans ce roman Artyom essaie de trouver une solution pour permettre aux gens de remonter vivre à la surface. Qu’espère-t-il capter avec sa station radio ? Et en quoi cela va-t-il l’aider à réaliser son but ?
Dmitry Glukhovsky : Dans Métro 2033, le seul endroit habité au monde est le métro de Moscou. Ses habitants ont tenté de nombreuses fois d'entrer en contact avec d’autres survivants mais sans succès. Ils ont donc de bonnes raisons de croire qu’il n’y a personne d'autre qui a survécu. Pour eux, impossible donc de sortir du métro.
Les gens ont accepté cela et ne combattent plus pour trouver une possibilité de s’enfuir ailleurs. Tout le monde sauf Artyom pour qui c’est une croisade très personnelle. Pour des raisons liées à son enfance, il veut trouver la sortie du métro. Dans Métro 2033 c’était le point de départ. Quand il était petit, il était motivé par ce désir de se rappeler des lieux de son enfance, de se souvenir du visage de sa mère et de revoir ce monde magique perdu pour toujours. Il a ouvert un portail au jardin botanique et il a laissé les Noirs entrer dans le métro.
Métro 2035 est une suite de Métro 2033. Artyom est maintenant devenu un adulte et un héros. Il veut capter des signaux afin de découvrir d'eventuels endroits habités, pour faire ensuite sortir les gens du métro et démarrer une nouvelle vie pour l’humanité. Il est entièrement convaincu que, coincés dans les souterrains, les gens vont bientôt se transformer en animaux, en monstres ou en Morlocks comme chez H. G. Wells.
ActuSF : Les mutants seront moins présents dans ce troisième volume. Quel sera alors le véritable ennemi d’Artyom ?
Dmitry Glukhovsky : Je dois bien prévenir les lecteurs en France, comme je l’avais fait en Russie. Métro 2035 c’est une suite directe de Métro 2033. Métro 2034 était plus un spin-off, avec un personnage principal différent d’Artyom.
Par contre, du point de vue du genre littéraire, c’est différent. Métro 2033 était un mélange entre fantasy urbaine, critique sociale, science-fiction et dystopie. Métro 2035 est une dystopie politique et sociale. J'y parle des thématiques qui m'ont frappé après les évènements de l’année 2012, lorsque la classe moyenne a essayé de protester contre les résultats manipulés des élections en Russie. Il s'en est suivi une énorme réaction d'ultra-conservatisme ainsi que le développement d'une rhétorique nationaliste…
Les dirigeants russes ont tenté, par exemple, de supprimer la souveraineté de l’Ukraine après la conquête de la Crimée. Une guerre a commencé à l’Est de ce pays, à cause du comportement plutôt Hitlérien de Vladimir Poutine. Cette réalité dystopique m'a inspiré pour continuer la grande saga de Métro et pour la conclure avec une perspective très différente de celle du début, dix ans plus tôt. Métro 2033 a été écrit à l’époque de la Russie après la chute de l’Union soviétique : une civilisation post-idéologique, apparaissant sur les ruines d'une précédente et un peu parasite (quand on était dans les années 1990), avec beaucoup de libertés, mais sans certitude. Nous ne savions pas ce que le futur allait nous apporter et nous avions peur du lendemain. Nous n’avons pas su produire ou créer quelque chose, nous avons simplement continué d’exploiter l’héritage idéologique, économique et culturel de l’Union soviétique. C’était ça la métaphore dans Métro 2033. Je décrivais une société vivant dans les souterrains et dans les catacombes construits par leurs ancêtres. C’était notre vie dans les années 1990.
Métro 2035 est par contre un portrait de la Russie telle qu’elle est devenue vingt ans après. L’idée était de montrer la différence entre ces deux Russie. Toutes les générations n'ont pas l'opportunité de voir comment naissent les états fascistes - même si maintenant, Poutine semble reculer. Nous y étions, nous avons vu ses méthodes, les techniques pour que les gens perdent la raison, confondent mensonges et vérités et acceptent avec facilité l’image d’un ennemi qui leur est imposé. C'est cette découverte que j’ai vécue et que j’ai sentie très importante à transmettre, à mettre sur papier. C'est ça le but le Métro 2035.
Donc oui, c’est un livre très politisé. J’ai senti que ça allait vite devenir un cirque si je commençais à y mettre des monstres et des mutants et à les mélanger à des messages politiques. J’avais moins envie de divertir le lecteur que de lui faire passer un message. Je veux que les gens sentent et voient quand les vérités cessent d’être des vérités, quand il n’y a plus d’objectivité, quand les politiciens ont juste le désir d’être au pouvoir et peuvent rendre toute la population complètement folle - et avec quelle facilité cela peut arriver! On le voit actuellement un peu aux États-Unis un peu avec Trump, mais pas encore en France. Du coup, il n’y avait plus d’espace pour les monstres, les créatures et les mutants. C’est toujours un homme qui est le pire ennemi d’Artyom.

ActuSF : Dans l’univers de Métro le danger de mort est omniprésent, avec des mutants, des radiations, des satanistes, des nazis… Pourquoi avoir opté pour un univers aussi sombre, aussi pessimiste ?
Dmitry Glukhovsky : Je dois vous avouer que j’avais un choix très difficile à faire. Un choix entre un conte magique avec des lapins sympathiques et roses, et cette histoire-là avec mutants, souterrains, radiations et guerre nucléaire. J'ai eu beaucoup d'hésitations, beaucoup de doutes. J’ai dû consulter mes parents, mon psychiatre, etc. Et à la fin j’ai décidé de commencer cette histoire de Noirs, de métro, de guerre atomique et une critique sociale, une parodie politique, plutôt qu'un conte magique. Mes expériences personnelles, sociales et politiques avaient plus de liens avec cette dystopie sous la forme d’un roman de science fiction.
ActuSF : Un des thèmes qui vous tient à cœur est la manipulation de la population par la propagande. Pourquoi choisir ce sujet ?
Dmitry Glukhovsky : Pour préciser un peu, je dirais que c’est parce que j’ai la chance -ou pas - d’habiter en Russie. Ce qui se passe est tragique. Je crois que la France, du point de vue de la manipulation politique, a beaucoup souffert dans les années 1940. Mais elle a pu rester saine grâce à une grande diversité d’opinions et ses médias réparties équitablement entre chaque partis politiques. Vous avez un vaccin plutôt efficace contre la manipulation. Chez vous, il y a une vraie compétition politique avec des groupes qui veulent gagner cette lutte et conquérir le pouvoir dans l’intérêt de la nation et de la société.
Ce n’est pas comme cela chez nous. Ici, il y a l’élite, qui ne veut aucun changement et qui en a peur, parce qu’ils croient peut-être, non sans raison, que cela ne mettrait pas seulement fin à leur carrière politique, mais aussi à leur carrière économique et peut-être à leur vie. Leur but est de nettoyer, voire de stériliser tout le champ politique en écartant toutes menaces. Donc, chez nous, c’est une société de manipulation. C’est très éducatif à observer. On apprend beaucoup de choses sur nous-même et sur l’âme humaine, la construction de la société, les relations entre le peuple et l’élite.
En Russie, c’est un peu plus cynique et simple que chez vous. Nous sommes plutôt dans le 1984 d’Orwell. Cet auteur a eu la chance de visiter l’union soviétique pendant les années 1930 comme employé des services secrets anglais. On ne peut pas rater une telle opportunité de voir un pays dans lequel la dystopie cesse d’être de la science-fiction pour devenir une réalité. C’est très important d'archiver ces expériences.
Visuel du jeu Métro : Last Light

ActuSF : Que pouvez-vous nous dire du jeu Métro 2036 est-il toujours développé par 4A Games ? Ce jeu sera-t-il la suite directe de Métro 2035 ? Artyom sera-t-il le personnage principal ?
Dmitry Glukhovsky : Je ne suis pas autorisé à en parler (rire). J’ai déjà été puni par les compagnies de jeux pour avoir diffusé des informations, et cette fois je ne peux rien dire. Mais je crois que bientôt, on va avoir des nouvelles...
ActuSF : Vous êtes l’investigateur d’une grande série de romans autour de l’univers de Métro 2033, avec beaucoup d’auteurs différents. Certains ont même été traduits en France, pouvez-vous nous en dire un mot ?
Dmitry Glukhovsky : Il y a plus de 76 romans publiés en Russie, dont une partie est aussi disponibles en France, en Allemagne, en Pologne, en Corée du Sud, en Hongrie, en Italie, en Espagne… C’est un projet qui a démarré en 2009, juste après la sortie de Métro 2034. Le but est de permettre aux lecteurs et aux fans d’explorer l’univers de Métro 2033 et d’avoir leur mot à dire dans cette saga.
Ça a fonctionné admirablement bien. Parmi ces 76 livres, on a des œuvres qui ont été écrites par des débutants (plus d’une moitié), mais aussi des œuvres créés par des étrangers, comme des Italiens, des Polonais… C’est devenu un projet culturel international.
Bien sûr, en fonction de la nationalité de l'auteur, il y a des approches qui sont très différentes. Par exemple pour l’auteur italien qui a déjà écrit une trilogie, les thèmes principaux sont les relations entre l’homme et Dieu, sur une terre abandonnée par Dieu. C’est un thème très intéressant. Pour nous qui sommes dans un pays athée, les éléments les plus importants du post-apocalyptique sont la survie, la nostalgie du passée, les opportunités perdues et la reconstruction de la société. Nous ne pensons pas autant aux questions religieuses. Il y a également un roman écrit par un auteur Cubain alors que Fidel Castro était encore en vie. C’est une satire de ce cadavre vivant qu'était Castro. Il décrit une société où personne ne sait si le leader est vraiment vivant ou mort.
C’est un projet qui a connu un joli succès, surtout si on le compare aux franchises américaines soutenues par les grands films d’Hollywood. Nous nous n’avions rien de tout cela, nous avions juste l’enthousiasme, deux jeux vidéos qui recrutaient quelques lecteurs et la qualité de l’histoire. J'en suis très content, même si je me suis éloigné de cette série il y a cinq ans. Maintenant, c'est un projet qui a une vie propre.

ActuSF : Une adaptation de votre roman Métro 2033 en film est actuellement en cours de production. Pouvez-vous nous en parler ?
Dmitry Glukhovsky : Pour l’instant nous travaillons avec deux personnes. Le premier est Michael De Luca, le producteur de Sin City, Cinquante Nuances de Grey et The Social network. Le second s’appelle Stephen L’Heureux, avec un nom de famille parfaitement français, bien qu’il soit Irlandais. Les deux sont en train de créer un scénario. Maintenant reste à voir si le projet va aboutir. Je suis devenu beaucoup plus calme et moins exigeant. J’ai compris que pour une raison que j'ignore, le cinéma et moi, ça ne marche pas très bien. J’avais de nombreux adaptations de mes livres au cinéma qui avaient attiré l’intérêt des réalisateurs et des producteurs, mais à chaque fois quelque chose ne se passait pas comme prévu et mettait fin aux projets.
Je suis donc maintenant un peu plus cool et j’ai décidé de me concentrer sur mes prochains livres, parce que c’est beaucoup moins frustrant. Tu sais que tout dépend de toi et que tu y consacres assez de temps, d’efforts et de talent, alors ça va fonctionner. Les films et la télévision dépendent beaucoup de gens qui n’ont rien à voir dans l’histoire, qui n’y comprennent rien, et qui ne s'y intéressent pas… C’est comme une loterie et je suis un peu fatigué de jouer à ce Loto.
ActuSF : Prévoyez-vous de passer en France prochainement ? Pour une séance de dédicaces par exemple.
Dmitry Glukhovsky : Oui, je dois me rendre à Paris pour le salon du livre, j'y serai du 24 mars au 26 mars. Il va y avoir des dédicaces chez L’Atalante et le Livre de poche qui vient de republier mon premier roman Métro 2033 en français en format poche. Je suis invité par ces deux maisons d’éditions pour des dédicaces.
ActuSF : Quels sont vos prochains projets ? Pensez-vous un jour écrire une suite à la trilogie Métro ou un spin-off ?
Dmitry Glukhovsky : Je pense que j'en ai terminé avec l'univers de Métro. Ça fait déjà vingt ans que je suis bloqué dans les souterrains et j'ai besoin de voir un peu le soleil. (rires)
Je suis en train d’écrire un nouveau roman, qui ne sera pas un polar mais plutôt un roman dramatique et avec des touches de polar. Il devrait sortir en russie fin mai début juin. Nous allons voir prochainement pour sa traduction française.