Après Royaumes de vent et de colères, un premier roman très remarqué et couronné du prix Elbakin.net en 2015, l'auteur Jean-Laurent Del Socorro revient sur la vie de la reine celte Boudicca dans son deuxième roman éponyme, Boudicca, toujours paru chez ActuSF et qui sort en libraries aujourd'hui.

ActuSF : Comment est née l’idée de ce roman ?
Jean-Laurent Del Socorro : Tout d’abord, je voudrais préciser que j’ai reçu pour Boudicca, une bourse d’écriture du Conseil régional et de la DRAC Auvergne Rhône-Alpes et l’agence pour le livre l’ARALD, et je les remercie encore pour leur soutien.
Un peu comme pour Royaume de vent et de Colères, l’idée de Boudicca est arrivée un peu par hasard. Je travaillais sur un autre projet de roman. Je ne sais même plus comment j’ai découvert l’histoire fascinante de cette reine celte mais j’ai alors mis de côté mon premier manuscrit pour m’attaquer à un autre livre qui aurait pour personnage central Boudicca.
Très vite, je me suis rendu compte qu’il n’y avait véritablement qu’une seule œuvre romanesque contemporaine sur ce personnage (La tétralogie de La Reine celte de Manda Scott) et un téléfilm avec peu de moyens. J’ai alors décidé d’écrire sa biographie historique et fantasy.
Comme pour Royaume de vent et de colères, Boudicca est un terreau propice à mes thèmes de prédilection : un personnage féminin fort, une héroïne entre réalité et légende, la petite histoire au service de la grande, les notions de choix personnels, d’insoumission. La genèse du personnage lui-même est une part importante de mon écriture avec cette double question : qui est Boudicca, et comment est-elle devenue cette reine qui a fait trembler l’empire romain ?
ActuSF : Que sait-on réellement de Boudicca ? Et de manière plus globale, comment t’es-tu documenté ?
Boudicca est l’équivalent de notre Vercingétorix pour les anglais. Comme lui, elle a d’abord commercé avec les romains avant de les combattre. Elle a sa statue à Londres, ce qui prouve au passage que les londoniens ne sont pas rancuniers, compte tenu qu’elle a rasé la ville :) (et pas qu’un peu, puisqu’il y a une couche géologique composée exclusivement de cendres qui porte son nom !).
Tout ce que nous savons sur elle, ce sont les romains qui nous l’ont transmis à travers les écrits de Tacite et de Dion Cassius essentiellement. Elle apparait tardivement dans l’histoire romaine comme femme de Pratsutagos, le roi des Icènes, un des clans qui se soumet aux romains. Avant cela, nous ne savons rien d’elle. J’ai dû m’appuyer sur les (nombreuses) hypothèses des historiens, et combler les zones d’ombres qui restaient encore.
Les écrits romains sont sujets à caution bien sûr, aussi j’ai dû compléter mes recherches (dont j’indique les principales à la fin du roman) avec des travaux d’historiens et d’archéologues contemporains, notamment ceux de M. J. Trow et Taliesin Trow qui ont beaucoup étudié cette reine et son histoire. Enfin, pour l’aspect celtique, j’ai monté un groupe de relecture avec un archéologue et deux personnes qui connaissaient de façon assez documentée la période et le personnage de Boudicca.
ActuSF : Pour que l’on comprenne bien, où en est à ce moment là l’Empire romain ? C’est un Empire plutôt fort ou sur le déclin ?
Nous sommes au début du premier siècle et l’empire romain est encore en essor, même s’il a connu de sérieux revers dans sa conquête avortée de la Germanie. Concernant l’île de Bretagne, Jules César lui-même avait renoncé à s’en rendre maître.
L’Angleterre commerce alors avec le continent, empire romain compris. Les élites celtes apprennent d’ailleurs le latin. C’est dans ce contexte que l’empereur Claudius va tenter de s’emparer à nouveau de l’île. C’est une volonté d’expansion mais surtout un moyen de raffermir son pouvoir à Rome et au sénat.
ActuSF : Tu l’as imaginée forte, en colère, insoumise. Est-ce qu’il y a d’autres romans ou films sur Boudicca qui t’ont inspiré pour construire ton personnage ?
Un préambule important : je me suis restreint aux donnés historiques sur Boudicca. Quand je commence la rédaction du roman, je n’ai lu aucune fiction. Je n’en ai pris connaissance que bien plus tard. Je suis très attaché à la création de mes personnages : qu’est-ce qui les motive ? Quelles sont leurs fêlures ?
Je voulais pour Boudicca un personnage en nuance, ni la farouche et belle femme guerrière, ni la jeune princesse naïve qui va finir en reine bienveillante, deux archétypes que nous retrouvons (trop ?) souvent dans les récits de fantasy de mon point de vue.
Je voulais une Boudicca ni belle, ni laide, pas forcement sympathique dès le départ. Une vraie personne, avec ses banalités. Elle ne naît pas insoumise, elle le devient, surtout au contact des gens, et sa force se confond parfois avec son arrogance et son obstination excessive.
En exclusivité, ActuSF vous propose les premières pages du roman
ActuSF : Parle nous de ses relations avec son père parce qu’ils sont une des clefs de l’histoire ?
Les relations entre individus sont souvent un des moteurs pour la création de mes personnages. En faisant de Boudicca une orpheline de mère, je singularise dés le départ la relation père-fille.
Antedios, le père de Boudicca, ne se remet pas de la perte de sa femme. Boudicca a la perception qu’il l’accuse d’être responsable du trépas de sa mère, morte en couches. Elle hérite du silence de son père qu’elle va devoir assumer et surmonter les non-dits qui resteront toujours entre eux.
ActuSF : On découvre à travers tes pages une civilisation celtique parfois étonnante, fine et cultivée, prônant une sorte de liberté sexuelle à partir du moment où chacun tient sa place au combat. Qu’est-ce qui t’a intéressé dans cette culture ?
J’ai pris des libertés dans cette approche sociale. S’il est vrai que dans certains cas, les chefs pouvaient avoir une famille avec femme et enfants en plus d’une union royale, cela n’était pas la règle dans tous les clans. Et seuls les hommes semblent en bénéficier.
Comme dans Royaume de vent et de colères, je voulais que le récit reflète notre monde à nous. Par exemple, je ne sais pas précisément quelle est la place de l’homosexualité dans le monde celte. Dans Boudicca, chacun aime qui il veut, sans jugement, de façon très naturelle. Pour moi, c’est d’abord le reflet de notre société actuelle – ou ce qu’elle devrait être en tout cas.
ActuSF : C’est une histoire de révolte, comme l’était Royaume de vent et de colères avec Marseille qui s’était rebellée. Y’a-t-il un lien entre les deux romans ? Qu’est-ce qui t’intéresse dans ces deux rébellions ?
Si lien il y a, il faut peut-être regarder du côté de la pierre des dieux et de l’Arbon. Qui nous dit qu’il ne s’agit pas d’une seule et même chose ?
Pour l’aspect rébellion, je n’y ai pas songé consciemment. J’aime les situations « charnières », la micro histoire qui peut faire basculer la grande. Et les moments de révoltes ont souvent cette qualité. Ce sont des périodes où émergent les personnalités qui parsèment nos livres d’histoire. Nos enseignants s’étendent rarement sur les périodes de paix alors que nous passons généralement un temps plus conséquent sur les conquêtes ou sur les guerres.
Boudicca a une valeur en plus. Ce n’est pas une simple guerrière qui a pris les armes. C’est une révoltée. Elle a accepté le joug, puis l’a rejeté. Une rébellion qui là encore nous renvoie à nos engagement aujourd’hui dans une société où les gens disent ne plus se reconnaitre dans leurs représentations politiques.
Bien sur, je ne dis pas que le changement passe forcément par les armes ! :) L’insurrection peut être également civile.
ActuSF : Le prix Elbakin.net reçu pour Royaume a-t-il été une pression pour écrire ce roman ou un booster ?
Oui, une pression sans aucun doute. Je ne m’attendais pas au prix. J’étais sorti de nulle part, avec un roman qui a reçu un bon accueil critique. J’ai pris du recul avant de m’atteler à la rédaction de Boudicca. Comme mon héroïne, je suis derrière mon bouclier, prêt à encaisser les critiques qui seront sans doute plus exigeantes.
ActuSF : Sur quoi travailles-tu désormais ?
J’ai plusieurs projets en cours, notamment deux que je voudrais faire aboutir dans les trois années qui viennent.
Le premier est un roman choral qui aura pour cadre la guerre de sécession américaine. Nous serons davantage dans le fantastique avec ce récit-là, avec pour inspirations des films comme Le Septième sceaux d’Ingmar Bergman par exemple.
Le second est un roman qui nous replonge dans l’univers de Royaume de vent et de Colères. Ce n’est pas une suite, mais un récit qui nous amène quelques années plus tard aux côtés de personnages secondaires de mon premier roman.
Côté nouvelles, je serai au sommaire de l’anthologie des Utopiales 2017.
Enfin, voilà quelques dates où je serai en dédicace sur ce premier semestre, et où vous pourrez me croiser :
- Du 14 au 16 avril à Trolls et Légendes à Mons en Belgique
- Le 22 avril 2017 de 10h00 à 12h30 à la Fnac de Chambéry
- Du 26 au 30 avril au Salon du livre de Genève
- Du 17 au 21 mai aux Imaginales d'Epinal
- Le 10 juin de 16 h 30 à 19 h à la librairie Maupetit à Marseille en compagnie de Gregory Da Rosa
- Le 16 juin de 17 h et 19 h à la librairie Arthaud à Grenoble aux côtés de Chloé Chevalier, Julien Bétan, Laurent Poujoins, Eva Simonin et Vincent Tassy.