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Interview 2017 : Sylvie Miller pour Satinka
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Interview 2017 : Sylvie Miller pour Satinka

ActuSF : Bonjour. Pouvez-vous vous présenter s’il vous plaît ?

Dans la vie de tous les jours, j’enseigne l’économie & gestion dans un IUT en région parisienne. Après un passage par la traduction littéraire (de l’anglais et de l’espagnol), je me suis lancée dans l’écriture. J’ai publié plusieurs romans coécrits avec Philippe Ward, et un certain nombre de nouvelles (en solo ou en coécriture). J’ai également piloté plusieurs anthologies. Par ailleurs, je participe régulièrement à des festivals comme les Imaginales où je modère des tables rondes ou assure la traduction des auteurs étrangers invités.

ActuSF : Votre roman Satinka vient de sortir aux éditions Critic. On vous connaissait déjà pour la série Lasser, détective des dieux (éditions Critic) coécrite avec Philippe Ward. Santika est votre premier roman « solo ». Qu’est ce que ça fait d’être seule maîtresse à bord de son œuvre ?

Si Satinka est mon premier roman « solo », ce n’est pas la première fois que j’écris seule. J’ai déjà publié un certain nombre de nouvelles. Mais j’avoue qu’avant de me lancer dans l’écriture de Satinka, je me suis posé des questions. J’ignorais si je pourrais maîtriser une forme aussi longue, d’autant que le projet, mêlant divers personnages et différentes époques, laissait envisager une structure complexe à mettre en place. Dans l’écriture en duo, il y a un certain confort : on a toujours le regard de l’autre, on échange perpétuellement autour du texte et on partage les doutes. Quand je travaille avec Philippe Ward, nos deux imaginaires se rencontrent, se stimulent, et produisent un résultat que nous contrôlons à deux. C’est sécurisant. En solo, on est face à soi-même. Seul maître à bord dans le pilotage de l’œuvre, on doit se débrouiller avec ses propres questionnements, assumer ses choix et surmonter ses hésitations. C’est une autre façon d’aborder le travail d’auteur ; elle me plaît tout autant que la coécriture. Et j’avoue que je suis fière d’avoir mené à bout ce premier roman en solo, compte tenu de la complexité de sa structure narrative. J’espère que les lecteurs passeront un bon moment en compagnie de Satinka.
 
 
 
ActuSF : Avant de parler des personnages, pouvez-vous planter le décor du roman s’il vous plaît ?

Le roman démarre à Colfax, une petite ville de l’est de la Californie, située sur les flancs de la Sierra Nevada, à 700 m d’altitude, dans le Comté de Placer, à peu près à mi-chemin entre Sacramento et Reno. Cet endroit a joué un rôle dans la construction de la Central Pacific Railroad (la partie occidentale de la première voie de chemin de fer transcontinentale). C’est là que vit l’héroïne, Jenny Boyd, de nos jours.

L’intrigue transporte également le lecteur dans différents lieux et époques de l’histoire des États-Unis, au XIXe siècle et au XXe siècle. Si certaines scènes de Satinka se déroulent à San Francisco, la grande ville mythique de la côte Pacifique, le roman explore surtout la Californie plus reculée, avec ses petites villes et ses montagnes arides, ou l’Amérique d’hier, avec ses grands espaces sauvages et ses peuplades natives.

Dans ce roman, j’avais envie d’aller au-delà de la carte postale et des idées reçues. J’ai voulu montrer différentes facettes de la conquête de l’Ouest et du « rêve américain », en explorer différents points de vue, et mettre en lumière des événements, des lieux ou des personnages peu connus du grand public.

ActuSF : D’où vous est venue l’idée de ce roman ?

À vrai dire, j’avais ce roman en tête depuis des années et l’intrigue a mûri lentement tandis que, au fil de diverses recherches, je posais une brique après l’autre. La toute première idée m’est venue en écoutant une chanson de Vince Gill, un auteur-compositeur de musique country, intitulée « Jenny dreamed of trains » (la version de l’album High Lonesome Sounds, 1996, MCA Nashville Records). Les paroles figurent d’ailleurs en préambule au roman. Je n’arrivais pas à cesser de penser à cette petite fille américaine rêvant de trains. Cela me semblait un point de départ pour une histoire. Plus j’y réfléchissais, et plus cela m’évoquait la construction du chemin de fer transcontinental aux États-Unis, au XIXe siècle. La période était riche en événements historiques marquants (l’arrivée des colons venus de l’est, le recul de la « frontière » vers l’ouest, le massacre des Amérindiens, la ruée vers l’or en Californie…) et l’Amérique du Nord était un territoire en plein bouleversement. Je souhaitais rendre compte de cela dans l’intrigue qui se construisait dans ma tête. Mais j’avais aussi envie que la Jenny de Satinka soit une jeune fille d’aujourd’hui. Je voulais ancrer mon personnage principal dans la réalité contemporaine des États-Unis. D’où l’idée de situer la narration à plusieurs moments dans le temps et de faire un lien entre le passé et le présent.

Actu SF : L’histoire est centrée sur Jenny Boyd, qui est serveuse à Colfax. Qui est-elle exactement ?

Au début du roman, Jenny Boyd est une jeune femme qui mène une vie ordinaire – ou qui tente de le faire. Elle est née et a vécu à Dutch Flat, un village niché sur les contreforts de la Sierra Nevada, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Colfax. Notons que cette bourgade, fondée au milieu du XIXe siècle par des immigrés allemands, a été l’un des lieux emblématiques de la ruée vers l’or et qu’elle est aujourd’hui classée comme site historique. Mais revenons au personnage de Jenny, qui présente une particularité : depuis l’enfance, elle rêve de trains. Plus précisément, ses songes ont un lien avec la construction de la voie de chemin de fer intercontinentale qui a relié l’est et l’ouest des États-Unis, au XIXe siècle. Ces rêves omniprésents, si intenses qu’ils paraissent vrais, ont créé un conflit grave entre Jenny et sa mère qui a toujours refusé d’entendre parler de ces inepties. Si bien que Jenny, après le lycée, a décidé de quitter la maison de ses parents pour trouver un emploi de serveuse à Colfax. Lorsque l’intrigue démarre, Jenny tente de mener une vie tranquille et de s’assumer en tant qu’adulte. Mais on la sent aux prises avec de nombreux questionnements. Elle ne comprend pas pourquoi elle fait ces rêves récurrents. Elle est réservée, gauche, et peu épanouie. Elle a encore un pied dans l’adolescence. Tout ce qui lui arrive par la suite va l’amener à évoluer, quand ses rêves se transforment en véritables visions. Elle va mener une véritable quête à la rencontre de ses origines et, finalement, d’elle-même.
 
Photo par Xavier Dollo
 
ActuSF : Son amour pour les trains va être à l’origine de ses aventures… à travers le temps, n’est-ce pas ?

Il va être compliqué de répondre à cette question sans en dévoiler trop sur l’intrigue. Une chose est certaine : le temps est l’une des dimensions du roman puisque celui-ci met en scène plusieurs époques différentes. J’y décris notamment, au XIXe siècle, le voyage vers l’ouest d’un petit groupe d’immigrés irlandais qui font la grande traversée vers la Californie, l’installation d’un jeune homme qui tente de développer sa petite ferme dans un canyon sauvage aux pieds du Pic Lassen, la vie quotidienne d’une tribu d’Amérindiens Yahi dans le même secteur, et les conditions de vie des ouvriers chinois employés sur le chantier du chemin de fer de la Central Pacific Railroad. Les différents protagonistes de ces scènes vont se trouver mêlés à des événements qui vont impacter leurs descendants dans le futur. Jenny fait partie de ceux-là. Elle va le découvrir lorsqu’elle se penchera sur le passé de sa propre famille. Mais je n’en dis pas plus. Je ne voudrais pas gâcher le plaisir des lecteurs.

ActuSF : Les différentes scènes que vous évoquez laissent penser que vous vous êtes penchée attentivement sur l’histoire des États-Unis. Y avez-vous passé beaucoup de temps ?

Oui, j’ai fait énormément de recherches. Certains des personnages du XIXe siècle ont réellement existé et je me suis inspirée de leur biographie. C’est le cas de Harmon Augustus Good, connu pour ses nombreuses expéditions punitives contre les Amérindiens, en Californie, souvent accompagné par Richard Anderson. La lecture des lettres de Good et des carnets de notes laissés par Anderson s’est avérée précieuse. Pour décrire le trajet des pionniers irlandais, j’ai lu des récits de voyages de l’époque, consulté de vieilles cartes…

En ce qui concerne les Amérindiens, j’ai largement consulté les écrits d’Alfred Louis Kroeber – l’une des personnalités les plus influentes de l’anthropologie pendant la première moitié du XXe siècle aux États-Unis, spécialiste des populations nord-américaines et en particulier des Amérindiens de Californie – et ceux de son épouse Théodora concernant l’accueil, entre 1911 et 1916, au département d’anthropologie de l’université de Berkeley, d’un Amérindien considéré comme le dernier survivant d’une tribu Yahi massacrée en 1865 (l’événement est connu comme le « massacre des Trois Tertres »). J’ai trouvé de nombreuses informations sur les Yahi qui vivaient dans les environs du Pic Lassen, au bout de la chaîne des Cascades, au nord de la Californie, ou sur les Maidu, dont le territoire se situait au sud-est de celui des Yahi et que l’on a déplacés vers des réserves Miwok implantées dans la région d’Auburn.

Enfin, concernant la construction du chemin de fer et les ouvriers chinois, j’ai découvert l’existence, à l’université Stanford, d’un programme de recherche dédié aux ouvriers chinois ayant participé à la construction du chemin de fer, le Chinese Railroad Workers in North America Project. Les archives en ligne de la Central Pacific Railroad ont également été précieuses, ainsi que les publications de la Donner Summit Historical Society. J’ai amassé une foule d’informations sur les ouvriers chinois, leurs conditions de travail, les méthodes utilisées pour la pose des rails, le creusement des tunnels, etc.

Grâce à toutes ces recherches, une bonne partie des scènes de Satinka, et particulièrement celles situées dans le passé, sont proches de la réalité (lieux, dates, habitats, objets…). J’ai tissé les fils de mon intrigue autour de ces éléments réels.

ActuSF : Revenons aux personnages. Pouvez-vous nous dire un mot sur ceux qui vont entourer Jenny ?

Comme le roman balaie diverses époques et divers lieux, il y a de nombreux personnages dans Satinka. Je citerai d’abord ceux qui entourent de près l’héroïne, Jenny, et qui vont jouer un rôle dans sa quête dans l’Amérique d’aujourd’hui : Mike (son ami d’enfance), John Wo (un jeune antiquaire), Deirdre (sa mère, avec laquelle elle est en conflit), Éléanor O’Donnell (sa grand-mère, une femme de caractère), et Sewati (un vieux chamane Maidu). Certains personnages, comme William Wo (un truand d’origine chinoise) ou Maura Connelly (une descendante des colons irlandais arrivés en Californie en 1865), vont s’opposer à Jenny. Dans la Californie du XIXe siècle, on peut citer des personnages clés : Honon et son fils Elsu (Amérindiens de la tribu Yahi), ainsi que Wing On Wo (médecin chinois travaillant sur le chantier du chemin de fer).

La première caractéristique de tous ces personnages, c’est qu’ils vont se retrouver pris par des histoires, des querelles ou des drames au sein de leur propre famille ou de leur propre groupe. Leur deuxième caractéristique, c’est qu’ils vont évoluer en même temps que l’intrigue, et en même temps que l’héroïne du roman. Citons tout particulièrement John Wo, qui a un parcours un peu similaire à Jenny. Les deux jeunes gens sont, au début du roman, encore assez proches de l’adolescence. Les événements vont les faire mûrir et grandir. À la fin de Satinka, John et Jenny sont beaucoup plus adultes.

ActuSF : Envisagez-vous une suite à Satinka ?

Quand j’ai commencé à l’écrire, je prévoyais que Satinka serait un roman unique. Mais l’intrigue s’est développée au-delà de ce que j’avais envisagé. Si bien que j’ai éprouvé le besoin de laisser une fin ouverte qui laisse la possibilité d’autre chose. Une suite n’est pas prévue pour l’instant, mais elle n’est pas impossible.

ActuSF : Avez-vous des projets en cours ?

Je travaille actuellement, avec Philippe Ward, sur le tome 5 des aventures de Lasser, le détective des dieux. Ce volume se déroulera en Gaule et notre détective favori ira affronter son passé. Ce sera l’occasion de jouer avec un nouveau panthéon divin (les dieux celtes et gaulois, mais aussi des divinités plus anciennes). Ce retour aux sources nous permettra de clore un cycle pour Lasser.

En solo, j’ai également un autre projet de roman. Je travaille encore à la phase préparatoire, celle où j’explore les différentes pistes et où je mets en place les lieux, les éléments de la narration, les personnages... Il s’agira d’un mélange de fantastique assez sombre et de fantasy épique. Une partie de l’intrigue se déroulera au milieu de l’hiver, dans une ferme isolée du massif du Mézenc, entre Ardèche et Haute-Loire, alors qu’une terrible tempête de neige oblige les occupants – hommes et bêtes – à rester confinés pendant des semaines. Certains protagonistes de l’histoire vont traverser une brèche ouverte par la tempête qui a fragilisé la séparation entre les mondes, et pénétrer dans un royaume parallèle au nôtre. Là, ils découvriront que cet endroit obéit à des règles totalement différentes de celles qu’ils connaissent. Ils devront lutter pour survivre et pour retrouver le chemin qui les ramènera chez eux.

ActuSF : Où pourra-t-on vous trouver en dédicace prochainement ?

Je peux vous donner des détails de mon programme jusqu’à fin 2017. Le 7 octobre, de 10 h 30 à 13 h 30, je suis invitée à un apéro littéraire organisé par l’association Lire c’est libre, à la Mairie du 7ème arrondissement de Paris, en compagnie de Fabien Cerruti (qui présentera le tome 3 de son excellente série « Le bâtard de Kosigan »). Du vendredi 3 au dimanche 5 novembre, je participerai aux Utopiales de Nantes, et le 25 novembre, je serai aux 14èmes rencontres de l’Imaginaire de Sèvres. D’autres dédicaces sont prévues (en librairie, notamment), mais je n’ai pas encore les dates. Je ne manquerai pas de vous les communiquer dès que j’en saurai davantage.
 

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